Intermezzo(1933)

Réseau positif
  AMOUR
  Le premier bourreau
bourreau Salut au seul vrai condamné, à l'amant!
( p.313, Acte II, sc.1V)
  Le deuxième bourreau
bourreau Salut au seul vrai bourreau, à l'amour!
( p.313, Acte II, sc.1V)
  Le Contrôleur

saisons








professions



sculpture

fruits

insecte



cambrioleurs




vêtements








vocabulaire Des poids et mesures




soldats
Vous ne vous étonnez pas, à Paris, aux terrasses des cafés ou dans les salons littéraires de voir soudain un poète se lever et faire sans raison l'éloge du printemps. Madame Lambert est le printemps de notre ville. ( p.281-282, Acte I, sc.5)

Bref, cette beauté de province à laquelle rien ne m'empêchera en cette minute de rendre hommage en la personne de Madame Lambert, et sous tous les noms et formes qu'a revêtus Madame Lambert au cours de ma carrière pourtant encore si courte, quand elle s'appelait Madame Merle et était libraire à Rodez, Madame Lespinard, la bandagiste de Moulins, ou Madame Tribourty, la gantière de Castres... ( p.282, Acte I, sc.5)
Si les fourmis qui marchent dans les prairies ressemblent à la Victoire de Samothrace avec sa tête, à la Vénus de Milo avec ses bras, si le sang de la grenade colore leurs pommettes, celui de la framboise leur sourire, alors oui, Monsieur l'Inspecteur, et seulement dans ces cas, Isabelle ressemble à une fourmi. ( p.285-286, Acte I, sc.5)

Quelle marche légère est la vôtre, Mademoiselle Isabelle! Que ce soit sur le gravier ou les brindilles, on vous entend à peine. Comme les cambrioleurs qui savent dans les maisons ne pas faire craquer l'escalier, en marchant juste sur la tête des pointes qui l'ont cloué, vous posez vos pas sur la couture même de la province. ( p.305, Acte II, sc. 3)
Ne raillez pas mon costume. Lui seul en ce moment me soutient. Ou plutôt l'idée de celui, de ceux que devrait habiller ce costume. Oui, au fait, ceux à qui appartiennent ces vêtements, mon grand-père dont voilà la canne, mon père, qui jugea cette jaquette encore trop neuve pour l'emporter dans la tombe. Seul ce melon est à moi. Aussi il me gêne, surtout moralement. Permettez-moi de le déposer.
( p.329, Acte 3, sc. 3)
Chaque soir, quand le soleil se couche et que je reviens de ma tournée, il me suffit d'habiller le paysage avec le vocabulaire des contrôleurs du moyen âge, de compter soudain les routes en lieues, les arbres en pieds, les près en arpents, jusqu'aux vers luisants en pouces, pour que les fumées et les brouillards montant des tours et des maisons fassent de notre ville une de ces bourgades que l'on pillait sous la guerres de Religion, et que je me sente l'âme d'un reître ou d'un lansquenet. ( p.330-331, Acte 3, sc. 3)
  AMOUR DE LA PATRIE
  Le Droguiste
effets sonores et lumineux Il y a trois bruits qui sont le diapason de notre pays, le ratissage des allées dans le sommeil de l'aube, le coup de feu d'après vêpres, et les clairons au crépuscule...
( p.294, Acte I, sc. 7)
  ACCEPTATION DE LA CONDITION HUMAINE
  Le Contrôleur



professions




domaine maritime


domaine humain et maritime


vie aquatique
On parle toujours des yeux des officiers de marine, Mademoiselle Isabelle. C'est que les contribuables, en versant leurs impôts, ne regardent pas le regard du percepteur. C'est que les automobilistes, en déclarant leur gibier, ne plongent pas au fond des prunelles des douaniers. C'est que les plaideurs ne s'avisent jamais de prendre dans leurs mains la tête du président de cour et de la tourner doucement, tendrement vers eux en pleine lumière. Car ils y verraient le reflet et l'écume d'un océan plus profond que tous les autres, la sagesse de la vie. ( p.332, Acte 3, sc. 3)
Je calfeutre hermétiquement cette cloche à plongeurs qu'est une maison humaine. ( p.333, Acte 3, sc. 3)

