Judith (1931)

Réseau positif
  AMOUR
  Holopherne
rongeurs







professions






vêtements


mort



commerce




nature-animaux








professions


mythologie

On dirait qu'elles arrivent par le sol, taupes ravissantes. Dans l'heure où l'homme l'attend le moins, où la présence féminine semble exclue, par les souterrains de l'air, les courants de la terre, une femme arrive, et lui apporte la nuance de douceur ou de cruauté qu'il n'a pas connue.
( p.233, Acte II, sc.1V).

Et voilà toute la conclusion où mènent dix ans de conquêtes. Les grandes aventures sont pour ceux qui se ferment à clef dans des bureaux, qui se cachent au fond des tentes solitaires. Le philosophe par sa divagation, le général doucement doucement, des deux mains...
( p.233, acte II, sc.1V)

J'oublie toujours comment les femmes s'en vont, comment elles disparaissent de ma vie. Mais je me rappelle chaque détail de leur venue, dans quelle couleur de robe et de soleil, et cette première lueur de leurs dents sous leur premier sourire, par laquelle elle vous font croire à des os d'ivoire, à un squelette d'ivoire. ( p.233, Acte II, sc.1V)

Tu n'aimes personne. Hier, tu aimais le monde en gros. Aujourd'hui, tu le détestes en détail. D'ailleurs, les femmes comme toi n'aiment pas se donner pour la première fois à l'amour, mais à la contrainte et à la force.
( p.241, Acte II, sc. 7)

Si toutes ces litanies de nuit de noces juive, avec leurs collines qui bondissent comme des béliers, leurs montagnes qui se cabrent comme des taureaux, se chargeaient en un seul mot, prononcé tendrement, Holopherne...
( p.241, Acte II, sc. 7)

Et moi, j'ai enfin entendu ce que je n'avais jamais entendu. Mon nom prononcé comme un recours, un signal. Tu l'as crié comme on appelle un sauveteur de profession, la baigneur de la plage, celui dont la fonction est de sauver à bras-le-corps. ( p.241, Acte II, sc. 7)

Les jeunes filles sont toutes faites pour des monstres, beaux ou hideux, et elles sont données à des hommes. De là leur vie gâchée. ( p.243, Acte II, sc. 7)
  Jean

effets lumineux



visage


guerre




arbres




cris et bruits du quotidien









commerce


Par un sortilège, tu as donné à tout ton corps cet éclat que Dieu, pour les autres êtres, a réservé au visage. À distance, Dieu s'y trompe. ( p.207, Acte I, sc.5)

Dans ces bras qui te courbaient, au-dessous de cette bouche qui pressait la tienne, ta bouche esclave!
( p.207, Acte I, sc.5)

Partout où j'attaquais, ce qu'il y a de plus coupable en Judith s'empressait pour la défendre... ( p.207, Acte I, sc.5)

Étreins les arbres en leur disant le mot de passe. Il y a encore quelques gros, de la taille d'un géant. Et renie-les ensuite, s'ils prétendent, peupliers ou chênes, avoir connu ton étreinte! ( p.211, Acte I, sc. 6)

Mais chez Judith, le langage de semaine est suffisamment pathétique pour servir de langue d'amour. Cette faible plainte qu'elle a poussée le jour où déjà maladroit j'ai pris son doigt dans mon armure... Ce cri aigu par lequel elle appela au secours le soir où une de ses amies se noyait... Puis ces doux gargarismes, puis cette sorte de roucoulement qui s'exhalait d'elle à son insu, dans la gourmandise ou la danse... La voilà, la nuit de Judith... ( p.246, Acte II, sc.1)

Quand la passion de vivre n'est plus l'instinct chez une jeune fille, mais une recherche aussi forcenée et savante et quand, pour se réserver, dans son orgueil, non à un époux, mais au mariage, non à un amant, mais à l'amour, elle a tout essayé et tout rejeté autour d'elle, le premier vendeur étranger de bazar arrive, et la prend comme un pauvre poisson. ( p.246, Acte 3, sc.1)
  Judith
médecine



corps
Contre ce que j'ai éprouvé, un homme était le seul remède. ( p.241, Acte II, sc. 7)

