Siegfried (1928)

La pièce de Siegfried, dans le réseau positif des métaphores, est dominée par l'amour présenté ici dans un double aspect : l'amour passionnel (le triangle amoureux composé de Geneviève, Éva et Siegfried) et l’amour de la patrie, qu’elle soit réelle ou adoptive. En second lieu, vient la quête de la vérité qui n'est autre que celle de l'identité perdue de Siegfried, ainsi que l'acceptation de la condition humaine avec toutes ses aventures tantôt amusantes tantôt douloureuses. De même l’importance accordée à la dignité de l'homme laisse son propre sceau dans cet univers désorganisé. À l'opposé, les métaphores négatives regroupent les impératifs politiques ou sociaux - comme la carrière politique de Siegfried et ses devoirs envers le peuple allemand - impératifs qui le poussent à une division interne forte et pénible entre son passé inconnu et son présent actuel. Soulignons encore l'ombre épouvantable de la guerre qui guette à tout instant.

En observant le personnage de Siegfried, on découvre qu'il s'exprime avec la même tension tant dans les systèmes métaphoriques positifs que négatifs, en empruntant des images de natures diverses et prises exclusivement dans l'activité terrestre. Le surnaturel ou le divin semblent n'avoir rien à faire dans son cas. Concernant ses idéaux, l'amour du pays se montre pourtant plus important que la passion pour une personne. Siegfried s'avère également un symbole vivant de la dignité humaine ainsi qu'un être imprégné de philosophie sur la condition de l'homme.

‘"Une vie humaine n'est pas un ver. Il ne suffit pas de la trancher en deux pour que chaque part devienne une parfaite existence. Il n'est pas de souffrances si contraires, d'expériences si ennemies qu'elles ne puissent se fondre un jour en une seule vie, car le cœur de l'homme est encore le plus puissant creuset". (Acte IV, scène 3, p.66) ’

A travers la métaphore ci-dessus choisie comme exemple significatif de son locuteur, on distingue une dialectique qui se trouve au fond de la pièce : la réflexion conduite sur l'identité de l'être humain. A cet égard elle fait écho à toute une série d'œuvres qui lui sont contemporaines ou juste postérieures (qu'on pense à Pirandello, Cocteau, Anouilh ou Sartre), et qui, en réfléchissant, les unes sur la folie, les autres sur l'imposture, les autres sur la possibilité de fuguer et de recommencer sa vie, posent toutes la question de la vraie nature de la personne. Ici c'est la signification théorique de l'amnésie qui est prise comme thème de réflexion. Le succès politique de Siegfried von Kleist est largement dû au mystère qui entoure son origine, au fait que chaque Allemand peut l'imaginer proche de lui : mais lui-même, en revanche, ne cesse d'être tourmenté par l'impossibilité où il se trouve de se situer, de se donner un nom, d'intégrer son présent dans le prolongement de son passé. Encore Siegfried croit-il au moins connaître le peuple et la culture auxquels il appartient, et pouvoir se raccrocher à la germanité. Sa présence dans le réseau négatif de la division interne, qui le tourmente à cause des impératifs politiques et sociaux ou même de la guerre, paraît vraiment inquiétante ; trait significatif de son oscillation entre les deux réalités de sa vie.

‘"Je n'ose pas remuer. Au premier mouvement, tout cet édifice que je porte encore en moi s'en ira en poussière... Lever la tête? Pour que je voie, sur ces murs, tous ces héros et tous ces paysages devenir soudain pour moi étrangers et ennemis! Songez, Geneviève, à ce que doit ressentir un enfant de sept ans quand les grands hommes, les villes, les fleuves de sa petite histoire lui tournent soudain le dos. Regardez-les. Ils me renient". (Acte III, scène 4, p. 51) ’

Le monde bascule à ce moment ; les valeurs, les références s'inversent. A ce niveau, ce que Giraudoux met en évidence, c'est que l'identité humaine est pour une bonne part une identité sociale, l'Homme a besoin de racines, un conflit ou une confusion dans la détermination de son origine et de sa place dans le monde humain peuvent être chez lui source de perturbations psychiques majeures. La question qu'il se pose est alors de savoir si une rupture aussi radicale que celle qu'est contraint de subir Forestier--Siegfried peut vraiment être supportée. On sait que Giraudoux a donné deux réponses, correspondant respectivement à Siegfried et à Fin de Siegfried. La première est optimiste. Le choc que Siegfried subit en perdant l'Allemagne, qu'il aimait profondément, est compensé, en partie par le fait qu'il retrouve la France, et plus encore par le fait qu'il se retrouve lui-même.