Je ne suis pas pour connaître les secrets. Un secret inexpliqué tient souvent en vous une place plus noble et plus aérée que son explication. C'est l'ampoule d'air chez les poissons. Nous nous dirigeons avec sûreté dans la vie en vertu de nos ignorances et non de nos révélations.
( p.334-335, Acte 3, sc.1V)
  Le Droguiste

art dramatique




objets



corps



effets sonores



vie maritime




art poétique
À mon âge, Mademoiselle, chacun se rend compte du personnage que le destin a entendu lui faire jouer sur la scène de la vie. Moi, il m'utilise pour les transitions.
( p.293, Acte I, sc. 7)

Ce n'est pas précisément ce que je veux dire. Mais je sens que ma présence sert toujours d'écluse entre deux instants qui ne sont pas au même niveau de tampon entre deux épisodes qui se heurtent, entre le bonheur et le malheur, le précis et le trouble, ou inversement. ( p.293, Acte I, sc. 7)
J'arrive, et, par cette seule présence, le passé prend la main du présent le plus inattendu. ( p.293, Acte I, sc. 7)

La nature adore que ce soit de cet être qui rend en général en marchant et en parlant un son si faux, de l'homme, que parte l'harmonie suprême.
( p.315, Acte II, sc.5)

Sur une note juste, l'homme est plus en sécurité que sur un navire de haut bord. ( p.316, Acte II, sc.5)

Cette survivance qu'est la mort n'est pas ouverte d'office à ceux qui parlent bien ou pensent fort. Les gens croient que le talent, le génie, donnent droit à la mort. C'est bien plutôt le contraire. Ils sont une exaspération de la vie. Ils consument chez ceux qui les portent toute immortalité. Les poètes sont ceux qui se dévouent pour mourir tout entiers, pour sauvegarder l'existence future de la silencieuse sœur du poète, de l'humble servante du poète. Rappelez-vous celui qui est venu l'autre mois de Paris nous parler de son œuvre: quelle éloquence! Il rimait même dans sa prose sans le vouloir, comme un cheval qui forge; mais tout cela était périssable. Excepté un court moment où, pendant son discours même, il a été soudain distrait, il se souriait à soi-même. Il pensait sans doute à sa collection de cannes, à sa chatte buvant du lait trop chaud... C'était sa seule chance de rejoindre un jour les morts. ( p.327, Acte 3, sc.1I)
  Le Spectre



homme et animaux






effets lumineux




objets familiers


terre et enfer



animaux

Mais soudain l'homme arrive. Alors toutes elles le contemplent. Il a trouvé des recettes pour rehausser à leurs yeux sa dignité sur la terre. Il se tient debout sur les pattes de derrière, pour recevoir moins de pluie et accrocher des médailles sur sa poitrine. Elles frémissent devant lui d'une hypocrite admiration et d'une crainte que ne leur inspire même pas le tigre, dans l'ignorance où elles sont qu'à ce bipède seul, entre tous les carnivores, les dents s'effritent. Alors c'en est fait. Toutes les paroles de la réalité dans lesquelles transparaissaient, pour elles, mille filigranes et mille blasons deviennent opaques, et c'est fini. ( p.336-337, Acte 3, sc.5)
Adieu, Isabelle. Ton contrôleur a raison. Ce qu'aiment les hommes, ce que tu aimes, ce n'est pas connaître, ce n'est pas savoir, c'est osciller entre deux vérités ou deux mensonges, entre Gap et Bressuire. Je te laisse sur l'escarpolette où la main de ton fiancé te balancera pour le plaisir de ses yeux entre tes deux idées de la mort, entre l'enfer d'ombres muettes et l'enfer bruissant, entre la poix et le néant. Je ne te dirai plus rien. Et même pas le nom de la fleur charmante et commune qui pique notre gazon, dont le parfum m'a reçu aux portes de la mort et dont je soufflerai le nom dans quinze ans aux oreilles de tes filles. Prends-la dans ce piège à loups que sont tes bras et que plus jamais elle n'en échappe.
( p.337, Acte 3, sc.1V)
Réseau négatif
  CRIME
 