Je veux dire que rien ne me sera épargné, que le duel Judith-Holopherne est devenu celui d'un corps brun et d'un corps blond. ( p.242, Acte II, sc. 7)
  DIGNITÉ DE L'HOMME
  Holopherne

pollution terrestre


















objets quotidiens


nourriture-
habitudes
quotidiennes


objets quotidiens





nature et objets du quotidien


corps et nudité


langage

C'est un des rares coins humains vraiment libres. Les dieux infestent notre pauvre univers, Judith. De la Grèce aux Indes, du Nord au Sud, pas de pays où ils ne pullulent, chacun avec ses vices, ses odeurs... L'atmosphère du monde, pour qui aime respirer, est celui d'une chambrée de dieux... Mais il est encore quelques endroits qui leur sont interdits; seul je sais les voir. Ils subsistent, sur la plaine ou la montagne, comme des taches de paradis terrestre. Les insectes qui les habitent n'ont pas le péché originel des insectes: je plante ma tente sur eux... Par chance, juste en face de la ville du Dieu juif, j'ai reconnu celui-ci, à une inflexion des palmes, à un appel des eaux. Je t offre pour une nuit cette villa sur un océan éventé et pur... Laisse là tes organes divins, tes ouïes divines et entre avec moi. Je vois d'ailleurs que tu commences aussi à deviner qui je suis.
( p.235, Acte II, sc.1V)
Ce que seul le roi des rois peut se permettre d'être, en cet âge de dieux: un homme enfin de ce monde, du monde. Le premier, si tu veux. Je suis l'ami des jardins à parterre, des maisons bien tenues, de la vaisselle éclatante sur les nappes, de l'esprit et du silence. Je suis le pire ennemi de Dieu. Que fais-tu au milieu des Juifs et de leur exaltation, enfant charmante? Songe à la douceur qu'aurait ta journée, dégagée des terreurs et des prières. Songe au petit déjeuner du matin servi sans promesse d'enfer, au thé de cinq heures sans péché mortel, avec le beau citron et la pince à sucre innocente et étincelante. songe aux jeunes gens et aux jeunes filles s'étreignant simplement dans les draps frais, et se jetant les oreillers à la tête, quelques talons roses en l'air, sans anges et sans démons voyeurs...! Songe à l'homme innocent... ( p.235-236, Acte II, sc.4)
Ne méprise pas de tels cadeaux. Je t'offre, pour aussi longtemps que tu voudras, la simplicité, le calme. Je t'offre ton vocabulaire d'enfant, les mots de cerise, de raisin, dans lesquels tu ne trouveras pas Dieu comme un ver. Je t'offre le plaisir, Judith... Devant ce tendre mot, tu verras Jéhovah disparaître... ( p.236, Acte II, sc. 6)
Crois-tu donc qu'il y ait spectacle plus doux que de voir la femme dénudée soudain de son Dieu, toute gauche encore dans cette liberté suprême? Quel dévêtement vaudra celui de ton enveloppe divine! Que tu es belle, Judith, et soudain simple! Tout ton corps me dit da vérité en syllabes pressantes! ( p.236, Acte II, sc.1V)
  Jean




conflits entre hommes et femmes




Mais ce chantage incessant de la nature, des femmes, de l'honnêteté sur un cœur qui niaisement se veut noble, un vaincu, grâce au ciel, le voit dans son enfantillage. Tout est limite, en ce bas monde, pour l'âme: la joie, l'amitié, la victoire, tout, excepté la défaite. C'est un homme libre qui est enfin devant toi; toutes les vraies forces du monde, mensonge, vengeance, poisons et vices, elles sont à mes ordres, et malgré tes beaux élans de poitrine, ô toi que j'aime, ton insulte au vaincu est aussi fade qu'un sourire au vainqueur. ( p.206, Acte I, sc.5)
  Joseph
espace
Sa sainteté est d'être un lieu humain, et non sacré... ( p.198, Acte I, sc. II)
  Judith


femme


Tout est femme en ce monde, de ce qui effleure, de ce qui embrasse, de ce qui salit. Toute emphase est femme. Tout ce qui m'a touchée déjà, tous ceux dont je connais déjà les larmes, les humeurs, les soupirs me semblent être du même sexe que moi. ( p.240, Acte II, sc. 6)
  Suzanne

femme

Oh! Judith, en devenant femme, nous ne changeons pas seulement d'état, mais de sexe, mais de race. Je voudrais préserver ce miracle qu'est Judith jeune fille.
( p.216, Acte I, sc. 8)
  ACCEPTATION DE LA CONDITION
HUMAINE
  Judith

corps féminins et nature





chasse


...tu n'es pas belle , tu [la sourde-muette Daria] es difforme, tu as des crins en place de chevaux, des pierres en place de dents, tu n'as même pas de vraie bonté dans les yeux, mais en ce moment, tu es ma mère, ma sœur et moi-même!!! ( p.244, Acte II, sc. 8)

