Cantique des cantiques

représenté pour la première fois à la Comédie-Française le 12 octobre 1938, avec la mise en scène de Louis Jouvet.

La formule célèbre annonçait une adaptation théâtrale de ces poèmes amoureux attribués à Salomon. L'auteur de Judith revenait-il à la Bible et aux Écritures, non plus avec une histoire de sang et de sexe, mais pour un chant d'amour poétique?

‘"De même que le roi Salomon se résigna à abandonner la Sulamite au jeune pâtre qui l'aimait, de même un grand personnage de la République, qu'on appelle simplement le “président”, accepte avec une bonne grâce un peu mélancolique et ironique de s'effacer devant un rival qui n'a pour lui qu'un seul avantage, mais de quelle puissance: sa jeunesse. Cette “rupture” est le sujet de la pièce 19 ." ’

Un seul acte, un seul lieu, un seul décor : la scène représente un grand café du bois de Boulogne. En quarante-trois minutes, se règle le destin de Claude, le Président et de Florence, par un duo de chants alternés avec, en contrepoint, l'apparition fugace de Jérôme. Ce n'est pas, remarquait un journaliste à la création “ la banale histoire de l'amour inéluctable. La femme qui vient raconter à son vieil ami qu'elle le lâche pour en prendre un jeune n'est ici qu'un prétexte. Par-delà les apparences et les réalités anguleuses et dures, la fumée légère d'un univers harmonieux et spirituel s'élève et dispense à tous ses tichesses et ses apaisements. ” 20 Dans le programme de la Comédie-Française, Giraudoux résumait ainsi sa piéce qui, "bien que comportant un jeu dramatique et des personnages, n'est pas autre chose qu'un monologue, le monologue de la femme, atteinte par une passion, qui ne peut se retenirde la clamer et de la décrire, en plein lieu public et devant le maître de sa vie. Si le harem du roi des rois est remplacé par un café du Bois, si Salomon cède la place à un ancien président du Conseil, si le berger est devenu un jeune oisif moderne, les eunuques et les nègres, les gérants et les chasseurs, la jeune femme de Paris reste la jeune fille de Sulem, qui sacrifie à son mal la gloire et ses avantages, y compris le bonheur" 21 .

Il est difficile de distinguer quel est le personnage le plus soutenu de la part de l'auteur selon la quantité de texte. Florence a 328 lignes et Claude, le Président 326. Une différence nulle pour en tirer des conclusions. Il est probable qu'on doit les traiter comme un couple uni puisque toute la pièce est bâtie sur leur monologues et sur leur entretiens mutuels. Si on juge d'après le nombre de lignes limité du fiancé de la charmante Florence, Jérôme, on pourrait constater que sa présence a plus une fonction d'avertissement que de contraste avec le couple d' anciens amants. À côté du triangle amoureux, s trouve la figure pittoresque du serveur de ce café luxueux, Victor, toujours au courant des événements les plus subtils et les plus secrets. Il prend à travers 74 lignes la forme du confident amical, prêtà offrir ses conseils et sa consolation. Son “ double ” féminin, la Caissière, clouée derrière son comptoir, voit et commente tout incident et dans 67 lignes de texte déplie son point de vue ironique.

Les tableaux des grands duos renforcent notre impression de tension passionnelle parmi les interlocuteurs. Nous envisageons trois duos dont deux concernent Florence et le Président (291 et 214 lignes, soit 505 lignes en tout). En outre, il y a un petit dialogue de deux adversaires épris, le Président et Jérôme (91). Cependant, le couple de l'amant et de sa maîtresse, Claude et Florence, se trouve éloigné en ce qui concerne la présence sur scène. Le Président est au premier plan, avec 8 apparitions dans toutes les scènes de la pièce. Ensuite, c'est la cynique Caissière (6 apparitions) et Victor, le garçon réfléchi (5). La belle et instable Florence n'apparaît que 4 fois pour régler la situation amère et Jérôme se montre afin de revendiquer ses droits de futur époux. À la fin, on aperçoit l'existence des quelques “ dramatis personae ” telles que a dame spectre des bijoux ou Les Gitanes. Elles parlentpeu, elles apparaissent peu, mais semblent être des symboles intéressants.

Notes
19.

R. de Beauplan, dans La Petite Illustration du 17 décembre 1938. Jean Giraudoux, Théâtre complet, Le livre de poche, Paris, 1991, pg.1207.

20.

Jean Giraudoux, Théâtre complet, Le livre de poche, 1991, pg.1207.

21.

ibid, pg.1208.