  L'Inspecteur
 

objets



insectes






insectes


références mythologiques
Il peut revenir sans s'être noyé. Le criminel revient toujours au lieu de son crime, comme le boomerang aux pieds de son maître. ( p.281, Acte I, sc.5)

J'étais sûr qu'il y avait des femmes à la base de ces turpitudes. Dès qu'on laisse un peu de liberté à ces fourmis dans l'édifice social, toutes les outres en sont rongées en un clin d'œil. ( p.284, Acte I, sc.5)

Non, je ne distingue pas, Mademoiselle. Même affairement, même bavardage dès que deux se rencontrent. Même cruauté vis-à-vis de qui pénètre dans leur cercle. Et leur taille. Et tous ces paquets qu'elles portent. Absolument des fourmis.
( p.284, Acte I, sc.5)

Vous savez manier la flèche du Parthe, Mademoiselle.
( p.285, Acte I, sc.5)
 
  Le Maire
 
musique Il s'agit bien des diapasons. Vous venez d'entendre, il s'agit de meurtre. ( p.314, Acte II, sc.1V)
 
  IMPÉRATIFS SOCIAUX
 
  Le Contrôleur
 

maison
L'inconvénient du système, évidemment, est que j'en arrive à leur montrer le ciel comme un plancher et non un plafond, la nuit comme quelque chose sur quoi l'on marche. ( p.299, Acte II, sc.1)
 
  Le Droguiste
 

sports



nature cultivée


flore







objets quotidiens, flore et faune


Peut-être en rencontra-t-on plus tard, quand se sera accumulé sous les allées et venues des joueurs de golf mâles et femelles cet homme de mots banals et de vrais aïeux, de bouts de cigares et de houppettes, de rivalités et de sympathies, nécessaire pour humaniser un sol encore primitif? Pour le moment, ces beaux terrains bien dessinés, exhaussés, surveillés, sont certainement les moins maléfiques!... D'autant plus qu'on les plante en gazon anglais, c'est-à-dire avec la graminée la moins chargée en mystère... Ni jusquiame, ni centaurée, ni vertadine... Il est vrai qu'ici vous avez ces plantes, à ce que je vois, et même la mandragore.
( p.272, Acte I, sc.1)

Regardez la franchise de cette silhouette! Près de chaque être, de chaque objet, elle semble la clef destinée à le rendre compréhensible. Voyez-la à cheval sur ce baliveau, faisant valser cet ânon, en agitant un chardon, pendant que ses élèves dansent une ronde autour d'eux: la nécessité des ânons dans ce bas monde devient fulgurante... Celle des petites filles aussi, d'ailleurs... ( p.274-275, Acte I, sc.1V)



 
  L'Inspecteur
 
vie écolière



vie écolière


maison


arbre
animal-insecte




mathématiques







objets quotidiens




couleurs


vie écolière


minéral


science


constructions
humaines








inventions
humaines

inventions
humaines

inventions
humaines

corps

objets quotidiens
science





mathématiques

J'entends que l'ensemble des élèves montre au maître le même visage sévère et uniforme qu’un jeu de dominos.
( p.286, Acte I, sc. 6)

Elles n'ont pas à être gaies. Vous avez au programme le certificat d'études et non de fou rire. ( p.286, Acte I, sc. 6)

Le plafond, dans l'enseignement, doit être compris de façon à faire ressortir la taille de l'adultère vis-à-vis de celle de l'enfant. Un maître qui adopte le plein air avoue qu'il est plus petit que l'arbre, moins corpulent que le bœuf, moins mobile que l'abeille, et sacrifie la meilleure preuve de sa dignité.
( p.287, Acte I, sc. 6)

D'ailleurs, au fait, d'où vient que, pour elles aussi, deux et deux font quatre? Par quelle aberration nouvelle, quel raffinement de sadisme, cette femme a-t-elle imaginé cette fausse table de multiplication absolument conforme à la vraie!... Je suis sûr que ton quatre est un faux quatre, un cinq dévergondé et dissimulé. Deux et deux font cinq, n'est-ce pas, ma petite? ( p.290, Acte I, sc.5)