Il n'y a pas d'histoire des peuples. Il n'y a que des histoires de chasses faites par lui à quelques pauvres hommes à demi intelligents et à quelques femmes à demi belles. Je suis à merci, Daria... Il triomphe... L'affaire Judith va être close pour lui dans un moment... ( p.244, Acte II, sc. 8)
Réseau négatif
  CRIME
  Egon

hérédité et prostitution







produit médicinal

mouvements
corporels


Tout grand aïeul crée autour de sa souche, pour la suite de ses héritiers, une zone d'inconscience, de saturation et d'irresponsabilité. Sur notre route, il n'y a guère eu que des noms illustres pour nous ouvrir clandestinement les poternes ou nous fournir en jeunes garçons. Si les descendants de Jacob ne peuvent pas être de bonnes maquerelles, à quoi bon Jacob? ( p.221, Acte II, sc.1)
Seul ce côté droit se tient debout près de moi en cette minute, tout pâle, sa tranche encore fraîche frottée de goudron infernal... Mets-toi plutôt à ma gauche, Lamias...
( p.224, Acte II, sc.1)
...que tous les mots sublimes, les gestes et les attitudes sublimes, ont dû fourmiller autour de moi. Rien ne m'en est parvenu. Je n'ai vu que des êtres dont le bavardage et la gesticulation aux portes de la mort. ( p.226, Acte II, sc.1I)
  Le Garde

insectes


rongeurs
C'était les esprits et leur avalanche! Et quand, lui mort, tu attendis infantilement la mort, sans bouger comme l'abeille après sa piqûre, nous avons rendu à nouveau le monde sonore, et tu as entendu l'araignée bricolant dans sa toile, et dans le sol du camp la sape de la taupe, et derrière le lit le mulot contre son grain d'avoine et enfin la voix de Suzanne... ( p.262, Acte 3, sc. 7).
  Judith
guerre




religion et mensonge




Toutes les armes découvertes et cachées, je les saurai. La plus dangereuse pour Holopherne, je l'ai déjà.
( p.217, Acte I, sc. 8)

J'ai tué au nom d'un autre Dieu que lui, et il n'en laisse rien paraître. Et il s'arrange hypocritement pour tout prendre à son compte. Et si je voulais, il m'accepterait comme sa première déléguée dans la ville avec nimbe au front jusqu'à ma mort, quitte à se rattraper plus tard.
( p.256, Acte 3, sc. 6)
  Sarah


visage



pêche




art dramatique




religion et supplices





travail


objets familiers



espèces humaines


Non. Toutes ses grands-mères ont brassé dans leurs alcôves un nombre incroyable d'yeux à fleur de tête, de peaux squameuses et de mentons en galoche pour produire l'ovale le plus parfait et le plus beau regard d'Israêl.
( p.222, Acte II, sc.1)
Et tu ne comprends pas que c'est l'orgueil même qui vient se jeter dans vos filets, en ce moment?
( p.222, Acte II, sc.1)

Tu sais parler, et je t'ai dit qu'elle était vierge: c'est donc avant tout une bavarde. Tu es le plus capable de diriger la comédie, de tirer d'elle le maximum de terreur, de vanité satisfaite, de roucoulements nationaux...
( p.323, Acte II, sc.1)

C'est aussi que l'injustice de Dieu me dépasse! Il n'y a de vraie martyre que riche. Regarde ce corps toujours oint, adoré et flatté, c'est vraiment le modèle du corps pour tous supplices... L'odeur de sainteté, et fait, c'est le parfum.
( p.226, Acte II, sc.1I)

Elle a peur... Voyez-la, raide et pâle, comme la fille du patron au milieu des grévistes. du patron Jéhovah!
( p.226, Acte II, sc.1I)

Méfie-toi, Seigneur! Tout n'est que flatterie et dentifrice dans cette bouche. ( p.227, Acte II, sc.1I)

