présentée pour la première fois en France au théâtre Louis Jouvet, le mercredi 14 novembre 1934.
Ce titre est un prénom de jeune fille, et l'abréviation anglaise de "Teresa" aurait pu intriguer le public parisien s'il n'avait été accompagné sur l'affiche d'une précision: "la nymphe au coeur fidèle" - qui signalait l'adaptation du célèbre roman anglais de Margaret Kennedy, porté en Angleterre sur la scène, puis à l'écran. En France, la traduction de Louis Guilloux obtenait depuis 1928 un immense succès. 10
Giraudoux, traducteur et adaptateur de la pièce anglaise, n'en a pas modifié le découpage: il a gardé la conduite générale de l'intrigue, la succession des épisodes, la localisation des tableaux, supprimant juste au dernier moment les sous-titres originaux. L'action s'organise en trois actes, chacun divisé en deux tableaux; elle se déroule dans quatre décors.
L'acte I (l'acte tyrolien) présente le chalet de la famille Sanger, avec cette atmosphère de désordre "que créent seulement l'esprit de liberté et les arts". Le second, au contraire, est typiquement anglais: salon avec vue sur la Tamise, une décoration "charmante et compassée" dans l'appartement de Florence et de Lewis. Pour l’acte III, deux décors. Le premier tableau se déroule dans les coulisses du bâtiment des concerts, le second dans la chambre misérable d'une sordide pension de famille, à Bruxelles.
Margaret Kennedy avait intitulé son premier acte "Le Cirque". En deux moments se constitue le triangle amoureux dont Lewis est l'élément central. Le premier tableau, un soir de printemps, présente "le cirque Sanger", avec tous ses membres, dans une agitation assez confuse de sentiments. Au cours d'un dîner et de la répétition d'une charade musicale, plusieurs intrigues entrecroisées se mettent en place. L'arrivée de Trigorin permet à Lewis de situer les divers membres de la famille de son ami, le musicien Sanger, en commentant les rapports tendus qui opposent les enfants et la dernière épouse, Linda. La fugue à Munich de Tony, l'une des filles Sanger, en compagnie de son ami juif, Jacob, a fait violemment monter la tension. D'autre part, le profond sentiment qui pousse l'un vers l'autre la jeune Tessa et Lewis se découvre en un très pathétique duo d'amour. Le tableau se conclut dramatiquement par la mort de Sanger. Quelques semaines plus tard, le second tableau présente les cousins venus d'Angleterre: Charles Churchill et sa fille Florence. Le cirque Sanger se disperse : les enfants se préparent avec réticence à aller dans des pensions britanniques. Devant Tessa de plus en plus désespérée, Lewis déclare sa passion à Florence, la demande en mariage. Par amour pour elle, il accepte même de retourner dans cette Angleterre qu'il déteste. Les fils de l'intrigue sont désormais noués pour l'affrontement du deuxième acte. Intitulé dans l'original anglais "La porcherie d'argent", il montre la dégradation des rapports entre Lewis et Florence, l'incommunicabilité de leurs univers. Dans le premier tableau, par une coïncidence très théâtrale, deux événements font éclater la crise. Une réception provoque la colère de Lewis contre les artistes académiques. L'arrivée des enfants Sanger qui ont fui leur pension déclenche un second conflit qui oppose Florence à Tessa. Contrastant avec le tendre duo du premier tableau, les injurieux couplets du "pourceau dans sa porcherie d'argent" traduisent la révolte de Lewis contre sa nouvelle vie, et sa profonde nostalgie de l'existence que lui rappelle Tessa. Le second tableau, quatre mois plus tard, porte le drame à son degré extrême. Malgré la discrétion de Tessa et sa totale honnêteté, son amour pour Lewis a provoqué la jalousie de Florence, et la rupture du couple. Lewis a décidé de quitter l'Angleterre après son concert : il propose à Tessa de venir avec lui. Le troisième acte, en deux paliers successifs, augmente la confusion dans les aventures amoureuses qui ont déchiré les protagonistes. Accompagné de la musique de Lewis, le premier tableau met en scène la décision de Tessa qui, malgré sa honte, accepte de partir. C'est aussi l'ultime entrevue de Lewis et de Florence. Dans le second, Tessa malade retrouve dans une sordide pension bruxelloise les souvenirs de son père, avant de mourir d'épuisement - sans que Lewis s'en aperçoive. Tessa est réconciliée avec le monde. Son amour, en devenant partagé, met fin à sa carrière. La crise cardiaque qui l'emporte traduit l'inutilité d'un avenir, puisque tout est rentré dans l'ordre.
