Ondine

représentée pour la première fois au théâtre de l'Athénée le 4 mai 1939, sous la direction de Louis Jouvet.

"C'est le titre, Ondine... Cela va s'appeler Ondine, ce conte", dit Hans. "Le nom de Ondine est un nom courant, presque un nom commun. Il désigne cette charmante divinité qui habite chaque lac ou chaque ruisseau", ajoutait Giraudoux. Divinité des eaux, dans de nombreux folklores d'Europe, dans la campagne française, et particulièrement dans le Limousin, liée aussi à l'Allemagne, puisque la pièce est l'adaptation du conte de La Motte-Fouqué, Undine, paru en 1811. La pièce, construite en trois actes, se déroule, à une époque indéterminée dans un Moyen Âge fabuleux, dans trois décors différents d'une Allemagne de légende. Giraudoux, délaissant la structure de ses pièces tragiques précédentes, revient à une construction plus souple en triptyque. 22

Au premier acte, une cabane de pêcheurs, au bord d'un lac, isolée des humains mais environnée d'étranges présences. Au second acte, changement total: la grande salle de réception du palais, "la salle d'Hercule"; mais aussi le lieu des fantasmagories de l'Illusionniste. Enfin, au troisième acte, en contraste avec le précédent, le château du chevalier Hans, cerné par le lac, le Rhin et les cascades, précisément la cour où se prépare le mariage avec Bertha, où se juge le procès d'Ondine et où s'accomplit le dénouement de cette tragique histoire d'amour.

Le premier acte, sous l'orage, est celui du coup de foudre : le tonnerre ponctue ironiquement les déclarations d'Auguste, et en neuf scènes et vingt minutes, Hans, oubliant la dame pour laquelle il a traversé un mois durant la forêt mystérieuse, cède à l'amour fou de la petite Ondine. Alternent les scènes de confidences entre Hans et le vieux couple de pêcheurs, et les duos d'amour; mais aussi les menaces du monde des eaux et des ondins, résumées dans le pacte qui condamne à mort le Chevalier s'il devient un jour infidèle à Ondine. Le second acte, baroque, joue des illusions, du théâtre dans le théâtre. Acte des retrouvailles de Hans et de Bertha, de l'incompréhension entre le chevalier trop humain et la jeune Ondine trop perspicace, lisant dans les pensées, mais incapable de dissimuler la sienne. Acte de la révélation, où les Ondins représentent la naissance humble de Bertha. Acte d'une réflexion sur le théâtre, l'art du metteur en scène et de l'auteur, avec l'accélération des événements et des sentiments, l'enchevêtrement en contrepoint des chanteurs de Salambô. Acte des références littéraires, plus ou moins explicites et fantaisistes, à Tristan et Yseult, à Hercule, à Hamlet. Le dernier acte est celui de la mort et de l'oubli. Dès la première scène, le recours subtil à l'alexandrin signale le registre tragique auquel la pièce s'élève par paliers jusqu'au finale. Occupé en son centre par un vaste procès, caricature d'une justice médiévale en quête de sorcières et de succubes, puis réflexion sur la tromperie et la trahison, cet acte met en accusation l'amour absolu, l'amour fou, passion et religion, et en même temps le glorifie. La fidèle Ondine retourne à son élément naturel, perdant tout souvenir de l'amour humain qu'elle a voulu vivre au suprême degré. La séparation éternelle de ces amants voués à l'oubli, sans promesse sur leurs tombes de rosiers enlacés ou de sources mêlant leurs eaux, fait de cette pièce un chant d'amour totalement désespéré et en même temps hausse ces amoureux romantiques à la hauteur des grands couples tragiques. La dernière réplique d'Ondine, mélange inextricable d'espoir et de pessimiste, laisse penser que tout peut recommencer, dans un éternel retour: "Comme c'est dommage! Comme je l'aurais aimé!" (Acte III, scène 7).

La liste des personnages est vraiment longue, 35 figures et figurants défilent devant nos yeux, mais la vedette est sûrement la petite naïade, Ondine, avec 748 lignes de texte. Le Chevalier Hans est son partenaire mais sa contribution verbale n'est pas égale (543 lignes). La diminution de la somme de texte attribuée aux autres héros de la pièce est verticale et spectaculaire. On passe au Chambellan royal (198 lignes), à Auguste le pêcheur (182) et à Bertha, la fille adoptive du roi et fiancée du Chevalier (172 lignes de texte). Avant de continuer notre analyse, remarquons que parmi la multitude de personnages, ceux qui sont les plus favorisés ne sont pas les créatures portant un nom propre concret, comme Ulrich, Bertram ou Grete mais des créatures qui désignent une profession ou une qualité. Nous nous référons au premier Juge (141 lignes de texte), au Roi des Ondins (115 lignes), au second Juge (75 lignes), à l'Illusionniste (61), au Roi (54), au Poète (32) et au Surintendant (31 lignes). Eugénie, la femme du pêcheur (80 lignes de texte) et Yseult, la reine (63 lignes) constituent des exceptions à cette règle générale.

Si Ondine occupe la place prépondérante dans la quantité de texte, Hans l'emporte pour les grands duos puisqu’il prend part activement à 6 duos sur les 8 de la pièce et il en partage trois avec Ondine et trois avec Bertha. Ce qui nous laisse entrevoir que notre Chevalier vacille entre ses deux amours, le nouveau et l'ancien. Cependant, le montant de texte du couple Hans-Ondine est sensiblement plus étendu (350 lignes) que celui de Hans-Bertha (204 lignes). Parallèlement, il y a le duo du vieux couple des pêcheurs, qui sert d'introduction à l'intrigue (67 lignes dans l'acte I, scène 1) et celui entre la fille des eaux, Ondine, et le maître des eaux, le Roi des Ondins (61 lignes de texte).

Le Chevalier inconstant a la primauté dans la liste des apparitions scéniques comme dans les grands duos. 20 apparitions dans les trois actes, et seulement 15 apparitions pour Ondine. Le Chambellan de la cour, sorte de commentateur et quelque fois d'animateur de la pièce, fait 9 apparitions qui sont toutes dans le deuxième acte, tandis que Bertha apparaît neuf fois, dans les actes deux et trois). Auguste, le pauvre pêcheur, souligne sa présence surtout dans le premier acte (8 apparitions) tandis que sa femme Eugénie a 5 apparitions. Puis, ce sont les artistes tels que L'Illusionniste (7 apparitions), le Poète (5) ainsi que l'élément surnaturel incarné à travers le Roi des Ondins (5 apparitions) ou les Ondines elles-mêmes (4). Bien sûr, il ne faut pas oublier la participation scénique de Bertram, qui passe à tort pour l'amant d'Ondine et qui a 4 apparitions. De surcroît, on découvre encore d'autres figures, qui sont les protagonistes d'épisodes courts mais nécessaires au déroulement de l'action, comme le Roi (3 apparitions), le gardien des porcs (2), les deux Juges (2 apparitions chacun), la fille de Vaisselle (1 seule apparition) et d'autres personnages secondaires

Notes
22.

Tchélitchew voit le premier acte au printemps, brouillard et orages; le II, c'est l'été; le III, l'automne, et à la mort du chevalier, c'est l'hiver, tout est gris" (Louis Jouvet, "Décoration d'Ondine", in Cahiers Jean Giraudoux, N° 2-3, p.22).