La guerre de Troie n'aura pas lieu

représentée pour la première fois au théâtre de l'Athénée le 21 novembre 1935, sous la direction de Louis Jouvet.

Le plus célèbre titre du théâtre de Giraudoux : il a souvent servi de moule aux manchettes des journaux. Phrase longue, contrairement aux habitudes de l'époque où on préférait les mots brefs, faciles à retenir. Formulation négative qui a causé des quiproquos auprès des spectateurs peu avertis. Contre toute évidence car tout le monde sait, depuis les premières années d'école, que la guerre de Troie a bien eu lieu. Paradoxe qui prétend réécrire l'histoire. Boutade pour parler de la guerre à une époque où sa perspective terrifiait.

Structurée en deux actes, la pièce utilise en une progression symbolique deux décors. À l'acte I, la terrasse d’un rempart dominé par une terrasse dominant d’autres remparts. De nombreux jeux de scène, en particulier pendant la promenade d'Hélène, utilisent les différents niveaux, ménageant la liberté des mouvements de l'œil. Les didascalies de l'acte Il précisent: Square clos du palais. À chaque angle, échappée sur la mer. Au centre, un monument, les portes de la guerre. Ces portes sont un symbole obsédant, l'enjeu de toutes les discussions, des négociations diplomatiques, des gestes et des paroles d'agression. Pour le face à face décisif -celui des Troyens et des Grecs, des humains et de la messagère des dieux, d'Hector et d'Ulysse - l'espace se referme jusqu'à ce huis-clos symbolique où l'obscénité d'Oiax et le fanatisme de Démokôs provoquent le geste fatal d'Hector. La pièce dure deux heures en temps réel, sans qu'un entracte soit nécessaire, rapide durée pendant laquelle se joue le destin de Troie, et, par-delà cette ville aux dieux et aux légumes trop dorés, celui de l'humanité.

En consultant le tableau des quantités de texte, on aperçoit le brave Hector est au sommet du répertoire. 536 lignes contre les 256 lignes de l'arrogante Hélène. On attendrait que l'inventif Ulysse soit un locuteur plus volubile mais il n'a que 206 lignes de texte. Le passionné et têtu Démokôs est dangereusement loquace (199 lignes). On pourrait caractériser la femme bien-aimée d'Hector, Andromaque, comme assez silencieuse (197) face aux arguments de son mari. Le frivole Pâris n'a pas grand chose à offrir au développement des épisodes. Son indifférence et sa légèreté sont suffisantes ! Même la mère respectable, Hécube (98) n'arrive pas à arrêter le torrent des événements qui approchent. De surcroît, la voyante Cassandre ne se montre pas capable de persuader les protagonistes des dangers qui guettent Troie et ses courageux défenseurs. Giraudoux ne lui accorde que 98 lignes de texte qui passent presque inaperçues. Le vieux et sage roi troyen, Priam, semble n'avoir qu’une parole réduite, avec exclusivement 76 lignes dans cette histoire de fougue juvénile et d'impulsion. Exemple typique de l’égoïsme étourdi, Oiax, malgré la pauvreté de ses propos (71 lignes), s'avère capable de pousser la situation à l'irréparable : la guerre.

En examinant le nombre de lignes des personnages, on a découvert qu'Hector et Hélène ont les plus longues parties. Cela pourrait nous conduire vers l'hypothèse qu'il s'agit d'un combat entre la force masculine et la beauté féminine. Toutefois, les grands duos nous montrent de nouvelles dimensions de la fable. Le duo le plus élargi est entre Hector et Ulysse (198 lignes) et on ne peut pas le nommer un duo conflictuel pur, puisqu'à la fin on se rend compte que, malgré leurs divergences apparentes, les deux allocutaires visent au même but : éviter la guerre. Par ailleurs, le couple d'Hélène et d'Andromaque, qui incarne une opposition nette entre deux variantes de la nature féminine, la femme coquette superficielle et la femme mère et épouse affectionnée, paraît vraiment avantagé ( 140 lignes). Et comment pourrait-on passer sous silence les deux discours conjugaux d'Hector et d'Andromaque ? D'une part, ils sont pleins d'amour et de tendresse (136 lignes), d'autre part, d'inquiétude et de soumission à un destin inexorable (69). En tant que contrepoids, se plasse le duo d'Hector et d'Hélène (127 lignes) qui fait se déchaîner la virilité soucieuse contre la beauté hautaine et vice versa.

En ce qui concerne la fréquence des personnages au sein des grands duos, Hector participe à 4 duos sur 7, puisqu'il noue les fils d'une aventure périlleuse sans retour. Les femmes opposées de la légende, Andromaque et Hélène partagent 3 couples verbaux chacune.

Malgré le fait qu'Hector en a la primauté jusqu'ici, quant à la quantité de texte et de duos, le tableau des apparitions scéniques montre que le personnage qui domine la pièce de sa présence, c'est Hélène . 14 apparitions au total et Hector la suit avec 13. Andromaque se présente 10 fois, de même que Pâris. La figure pesante de Cassandre hante la pièce avec 9 apparitions, nombre non négligeable. Démokôs jette ses flèches malveillantes surtout dans le deuxième acte (6 apparitions) et Oiax nous prépare pour son attitude fatale pendant 5 apparitions fugaces.