Sur cette riche, tu as vengé tous les pauvres de la terre; sur cette bavarde, tous les bègues et les muets, sur cette étroite, tous les ventres ouverts jusqu'au nombril.
( p.231, Acte II, sc.1I)
  GUERRE
  Egon
la mode




compétition



nature douce et cruelle




cosmos






mouvement
corporel





corps
À la mode, oui, elle l'est. Elle a ce talent par lequel les vraies mondaines seules, dans les pires époques, savent mettre leur regard ou leur robe à la mode du malheur, de la guerre ou de la famine... Une fille, non?
( p. 226, Acte II, sc.1I)
La grandeur est la prime réservée à la défaite et à la victime. ( p.228, Acte II, sc.1I)

Te crois-tu plus éloquente que cette belle lumière qui argente maintenant sur tes remparts la vermine massée dans l'angoisse? Me crois-tu sourd? Crois-tu que ce silence du champ de bataille, ce cri d'oiseau de nuit voilé par sa becquée de viande humaine, le bruit de ce fruit qui choit soudain de l'arbre seule victime pacifique et naturelle de cette veille, et l'image d'une petite mère juive qui prie en pleurant dans sa soupente, en caressant son chien juif affamé, et l'indifférence des étoiles, et le mépris des vents, ne m'aient pas déjà tout dit en leur faveur? Tout est Judith dans cette supplication, et Judith pas plus que le reste. Pourquoi ta plainte arriverait-elle jusqu'à moi, par-dessus toutes les autres? ( p.228, Acte II, sc.1I)
C'est pas le clignotement de ces deux yeux vairons que la Judée nous a fait signe. ( p.229, Acte II, sc.1I).

Je t'avais menti, Judith. Je t'attendais. Ton nom était venu jusqu'à moi et point par cette procureuse. C'est lui que les plus beaux prisonniers prononçaient dans la torture, ce nom dont l'écho sans gencives n'arrive pas à redire les syllabes trop denses et que les lèvres humaines, doublées de dents, seules peuvent répéter, et toute cette armée avait l'air de ne défendre que toi. ( p.230, Acte II, sc.1I).
  Jean
guerre




guerre

Que pour le vrai soldat, il n'y a pas la victoire et la défaite, l'opprobre et la gloire: il y a le combat, dont elles sont les faces, éclairées ou sinistres. ( p.205, Acte I, sc.5)

Ne t'en inquiète pas. Le champ de bataille appelle, rêve tout haut, pleure; et il remue aussi, imperceptiblement. ( p.212, Acte I, sc. 7)
  Judith

maladie-inscectes





victoire et défaite






défaite



sports


Quelle lèpre que la défaite sur un uniforme! C'est l'été dans un poil de bête. Ce sont les mites dans l'acier et dans l'airain... Et dans les yeux du soldat, y a-t-il deux regards qui se ressemblent plus que celui de la déroute et celui de la lâcheté? ( p.205, Acte I, sc.5)

Ô défaite, tu illumines tout! Les remparts vaincus écroulés, le chien vaincu hurlant, chaque tête de vieillard ou d'enfant vaincu, une auréole les embrasse. Seul le soldat vaincu est terne, épouvantablement. Tout ce qui est drapeau ou clairon ou médaille devient soudain la boue du monde, et la patrie des couleurs ou des métaux même le renie!
( p.105, Acte I, sc.5)
Laisse-moi te toucher moi aussi, que je connaisse le froid de la cuirasse en déroute. Et t'embrasser, que j'aie sur mes lèvres le goût de la peau vaincue! ( p.205, Acte I, sc.5)

Ah! qu'il était plus beau mon voyage dans la nuit, Suzanne, non point tracé comme pour un coureur, mais où mon premier ennemi aurait été le gardien même de nos portes!
( p.217, Acte I, sc. 8)
  IMPÉRATIFS SOCIAUX
  Un domestique

apparitions
surnaturelles

Sa voix est là, c'est évident. Son corps n'est pas là. C'est un fantôme qui appelle. À tous les carrefours, dans tous les bazars, on entend ce cri depuis hier. Ce sont les morts qui appellent ta nièce. ( p.193-194, Acte I, sc.1)
  Le Garde