À travers ce labyrinthe des actes, des tableaux et des scènes dont la pièce est structurée, on découvre que le personnage le plus favorisé en ce qui concerne la quantité de texte est Lewis, le don-Juan moderne (936 lignes). Les deux femmes qui réclament son affection ne connaissent pas la même faveur de la part de leur créateur. La gracieuse Tessa a 716 lignes tandis que Florence, la mondaine austère a seulement 440 lignes de texte. Parmi les autres membres de la famille Sanger on voit qu'ils ont tous une partie, petite mais intéressante et typique, de leur mentalité frivole et anti-conformiste. Paulina a 225 lignes, Sébastien 143, Tony 141, Linda 122 et la plus sage de cette "ménagerie", Kate, a 70 lignes de texte. Charles Churchill, malgré sa qualité de père de Florence et de représentant d'une société des convenances, paraît plus ouvert et réceptif aux attitudes artistiques et jouit d'une quantité de texte considérable (143 lignes) ce qui l'amène à la sixième place de notre énumération.
Bien entendu, le duo le plus important est celui entre Tessa et Lewis (209 lignes). Il y a encore deux dialogues entre les deux protagonistes, l’un de 174, l’autre de 103 lignes. Le couple de Florence et de Lewis bénéficie également de trois duos avec 174, 152 et 89 lignes de texte chaque fois, soit 415 lignes et se place deuxième avec très peu de différence par rapport aux échanges entre Tessa et Lewis (428 lignes). On ne peut pas ignorer la communication verbale portant sur la compassion et la compréhension amicale entre Tessa et Charles Churchill (105 lignes) ainsi que le dialogue conflictuel de Tessa et de Florence (64 lignes). D'un point de vue général, on pourrait dire que dans cette pièce les interlocuteurs de duos ne présentent pas une grande diversité. Malgré le fait que l'intrigue offre un nombre considérable des personnages (22 ) il n’y a que cinq grands duos. Cela nous conduit à présumer que les autres personnes imaginaires ne servent qu'en tant que personnages de "décor" autour des personnages-"noyau" de la pièce. Ainsi, Lewis participe à 7 duos sur 9, Tessa à 5 et Florence à 4 sur 9.
Lewis constitue l'étoile inébranlable des apparitions scéniques : 46 apparitions semées tout au long de la pièce. La fragile Tessa est aussi nécessaire pour le déroulement de l'action, 38 apparions dans tous les actes et scènes. Néanmoins, on ne va pas découvrir l'autre côté du triangle amoureux, Florence, qui est quatrième avec simplement 20 apparitions, mais la sœur aimée de Tessa, Paulina (27 apparitions). Puis, c'est Roberto, le serviteur, confident de Lewis et surtout de Tessa, qui n'a pas un flux de paroles, seulement 57 lignes de texte, mais qui suit souvent les discussions d'une manière discrète, sans parler beaucoup (16 apparitions sur toute la longueur de la pièce). La famille Sanger reste aussi solidaire de cette soeursensible, Tessa, en l'assistant pendant les difficultés des événements : Tony apparaît 14 fois, Kate 13 fois, Sébastien 12 et Paulina, mais nous l'avons déjà expliqué auparavant, 27 fois.
Le roman de Margaret Kennedy, The Constant Nymph, était paru à Londres en 1924. En 1926, Basil Dean avait donné une adaptation pour la scène londonienne à laquelle avait collaboré Margaret Kennedy. Un film sous la direction de Basil Dean avait été tourné en 1928. Jean Giraudoux, Théâtre complet, Le livre de poche, Paris, 1991, p. 1141.