Le personnage de Geneviève excelle dans le domaine de l'amour en personnifiant non seulement la passion personnelle mais l'obligation envers le pays natal, la "matrice" de la personnalité. "Tout t'attend en somme en France, excepté les hommes, Ici, à part les hommes, rien ne te connaît, rien ne te devine". (Acte III, scène 5, p.57). Geneviève représente la conclusion séduisante de la pièce, qui ramènera Forestier vers ses origines, et vers son amour, l'amour de la femme indifférente à l'héroïsme et au nationalisme, et dont la vocation profonde est la tendresse. Geneviève incarne ici l'authenticité mais on pourrait dire que sa solution proposée n'est pas la seule possible. La thèse inverse peut être défendue avec autant de légitimité. On peut très bien soutenir que nous ne sommes rien pour nous-mêmes, que ce qui nous fait être, ce sont les rôles que nous jouons et les actions dans lesquelles nous nous investissons. Peu importent nos origines : l'amnésie de Siegfried, qu'il vit comme une mutilation, est en fait pour lui une chance, puisqu'elle lui permet de révéler, dans les circonstances nouvelles où il se trouve placé, des potentialités qu'il n'aurait pas manifestées s'il avait su qu'il était Forestier : elle lui a permis de naître une seconde fois. La mémoire est en ce sens presque une malédiction, qui nous empêche de nous renouveler, qui nous attache à la pseudo-personnalité que nous croyons recevoir de notre passé, et nous met dans la dépendance des événements que nous avons vécus. En tant que femme émancipée et aventurière, Geneviève se présente également dans le schéma métaphorique négatif ; elle est capable de discerner les nécessités politiques ou sociales, de même que l'épouvantail de la guerre approchée, qui divisent la pensée de son aimé. Ses métaphores se réfèrent souvent aux objets simples et quotidiens, mais elle parle aussi d'une certaine manière érudite en utilisant des exemples historiques ou religieux.

‘"Je voyais lutter en vous chaque gloire de votre patrie passagère et de votre patrie retrouvée. Je m'étais juré le silence. Passer des armes en sous-marin à un duelliste, fut-il Bayard ou Napoléon, m'eût répugné. Mais s'il s'agit pour elles d'un duel entre aubes et crépuscules, d'un concours entre torrents et lunes, je suis dédiée de tout scrupule". (Acte IV, scène 6, p.70). ’