maladie
mort





vie rurale
Et nous, nous pleurions de joie de voir la haine enfin apparaître sur ce corps, restreinte d'abord comme le cancer du soleil. Et, délirants, nous préparions déjà rivet et cheville qui t'empêcheraient de tirer à toi le poignard du cadavre. Et quand te vint l'idée de poser sur le cercle la pointe... ( p.262, Acte 3, sc. 7)
Mais obéis-moi sur-le-champ; sinon, là, devant le peuple, je reprends forme et je fonce, et je lutte avec toi pour arracher de ton pharynx le mensonge de Dieu, et je te roule au sol comme le vacher la bergère! ( p.264, Acte 3, sc. 7)
  Jean


malformations humaines


flore





corps





musique



rituels


Et sur chaque place, cet amalgame de vieillards hystériques, d'enfants à bec-de-liévre et de femmes étoilées de lupus qui s'assemblent autour de chaque miracle en gestation, tu l'as entendu appeler sans répit Judith?...
( p.195, Acte I, sc.1)
Judith! Judith! Ce nom, qui a toujours désigné chez nous la fleur, le secret à son terme, tant de velours, tant de tendresse, écoute-les le marteler, l'aboyer, en faire pour l'éternité un appel de dureté, de stérilité...
( p.195, Acte I, sc.1)

Suis ton inspiration! On n'apprend aux femmes ni le meurtre, ni l'amour. Elles trouvent d'instinct le point de notre corps où loge la mort ou le plaisir. Tends la main, tu trouveras. ( p.212, Acte I, sc. 6)

Reçois cette femme... Dans les grandes heures, les autres êtres ne sont guère que des parties de notre propre concert... Fais entrer pour une fois en toi la part douce et honteuse...
( p.213, Acte I, sc. 6)

Pourtant ce n'est pas afin de clore nos bouches que le sort nous réunit tous les deux, comme le pleurer et la pleureuse, devant son lit de mariage... Ah! Il faut un récitant pour dépeindre sa nuit de noces!... ( p.246, Acte 3, sc.1I)
  Joachim



corps et machine



Le miracle n'est plus à venir, Joseph. Il est là. Le miracle est qu'au terme de son martyre cette ville, depuis deux mois aveugle et sourde, au seul nom de ta nièce, entend et voit. L'idée lui est venue de faire d'elle son chef. Tant mieux. Quand les plus terribles engrenages semblent vouloir se mordre pour toujours, seul un doigt d'enfant ou de femme peut se glisser entre eux et stopper la machine, le doigt de David, le doigt de Jahel, le doigt de Judith...
( p.197, Acte I, sc.1I)
  Joseph
habitudes humaines
quotidiennes




mort et guerre




flore





D'autres nations mâchent la gomme. Aux Juifs, il faut toujours un nom propre à sucer. Leur admiration n'est qu'un prétexte à s'occuper des affaires des autres. Ils sont pieux pour pouvoir s'occuper des affaires de Dieu.
( p. 195, Acte I, sc.1)
Je vois autour de moi la faim, la peste. Le moindre vent, du nord ou du sud, me rappelle qu'entre Holopherne et nous une armée de cadavres aussi nous assiège...
( p. 196, Acte I, sc.1I)

Notre maison est plus assiégée que nos remparts... Les offrandes, les bouquets la remplissent. À mesure que disparaît une de nos denrées ou un de nos régiments, il naît pour Judith dans la ville une nouvelle variété de fleurs... Nous en sommes aux orchidées, aujourd'hui... Évidemment, elle sait! ( p. 198, Acte I, sc.1I)
  Judith



objets quotidiens







vocabulaire



arithmétique



religion et mensonge





religion et sacrifice









Ou chez les ouvriers. Soyez plus démocrate... Vous vous entêtez à croire que Dieu réserve aux familles dirigeantes l'héroïsme et la sainteté. Notre histoire dévient un dictionnaire mondain. C'est un fils d'armateur qui a tué Goliath, un neveu de banquier qui a arrêté le soleil... Ce qui reste à accomplir d'exploits dans notre peuple, il serait équitable vraiment de le passer, non à la naissance et à l'or, mais à quelqu'une de ces tribus encore anonymes qui végètent entre les élues. Donnez une chance aux Lévy.
( p. 200. Acte I, sc.4)