Je vais leur apprendre ce qu'est la vie à ces nigaudes: une aventure lamentable, avec, pour les hommes, des traitements de début misérables, des aventures de tortue, des retraites inexistantes, des boutons de faux col en révolte, et pour des niaises comme elles, bavardage et cocuage, casserole et vitriol. ( p.291, Acte I, sc. 6)

Le noir a toujours été dans notre pays la couleur de la jeunesse... ( p.292, Acte I, sc. 6)

Félicitations. Cela nous donne une haute idée de l'enseignement primaire aux Enfers. ( p.292, Acte I, sc. 6)

L'Humanité est ... une entreprise surhumaine Qui a pour objet d'isoler l'homme de cette tourbe qu'est le Cosmos...
...
Grâce à deux forces invincibles, qu'on nomme l'Administration et l'Instruction obligatoire.
...
Lotissant les parcs, démolissant les cloîtres, érigeant des édicules d'ardoise et de faïence au pied de chaque cathédrale ou de chaque monument historique, faisant des égouts les vraies artères de la civilisation, combattant l'ombre sous toutes ses formes et surtout sous celle des arbres. Qui ne l'a pas vue abattant les allées de platanes centenaires sur les accotements des routes nationales n'a rien vu. ...
Et l'Instruction obligatoire isole son âme, et chaque fois que l'Humanité se délivre d'une de ses peaux spirituelles, elle lui accorde, en prime, une découverte absolument correspondante. L'Humanité a cessé au dix-huitième siècle de croire aux feux et aux soufres de l'Enfer, et dans les dix ans elle a découvert la vapeur et le gaz... ...
Elle a cessé de croire aux esprits, et elle a inventé, la décade suivante, l'électricité......
À la parole divine, et elle a inventé le télé...
( p.325, Acte 3, sc.1)

Ce sont des vibrations d'onde, petite femelle humaine, qui agissent sur des parties différenciées de votre derme ou de votre endoderme, appelées sens... Voilà... Elle rosit. La science est encore le meilleur flacon de sels. Passez les atomes et les ions sous le nez d'une jeune institutrice évanouie, et elle renaît aussitôt. ( p.338, Acte 3, sc.5)

Notre joie est grande, chers concitoyens, à constater que, dans une ville où les notions humaines étaient en désaccord, il a suffit de notre présence pour réduire les imaginations les plus diverses par ce commun diviseur qu'est la démocratie éclairée. ( p.342-343, Acte 3, sc. 6)
 
  Isabelle
 
religion Ce qu'on appelle ainsi c'est tout au plus la religion humaine et elle est un égoïsme terrible. Son dogme est de rendre impossible ou stérile toute liaison avec d'autres que les humains, à désapprendre, sauf la langue humaine, toutes les langues qu'un enfant sait déjà. ( p.307, Acte II, sc. 3)  
  Le Maire
 
religion Une justice qui veut être saine exige des criminels sains.
( p.304, Acte II, sc.1I)
 
  L'IRRÉEL
 
  Le Contrôleur
 


effets lumineux






vie pastorale


mort
Tout ce que l'on sait des spectres, c'est qu'ils sont terriblement fidèles. Leur manque d'occupation le leur permet. Vous verrez apparaître sa tache grise dans les heures où il ne sera qu'un importun et vous n'aurez finalement gagné, à regarder la mort en face, que ces troubles de vue qu'on prend à regarder fixement le soleil.
( p.308, Acte II, sc. 3)
Leur jeu est bien connu. Ils s'occupent à séparer un être de la masse des humains. Ils l'attirent par la pitié ou la curiosité loin du troupeau qui se plaît aux robes et aux cravates, qui aime le pain et le vin et ils l'absorbent. Votre spectre ne fait point autre chose. ( p.308-309, Acte 3, sc. 3)
Parce que j'aurai été consciencieux. Parce que les morts exigent seulement de nous de n'être rejoints qu'après une vie consciencieuse. C'est de cela qu'ils nous demandent compte. ( p.335, Acte 3, sc.1V)
 