Malgré toutes ces confusions et toutes ces obscurités, le lecteur qui connaît la suite de l'Histoire peut distinguer l'intuition de base qui pousse le personnage de Giraudoux, Geneviève, à s'exprimer avec une fondamentale justesse : ce qui, dans l'Allemagne de la première moitié du siècle, menace la démocratie et le pacifisme, c'est pour une bonne part un idéalisme perverti. Le sens du dévouement à l’État, le mépris de l'individualisme et la volonté de former une communauté soudée, le goût de l'héroïsme et du dépassement de soi, exaltés par les plus grands philosophes de Hegel à Nietzsche et Heidegger, ont paradoxalement contribué à l'avènement de la barbarie. Puisque donc le romantisme pur porte en lui une attirance morbide pour la mort, il faut l'équilibrer. Le rêve de Siegfried - qui est à un premier niveau un plaidoyer pour une réconciliation des ennemis de la Grande Guerre - est, philosophiquement, de faire la synthèse de la poésie et de la prose, du mystère et de la raison, de l'Allemagne et de la France. Cette synthèse, le héros de la pièce n'a cessé de la tenter mais son souci reste encore de concilier les deux faces de lui-même. Dans Le voyageur sans bagages, Anouilh fera, dans le sillage exact de Giraudoux, l'éloge du pouvoir libérateur de l'amnésie, qui permet de refuser un passé lourd à porter ou déplaisant. Pourquoi ne pas préférer à la vaine quête de notre être authentique et originaire, la théorie du beau mensonge, comme le propose l'autre personnage féminin de la pièce, Éva ? Les images d'Éva, l'infirmière allemande, qui, à vrai dire, ne sont pas nombreuses, se trouvent surtout dans le domaine positif de l'amour puisqu'elle est éprise de Siegfried ; elle s'inspire de scènes issues de la vie ordinaire et familiale ainsi que de la nature allemande pour convaincre son amant de rester. Afin d'atteindre son but personnel, elle a même recours au réseau des impératifs sociaux perçu alors comme positif : "Entends la voix de ce peuple qui t'appelle. Entre cette lumière et cette obscurité, que choisis-tu? " (Acte III, scène 5, p.57). La véritable identité, c'est dans cette optique celle qui donne à l’existence le plus de cohérence et de sens. Le masque que les circonstances imposent de porter devient le vrai visage si on adhère suffisamment à lui. Puisque Siegfried vit en Allemagne depuis plusieurs années, puisque surtout c'est en Allemagne qu'il peut se rendre utile, il est allemand. Même s'il ne s'agit pas là d'un fait "exact", il peut s'agir là d'une vérité, si l'on fournit suffisamment d'efforts pour qu'elle en devienne une. Le malheur dans le cas précis, c'est que nous avons affaire à un personnage trop honnête pour accepter de s'automystifier : la capacité de se prendre pour un autre, qui fait les grands prophètes et les grands imposteurs, lui fait défaut. Robineau, l'ami lettré français, prêche la dignité de l'homme ainsi que la prudence dans une époque pleine de passions et d’ambitions extrêmes, à travers des images tirées de l'histoire et de la littérature ; "C'est lui [Siegfried] qui prétendait redonner à notre langue, à nos mœurs, leur mystère et leur sensibilité. Qu'il avait raison! Chaque fois que je lis Le Roman de la Rose j'en suis convaincu davantage... Introduire la poésie en France, la raison en Allemagne c'est à peu près la même tâche". (Acte I, scène VI, p.18). Il n'en reste pas moins que l'on trouve dans cette pièce l'opposition cardinale prose/poésie, dont les deux termes sont incarnés ici par les deux nations entre lesquelles Giraudoux sent son cœur balancer : la France et l'Allemagne. Des deux, c'est l'Allemagne qui symbolise bien sûr la poésie. Et l'on sent qu'en première instance, la comparaison avec sa rivale, dont les habitants ont trop souvent le cœur et l'esprit sec et se protègent trop systématiquement, comme avec un masque, de l'enthousiasme et de la passion, tourne en sa faveur. L'âme du peuple allemand se caractérise, comme celle de von Zelten, qui en est un exemplaire représentant, par "l’intimité avec les chimères, la distance avec la réalité". Concrètement, elle aime la nature, l'ombre des forêts, les neiges rigoureuses de l'hiver, la fraîcheur et la jeunesse du printemps, le mystère de la nuit. Et derrière ce monde naturel, elle sent l'omniprésence du surnaturel : ondines, dragons et Walkyries peuplent ses lacs et ses bois. Elle éprouve aussi une attirance pour le Moyen-Âge, son sens de la communauté et du sacré, ses villages et ses villes à colombages, à clochers et à pignons. Et ce qu'elle aime sans doute plus que tout, c'est la musique, art suprême qu'elle a porté à son plus haut point d'achèvement, et qui est peut-être à ses yeux le moyen d'exprimer ce qui échappe au langage, de faire sentir dans sa profondeur la réalité ultime des choses, celle qui se dérobe à l'intelligence conceptuelle. D'ailleurs, Zelten, le génie mystique de l'Allemagne et personnage dominant du réseau négatif, s'intéresse à la politique et se montre au courant de la vacillation intérieure de son adversaire, Siegfried.

‘"C'est à son mystère que Siegfried doit sa popularité! Celui que l'Allemagne regarde comme son sauveur, celui qui prétend la personnifier, lui est né soudain voilà six ans dans une gare de triage, sans mémoire, sans papiers et sans bagages. Les peuples sont comme des enfants, ils croient que les grands hommes arrivent au monde par un train..." (Acte I, scène 2, p. 9). ’

Le baron von Zelten, connu avant la guerre pour son goût de l'aventure et de la poésie, est l'homme qui fomente des putschs contre le trop libéral Siegfried et puisque sa révolution a échoué, il va se venger en détruisant psychologiquement son adversaire, en lui révélant qu'il n'est pas allemand mais français. Il est néanmoins étonnant de voir s’opposer, dans la discussion entre Waldorf et Ledinger, deux conceptions allemandes de la guerre : la première limitée et contrôlée par l'aristocratie militaire, l'autre démocratique et totale. Les images de Waldorf et Ledinger appartiennent à l'ensemble métaphorique négatif des impératifs sociaux, de la guerre et de la division interne, et s’inspirent de la vie rurale, des sciences et naturellement de la guerre. Leurs efforts pour transmettre leurs idées totalitaires à Monsieur le Conseiller Siegfried sont visibles à travers leurs paroles mais sans succès.