Des adjectifs dans une heure pareille? Pour tenter de sauver ce peuple, ces prêtres sans honneur, ces enfants sans beauté, tu pars? ( p.211, Acte I, sc. 6)

La barre vient d'être tirée sous le total des yeux et des nez humains que je dois connaître. ( p.214, Acte I, sc. 8)

Ma pureté! Vous aussi employez ce langage de catéchisme et d'ouvroir. C'est pour une plus réelle leçon de choses que Jean vous a menée ici. Ma virginité vous voulez dire?
( p.216, Acte I, sc. 8)

Mais j'y vais surtout comme l'enfant au temple, pour répondre à une question, à une série de questions que j'ignore, mais dont mon seul langage a la clef. En fait, toute la journée, je ne me suis guère préparée à une offre de mon corps, mais à une espèce de concours d'éloquence. J'ai soigné ma voix, j'ai mangé à peine. Ce que je ressens, c'est moins un éblouissement de martyre qu'une sourde pression de discours, de raisonnements, destinés à prouver je ne sais quoi, mais que je prouverai. D'une phrase, Suzanne, j'ai déjà convaincu de plus obstinés, brouillé le désir de plus frénétiques. D'un mot et d'un sourire. Allons-y. Cette nuit sera peut-être le triomphe du sourire. Car, s'il le faut, je sourirai... ( p.217, Acte I, sc. 8)
  IMPÉRATIFS RELIGIEUX
  Un domestique
insectes Sur le chien mourant les poux, sur le peuple malade les prophètes. ( p.194, Acte I, sc.1)
  Le Garde



religion







puissance du divin




règne animal


alpinisme


objets quotidiens


corps

objets quotidiens


miroirs et
objets quotidiens


Le droit! Comment, le droit! Fille obstinée... Toutes les présences célestes qui depuis hier soir t'ont escortée, et plainte, et soutenue, et de leurs ailes autour de toi ont fait une cathédrale, tu viens de les forcer l'une après l'autre à se voiler la face et à partir, et d'elles toutes il ne reste plus que moi, et tu m'obliges, pour me rendre visible, à prendre l'enveloppe pesante et puante de ce garde.
( p.260, Acte 3, sc.7).
Tu penses que Dieu parle aux hommes, pour les voir écouter sa voix, comme le chien la voix de son maître, d'une tête stupidement inclinée au-dessus d'un corps idiot. Mais ceux qu'il a choisis, Dieu entend les oindre de l'orteil à la tempe, et tous il nous chargea cette nuit de te prendre entière dans son silence... ( p.260, Acte II, sc. 7)
Et tout ce que nous avons pris pour son clin d'œil et sa connivence, ce caresse dont elle a de loin caressé un oiseau de nuit, ce baiser qu'elle posa sur la lèvre d'un cheval blessé, ce n'était pas à nous qu'elle les donnait aux cousins célestes qui la croyaient mêlée à eux, cordée à eux dans tant de précipices comme l'alpiniste à ses guides, mais à la chevêche et au hongre. ( p.260, Acte 3, sc. 7)
Dieu ne déteste pas que ses paroles et ses jouissances vous parviennent par des corps et des peaux grossières... Ce sont ses filtres. Mais Dieu t'aimait. Mais Dieu avait décidé que d'Holopherne rien ne te toucherait, et il nous jeta sur ce corps en manteau transparent. Et Mikaël était la langue et la glotte, et Éphraïm était l'assise, et moi j'étais la main droite. Et toute la nuit le ciel prit le moule de toi et de ton déchaînement... ( p.261, acte 3, sc. 7)
Et soudain, tout disparut de sa vue, excepté un cercle exsangue sur la poitrine du dormeur, un cercle étroit et brillant, tel que le projette avec son miroir un enfant, et je ne sais avec quel miroir d'enfant Dieu le projetait, et, au centre de cet homme que tu croyais aimer, ce cercle, tu te pris à le surveiller et à le détester comme une cible!...
( p.262, Acte 3, sc. 7).
  Joachim

harem





jeux d'esprit
corps



religion


faune

Elle aime l'entrée brillante au théâtre, au restaurant, et maintenant dans ce harem sans danger qu'on nomme l'hôpital militaire. Je me suis irrité de voir la mode coiffer ce beau cerveau, gonfler cette belle gorge... Aujourd'hui je m'en félicite, car dans ces imperfections la main de Dieu va trouver les poignées pour la prendre... ( p.197, Acte I, sc.1I)