  Le Droguiste
 
effets lumineux


pierres précieuses




règne animal









art poétique



jeux de hasard



nature
animaux
oiseaux



musique-
personnage
mythologique
objets familiers



effets sonores






mouvements corporels


vocabulaire








sports


médication



personnages littéraires

musique

Et vous leur parlez de nos astres devant un ciel vide? Mauvais système, et qui risque d'exciter la concupiscence de ces jeunes demoiselles: elles vont se mettre à désirer les étoiles comme des diamants. ( p.298, Acte II, sc.1)
Parce que je n'imagine pas qu'une pareille atmosphère se soit amassée sur notre ville gratuitement. Chaque fois que la nature a pris, vis-à-vis d'une agglomération d'hommes, ce ton d'ironie, ce froncement comique et inquiétant du front de l'éléphant que son cornac énerve, il en est toujours résulté un événement mystérieux, naissance d'un prophète, crime rituel, découverte d'une nouvelle espèce animale. C'est dans un de ces instants que le premier cheval est apparu soudain devant la caverne de nos ancêtres. Nous ne ferons pas exception.
( p.300, Acte II, sc.1)


Elle est bien plutôt dans cet état où tous les vœux s'exaucent, où toutes les divagations se trouvent être justes. Chez un individu, cela s'appelle l'état poétique. Notre ville est en délire poétique. ( p.300, Acte II, sc.1)


La ville est en état de chance, comme un individu à la roulette qui gagne à chaque coup sur le numéro plein.
( p.300, Acte II, sc.1)

Car la nature n'est jamais grosse impunément. Les montagnes n'ont jamais accouché d'un rat, ni les orages d'un oiseau, mais de lave et de foudre. Tout va s'y mettre pour nous créer un spectre, la lumière, l'ombre, la bêtise, l'imagination, les spectres eux-mêmes, s'ils existent, sans compter l'Inspecteur. ( p.300-301, Acte II, sc.1)
Je préfère encore ce modèle dans lequel on souffle, - ne soufflez pas encore, mon ami -, et qu'on prendrait pour la flûte de Pan, la vraie, celle d'une note unique, à ce second de métal qui ne ressemble qu'à l'aimant. Ne le prenez pas ainsi, cher ami, vous le tenez comme un fer à friser.
( p.315, Acte II, sc.5)
Si deux pièces d'un sou s'étaient égarées dans la doublure de ma poche, j'aurais tinté comme une mule avec ses sonnailles, et toute la musique du monde s'y cachait, en silence...
( p.315, Acte II, sc.5)

Connaissez-vous une aventure de spectre sans jeune fille? C'est justement qu’il n'est pas d'autre âge qui mène naturellement à la mort. Seules, les jeunes filles pensent à elle sans l'amoindrir ou sans l'amplifier. Seules, elles l'approchent, non en pensée et en théorie, mais physiquement, mais par leur robe ou par leur chair. Il y a des pas de vous qui mènent à la mort et que vous entremêlez dans vos danses mêmes. Il y a dans vos conservations les plus gaies des phrases du vocabulaire infernal. Un jour, en sa présence, le hasard vous fera dire le mot qui ouvrira pour lui la porte du souterrain, à moins que vous ne l'y ameniez par un de ces élans ou de ces élans ou de ces abandons du genre de ceux qui conduisent les vivants à la pression ou à l'enthousiasme? ( p.327, Acte 3, sc.1I)
Mademoiselle Isabelle n'est ni une baigneuse noyée, ni une alpiniste gelée. Elle est tombée, par crime ou par mégarde, dans une anesthésie dont vous devinez comme moi le principe. Le seul massage, la seule circulation artificielle que nous puissions pratiquer dans ce cas, c'est de rapprocher d'aussi près que possible de sa conscience endormie le bruit de sa vie habituelle. Il ne s'agit pas de la ramener à elle, mais de la ramener à nous. ( p.339, Acte 3, sc. 6)
Et voici qu'approche le dénouement de ce nouvel épisode de Faust et de Marguerite. Le chœur des Séraphins évidemment nous manque, mais la rumeur des manilleurs, des Mangebois et des enfants, c'est là aujourd'hui le chœur qui, dans sa curiosité, son indifférence, supplie pour elle, et je ne le crois pas moins puissant. ( p.341, Acte 3, sc. 6)
 