‘"WALDORF : Son vice [du chef d'état major] : il avait une mauvaise définition de la guerre! La guerre n'est pas seulement une affaire de stratégie, de munitions, d'audace. C'est avant tout, une affaire de définition. Sa formule est une formule chimique qui, d'avance, la voue au succès ou la condamne". (Acte II, scène IV, p.38). ’ ‘"LEDINGER : Toute nourriture d'État profite à l'Allemagne comme la phosphatine à un enfant géant. Que le serviteur de l'État chez nous dise un seul mot, et nos fleuves, au lieu de courir vers le Nord, deviennent de bienfaisants canaux, traversent de biais l'Allemagne, et soixante millions de visages se tournent vers l'Orient ou vers l'Occident, et de nouvelles notions de l'honneur et du déshonneur surgissent. Abandonner le service de l'Allemagne pour celui d'un autre peuple, c'est quand vous êtes laboureur, renoncer à la terre où les plantes poussent en un jour pour celle où elles ne fleurissent que tous les cent ans. Si vous aimez les fruits, ne renoncez pas à elle, et surtout pour servir la France". (Acte IV, scène 3, p.63). ’

A travers les images de ces généraux allemands, on constate que ce qui paraît grave est le fait que le goût de l'aventure et de l'héroïsme a dégénéré, chez le peuple allemand, passionné et rigoureux, en goût de la guerre et de la violence ; que l'amour de la patrie et la volonté de la servir avec rigueur s’est transformé en mépris d'autrui et en agressivité. Giraudoux est le témoin navré du drame de son époque : la civilisation qui développe la culture la plus riche, qui fournit le plus de scientifiques, de philosophes, et de musiciens, est aussi la plus belliqueuse, et la plus dominatrice. Il a manqué à l'Allemagne, dans ce siècle dont elle était la favorite, d'être simple, de concevoir simplement sa vie. Au lieu de suivre les instincts et les conseils de son sol, de son passé, du fait d'une science pédante et de princes mégalomanes, elle s'est forgé d'elle-même un modèle géant et surhumain, et au lieu de donner, comme elle l'a fait maintes fois, une nouvelle forme à la dignité humaine, elle n'a donné cette fois de nouvelle forme qu'à l'orgueil et au malheur. La voix modérée et sage du Prince de Saxe-Altdorf s'entend faiblement dans le réseau négatif des impératifs sociaux lorsqu'il s'efforce lui aussi d'influencer Siegfried en faveur de son pays adoptif :

‘"Quand vous touchez un Allemand au crâne, même d'une caresse, il n'est plus que détresse et vertige. Siegfried, de sa blessure au front, avait tiré des manuels de droit international, des dissertations sur le socialisme, une vue d'horloger sur notre politique..." (Fin de Siegfried, scène 2, p.91). ’

Le Prince semble prendre conscience que la véritable poésie allemande suppose qu'une certaine tendance à la surcharge dans l'ornementation et l'expression soit maîtrisée et dépassée, que règnent la simplicité, le silence mais surtout la raison et la sagesse dans la vie politique et les revendications nationales. Après les révélations de von Zelten, Siegfried ne se sent plus capable de jouer un rôle en Allemagne. Mais il ne peut plus non plus être français : son passé réel lui est en fait devenu étranger. Sans place sur terre, il est donc un homme brisé -Geneviève d'ailleurs, malgré l'émotion éprouvée en retrouvant l'homme qu'elle aimait, avait senti qu'à lui dire la vérité, elle risquait de le tuer. Mais s'il ne peut plus vivre en allemand, il peut encore se faire tuer pour l'Allemagne, acceptant d'être victime d'un attentat destiné à faire de lui un martyr, et à servir la cause pour laquelle il a lutté c'est la solution adoptée dans Fin de Siegfried. Cette mort utilitaire lui restitue d'ailleurs du même coup sa personnalité originelle, puisque son agonie, une fois blessé à mort, est celle qui aurait pu et dû être celle de Forestier dans les tranchées de la Grande Guerre : Siegfried meurt pour l'Allemagne, avec la sensibilité et les préoccupations d'un fantassin français. Cette mort, qui devrait être profondément tragique puisqu'elle consacre en un sens la destruction interne d'un être humain, est paradoxalement mise sous le signe d'une redécouverte de la lumière et de l'innocence. En bref, parmi les cinq champs métaphoriques positifs Siegfried privilégie surtout le champ de l'amour puisqu'il concentre un grand nombre de personnages. Presque tous les protagonistes de la pièce défilent ici : Siegfried, Geneviève, Eva, Robineau, Zelten excepté. L'amour de la patrie et la quête de la vérité regroupent chaque fois 2 personnages qui s'affrontent : respectivement Siegfried et Geneviève, Geneviève et Eva. Néanmoins, si l'amour a une présence forte et significative dans l'intrigue, c'est le champ négatif des impératifs sociaux et politiques qui réunit la plupart des héros et héroïnes (8 personnages au total) et qui guide le déroulement de l'action. En second lieu, les champs de la guerre et de la division interne rassemblent 5 héros chacun. En somme le réseau métaphorique négatif recrute 19 personnages tandis que le réseau positif n’en a que 10, ce qui nous pousse à reconnaître que les obligations et les impératifs de la société constituent un adversaire très puissant et sans merci contre les appels de l'amour.