Notre Dieu n'est pas un dieu grec. Il ne parle point par rébus et par calembour. Il appelle chaque être par son nom et par ses entrailles, et l'hermine, et le bouc.
( p.200, Acte I, sc.4)

De te laisser aller comme une héroïne, de te reprendre comme une sainte. ( p.203, Acte I, sc.4)

Que tu aies été l'ange vengeur ou la scorpionne, c'est fait.
( p.257, Acte 3, sc. 6)
  Judith



objets familiers





phénomène naturel


encre


vocabulaire




la relève de la garde






pureté et virginité







pureté et souillure

feu

baiser




animaux






vêtements







peuple élu





pureté et souillure


chasse



effets sonores




oiseaux

animaux





vocabulaire




commerce






véhicule




assaut


physiologie humaine



religion



chant-langage





objets quotidiens

religion

vêtements




Entre tous les rayons du soleil, un rayon avait tout à coup une couleur spéciale, était son regard. Dans le débat surgi entre ma nourrice et mon oncle sur la façon d'obtenir la meilleure lessive se glissait tout-à-coup, entre les mots d'amidon, de savon, et de laveuses, un mot inattendu, éclatant, qui était sa parole. Je ne parle pas des caresses de sa main, dont je connais tous les secrets, de leur fraîcheur à leur brûlure. Il n'a même pas l'excuse de ne pas savoir mon nom. Il le sait. Vingt fois, pour des raisons frivoles, il l'a murmuré ou crié à mon oreille, avec cette résonance d'arc-en-ciel qui est l'accent de Dieu... Aujourd'hui, rien.
(p. .201, Acte I, sc.1V)
Sur ma peau, l'encre divine ne marque pas...
( p.202, Acte I, sc.1V)

Je n'ai pas peur des mots. Ils me vengent de leur contenu même. Celui-là, de leur contenu même. Celui-là, d'ailleurs, tout mon corps le crie... ( p.205, Acte I, sc.5)

Car c'est la relève, n'est-ce pas, Jean? Du jour par la nuit. Des beaux capitaines par les filles. Des hommes descendant par Dieu montant. La nuit et Dieu m'ont passé leur consigne, l'une bien noire, l'autre bien aveuglante. Aux hommes maintenant! Au beau capitaine... Mais il se tait...
( p.210, Acte I, sc. 6)
Elle n'est pas celle d'une vierge niaise. Elle n'est pas l'innocence, pas même la pureté. Elle est ma pureté. Ce n'est pas la privation forcée ou volontaire d'un sens, de frénésies, de joies, c'est une promesse logée en moi comme un fils, la promesse de la plus belle défaite, de la honte la plus orgueilleuse. Dieu la change en promesse de victoire. Cela le regarde. ( p.216, Acte I, sc. 8)

Tant pis! Ce serait trop beau qu'une femme ait été saccagée dans sa vertu, dans sa foi, que son Dieu, pour la bafouer, se soit entendu avec une entremetteuse, et qu'elle offrit au monde la même face! Je ne suis que honte, Holopherne. Je brûle de honte. Les lèvres d'Égon, je les sens marquées en blanc sur ce feu. ( p.233, Acte II, sc.4)
Vous n'effacerez pas le faux baiser de mon Dieu; il couvre mes joues, il est le plus infamant. ( p.234, Acte I, sc.4)

Ils me détaillent pas métaphores. Ils chantent mon innocence, qui est un agneau, mon audace, qui est un tigre. Cette emphase, dont le souffle de Dieu gonfle chacun de leurs mots et chacun de leurs gestes, elle m'est maintenant intolérable... Désormais, je serais muette.
( p.235, Acte II, sc.4)
Dieu s'occupe de l'apparence et de l'ensemble, non du détail. Dieu exige que notre œuvre ait la robe du sacrifice, mais il nous laisse libres, sous cet ample vêtement, de servir nos propres penchants, et les plus bas. Puisqu'il a épuisé mon dévouement et ma haine contre des pantins avant de me mettre en face du vrai Holopherne, c'est qu'il avait besoin de mon geste, non de mon appui! La première lingère aurait découvert Holopherne déguisé entre ses serviteurs. Pas moi, la sainte! Dieu veut me perdre! Je me perdrai! ( p.239, Acte II, sc. 6)
Dieu n'a pas encore trouvé d'autre moyen de choisir un peuple ou un être que de le maudire. Qu'il découvre un jour le sourire, et le peuple juif sera le peuple béni.
( p.241, Acte II, sc. 7)