  L'Inspecteur
 

nourriture





objets familiers

oiseaux



organes humains






objets quotidiens






objets



objets


mystifications diverses









comportement d’oiseau

nourriture




phénomène naturel


au-delà


désincarnation

Qu'ils entendent donc ceci: Esprits, formes de vide et de blanc d'œuf (vous voyez, je ne mâche pas mes mots, s'ils ont un peu de dignité, ils savent ce qui leur reste à faire), l'humanité en ma personne vous défie d'apparaître! Vous avez là une occasion unique, étant donné la qualité de l'assistance, de reprendre un peu de crédit dans l'arrondissement. Je ne vous demande pas d'extirper de ma poche une perruche vivante, opération classique, paraît-il, chez les esprits. Je vous défie d'obtenir qu'un vulgaire passereau s'envole de cet arbre, de ce bosquet, de cette forêt, quand j'aurai compté trois...
( p.275, Acte I, sc.1V)

Tu m'entends, Asphlaroth, mes organes les plus vils et les plus ridicules te défient aujourd'hui. Non pas mes poumons, mon cœur, mais ma vésicule biliaire, ma glotte, ma membrane sternutatoire... Frappe l'un d'eux de la moindre douleur, de la moindre contraction, et je crois en toi... ( p.276, Acte I, sc.1V)

Je sais ce qu'est en réalité un bourg hanté. Les
batteries de cuisine qui résonnent la nuit dans les appartements dont on veut écarter le locataire, des apparitions dans les propriétés indivises pour dégoûter l'une des parties. De là les commères au travail. De là la suspicion et l'agitation poussées à la calomnie et jusqu'au crime. Vous aviez à élire un conseiller général. Il en est résulté des rixes autour des urnes, évidemment, des rixes sanglantes. Ma foi, tant pis: l'urne, même électorale, appelle le cadavre.
( p.276, Acte I, sc.1V)
En ce qui vous concerne aussi, la coupe est pleine. C'est grâce à votre éternel sourire et à votre silence perpétuel que notre lutte contre l'influence d'Isabelle n'a pas fait un pas dans la sous-préfecture. J'ai l'impression que vous n'êtes pas étranger à ces mystifications continuelles qui pouvaient avoir jadis leur sel dans quelque résidence de Thuringe, mais qui font tourner le cœur du citoyen éclairé. À minuit, une main facétieuse ajoute un treizième coup aux douze coups du beffroi. Il suffit qu'un haut fonctionnaire s'asseye sur un banc pour que ce banc devienne fraîchement peint, ou à une terrasse pour que le sucre refuse de fondre dans son café, même bouillant. Un martinet vient de me frapper en plein fouet, en pleine poitrine, habitué sans doute à traverser vos spectres. Je lui ai opposé pour son malheur la densité humaine, mais mes binocles de rechange sont en morceaux. ( p.303, Acte II, sc.1I)

Mais j'ai remarqué qu'à côté du vrai déjeuner de viandes et de crèmes, elle picorait, sans s'en douter elle-même, des miettes de pain, des grains de riz, des bribes de noisette, bref qu'elle faisait un de ces repas justement qu'on met dans les tombes. Qui, en elle, nourrissait-elle ainsi? Et dans sa toilette, à côté de sa robe, de son collier, j'ai distingué une seconde Isabelle, toute pâle, parée et préparée pour un rendez-vous infernal.
( p.304, Acte II, sc.1I)
Alors, c'est un halo. C'est le halo bien connu de Chevreul. Sa composition est plus instable encore que celle de l'eau. Le moindre geste va le dissiper. ( p.320, Acte II, sc. 7)
La tête est tiède, les mains froides, les jambes glacées. Notre visiteur d'outre-tombe a eu la maladresse de l'entraîner d'abord par les pieds. C'est une chance. ( p.337, Acte 3, sc.5)
Le pays d'où revient Isabelle n'est pas l'évanouissement, mais la désincarnation peut-être, l'oubli suprême. Ce qu'elle réclame, ce sont des vérités universelles, et non des détails d'ordre particulier! ( p.338, Acte 3, sc.5)
  Isabelle
 