Sur le plan des personnages, l'univers de Siegfried, tourne autour de Siegfried. Il est présent dans la plupart des champs métaphoriques (3 sur 5 dans le réseau positif et 3 sur 4 dans le réseau négatif) mais sa contribution n'est pas tellement riche. Il semble assez laconique sauf dans le champ de la division interne où il ne peut pas cacher son angoisse profonde concernant son identité et il cherche désespérément à la refouler. A côté de lui, le personnage qui s'avère le plus solidaire est Geneviève qui prend part à 3 champs métaphoriques positifs sur 5 et à 2 champs négatifs sur 4. Elle partage presque les mêmes champs que son aimé Siegfried, ce qui montre qu'elle partage aussi les mêmes réflexions mais elle est beaucoup plus volubile que lui surtout dans le domaine de l'amour. Eva, l'aimée allemande, est également fidèle au héros principal, elle est présente dans les champs de l'amour et de la vérité et ressent l'obsession de son amant malgré ses désirs personnels opposants. Robineau offre ses images dans 2 champs positifs sur 5 et dans 2 sur 5 des champs négatifs sur 5. L'amour et la dignité humaine occupent sa pensée autant que le crime et la guerre. Le fantôme de la guerre occupe les métaphores des Lédinger et Waldorf en exerçant sur eux une influence fascinante. Les généraux allemands bellicistes de même que le Prince de Saxe-Altdorf pacifiste prêchent les impératifs sociaux et politiques, même s’ils sont abordés avec une idéologie différente, et ainsi se placent-ils dans le même camp que Zelten. Lui n’apparaît que dans 2 champs du réseau négatif sur 4 et nulle part dans le réseau positif. Il devient particulièrement expressif en parlant des nécessités de la société et de la politique. On pourrait le considérer aussi comme un facteur catalytique dans le champ de la division interne où ses images nous laisse entrevoir qu’il connaît depuis longtemps la vérité et entraînent sa décision définitive de faire tomber les masques.

En général, par son aventure, Siegfried nous invite beaucoup moins à confronter deux génies ethniques qu'à réfléchir sur deux formes du patriotisme. Le patriotisme peut être pensé comme un enracinement spirituel ou comme un enracinement charnel ; il peut être l'un et l'autre, et aussi l'un ou l'autre : affaire de culture si la nation est regardée comme un système de valeurs, comme le foyer d'une civilisation typique, ou affaire d'instinct si la nation est une terre, un climat, une race, une assise vitale de la personnalité. D’une certaine façon, Siegfried était l'homme de la double conscience française et allemande et c'est ce qui donnait à son drame une actualité de circonstance. Sous un autre aspect, plus essentiel et plus permanent, Siegfried, c'est l'homme qui est Allemand par son passé conscient, c'est-à-dire par sa culture, puisque son amnésie lui a tout ôté de sa culture française, et qui est Français par son passé inconscient, par une sourde affectivité que la présence et les paroles de Robineau et de Geneviève ont peu à peu réveillée en lui ; et alors. son choix est beaucoup moins le choix de la France contre l'Allemagne, que celui de la patrie charnelle contre la patrie de l'intelligence. S'il était Allemand de naissance et devenait Français par accident, il aurait pu et dû opter en faveur de l'Allemagne exactement pour les mêmes raisons qui le font opter en faveur de la France. Ce qui est signifié ici des intentions de Giraudoux, c'est une tendance très essentielle de son éthique, la réduction des grands sentiments aux mouvements les plus simples du cœur. Et bien entendu, c'est par la voie des analyses les plus subtiles et souvent à travers les expressions de l'humour le plus précieux qu'il nous conduit vers cette exaltation du simple.