Du jour où il m'a choisie, à cause de ma pureté, le regard de Dieu m'a souillée. Car je vais te paraître orgueilleuse, Daria, on ne peut dire cela qu'aux sourds, mais c'est à moi que Dieu en a, et non à Holopherne, et non aux Juifs. Sous les cataclysmes qui soulèvent les races et les hommes par millions, il dissimule son obstination à poursuivre un seul être et à mener un pauvre gibier à merci.
( p.244, Acte II, sc. 8)
Quel silence! Qu'un roi qui attend l'orgie, qu'une fille qui se perd, qu'un peuple qui va mourir, une armée qui se prépare à donner la mort, puissent produire ce silence, cela peut faire croire aussi à un Dieu sourd et muet...
( p.244, Acte II, sc. 8)
C'est bien l'aube... Ce bourrelet de sang sur l'horizon le ventre de la dernière chouette soudain de soufre, cette tente d'où passent ce pied livide et cette queue de chien qui soudain bat faiblement, transie de rosée, seul signe de bonté dans ce monde implacable... Le ciel plein de pus et d'or, l'homme et l'épée de rouille et de menace, Judith d'opprobre et de bonheur... L'aurore, comme ils disent...
( p.247, Acte 3, sc.1I)

C'est que la langue de Dieu vraiment n'est pas riche!
( p.249, Acte 3, sc.1V)

Dans la banlieue du Seigneur, le lundi matin, à l'heure où il ne reste que le beau commis endormi et la petite épouvantée de la semaine et de l'atelier qui va reprendre, après le dimanche de vin mousseux et de fugue, qu'elle comprend la mort de l'amant dans son suicide. La vérité de Dieu, laisse-moi rire! La vérité, tellement plus fatale des faits divers et des demoiselles de magasin...
( p.250, Acte 3, sc.4)
J'ai fermé les yeux juste une seconde, sous cette lassitude qui prend à l'aube le conducteur dans sa voiture... Mais cette seconde a été ma nuit, mon sommeil... et je me suis éveillée... Oui, pour la première fois je me suis éveillée à l'aube près d'un autre humain... Quelle chose épouvantable! Tout était déjà le passé, tout était hier. Tout un avenir douteux et jaloux préparait l'assaut contre une mémoire merveilleuse. ( p.251, Acte 3, sc.4)
Il a dans cette oreille un marteau qui frappe sur une enclume, qui excite un tympan. Il n'en faut pas plus pour transmettre une nouvelle jusqu'au fond des siècles...
( p.251, Acte 3, sc.4)

Holopherne était seul, Juifs, seul comme un prêtre!
( p.253, Acte 3, sc.5)

Pour un quart de minute, cessez donc votre fonction de Juifs qui est d'embaumer le mensonge dans des cantiques! Écoutez la vérité, et ses mots simples...
( p.255, Acte 3, sc.5)

Dieu en sera ravi. Il me déteste... Pas une fois depuis hier je n'ai senti sa pression ou sa présence. S'il me manie, c'est sans vouloir me toucher, comme un poignard dégoûtant dont on enveloppe la poignée d'un mouchoir. J'attendais qu'il me lançât sur Holopherne en jeune archange pur, fort, divinateur; avec quelle modestie, ce matin au réveil, lui aurais-je rendu ce manteau et cette lumière, et ce que vous appelez le miracle a eu lieu parce que j'ai été luxurieuse, parce que j'ai bégayé devant des soldats, et parce que j'ai menti. J'ai eu mon Dieu d'enfance, mon Dieu d'adolescence. Si mon Dieu de fille pubère et adulte se dérobe, tant pis pour lui. ( p.258, Acte 3, sc. 6)
  Otta


progéniture et idées abstraites
Méfiez-vous, Seigneur, méfiez-vous. Songez que de votre étreinte avec cette pucelle va naître une série d'êtres et de symboles déjà presque rayés de l'univers, le tailleur de casquettes et l'usure, le virtuose et la prophétie. Sans parler de l'éternité. Songez à toute cette progéniture.
( p.229, Acte II, sc.2)