école





relations Des vivants et des morts












races humaines




insectes





visage





pierre précieuse






nature



oiseau
fleurs







moyens de transport
vie aquatique






pierres et cimetières






mauvais temps





effets lumineux
objets
animaux-arbres



objets familiers

effets lumineux




pierres précieuses


professions





poids et mesures

personnages historiques


tissus

C'est que dans ma notation, j'ai adopté le zéro comme meilleure note, à cause de sa ressemblance avec l'infini.
( p.288, Acte I, sc. 6)

Je sens très bien au contraire que ce qui me plaira dans la mort, c'est la paresse de la mort, c'est cette fluidité un peu dense et engourdie de la mort, qui fait qu'en somme, il n'y a pas des morts, mais uniquement des noyés... Ce que je peux faire pour la mort, je ne peux l'accomplir que dans cette vie... Écoutez-moi... Depuis mon enfance, je rêve d'une grande entreprise... C'est ce rêve qui me rend digne de votre visite... Dites-moi: il n'y a donc pas encore eu de mort de génie, de mort qui rende la foule des morts consciente de sa force, de sa réalité, un empereur, un messie des morts? Ne croyez-vous pas que tout serait merveilleusement changé, pour vous et pour nous, s'il surgissait un jeune mort, une jeune morte, - ou un couple ce serait si beau, - qui leur fasse aimer leur état et comprendre qu'ils sont immortels. ( p.296, Acte I, sc. 8)

C'est curieux comme toutes les races se connaissent mal! La race des Indiens se croit rouge, la race des nègres se croit blanche, la race des morts se croit mortelle.
( p.296, Acte I, sc. 8)

Tout ce que l'on nous a appris, à mes camarades et à moi, c'est une civilisation d'égoïstes, une politesse de termites. Petites filles, jeunes filles, nous devions baisser les yeux devant les oiseaux trop colorés, les nuages trop modelés, les hommes trop hommes, et devant tout ce qui est dans la nature un appel ou un signe. Nous sommes sorties du couvent en ne connaissant à fond qu'une part bien étroite de l'univers, la doublure intérieure de nos paupières. C'est très beau, évidemment, avec les cercles d'or, les étoiles, les losanges pourpres ou bleus, mais c'est restreint, même en forçant sa meilleure amie à appuyer de son doigt sur vos yeux.
( p.307, Acte II, sc. 3)
Je veux un mari comme je voudrais un diamant, pour les joies et pour les feux qu'il me donnera sans s'en douter. Mille choses de lui me feront sans cesse des signes qui le trahiront et le spectre à son égard sera sûrement plus loyal que sa propre apparence. ( p.308, Acte II, sc. 3)

Moi aussi, si j'étais spectre, je m'attarderais dans ce crépuscule et ces vallons où je n'ai pu jusqu’ici mener qu'un corps opaque. Buissons, ruisseaux, tout me retiendrait de ce qui ne m'arrêterait plus. Je ne serais pas encore là si je peux que toucher ou que voir, et me donner pour squelette, selon mon humeur, un oiseau immobile sur sa branche, ou un enfant, ou de biais, un églantier avec ses fleurs. Contenir, c'est la seule façon au monde d'approcher...
( p.316, Acte II, sc. 6)

Nous avions pensé hier, après tous nos échecs, que ce qui avait le plus de chance de les alerter, de les émouvoir, d'éveiller ce qui peut-être les nerfs d'une ombre, d'un brouillard, ce devait être une espèce de long cri, de longue plainte, uniforme, répétée longuement. Comme ce cri vrai ou rêvé de locomotive qui nous éveille parfois à l'aube entre les vivants. Ou de cri de sirène des paquebots, la nuit dans les estuaires, dont les molles méduses elles-mêmes sont atteintes. ( p.316, Acte II, sc. 6)
Parmi ceux qu’a pris le sort autour de moi, il en est que j'ai sentis dès la première heure pour toujours disparus, rayés désormais de toute mort. Je les ai lâchés sur le néant comme une pierre. Mais il en est d'autres que j'ai donnés à la mort comme à une mission, à une tentative, dont la mort m'a paru au contraire un accès de confiance. L'atmosphère du voyage et du continent inconnu flottait autour du cimetière. On n'était pas tenté de leur dire adieu par des paroles, mais par des gestes. Tout l'après-midi, je les sentait occupés à découvrir un nouveau climat une nouvelle flore. Il faisait soleil, et je les voyait là-bas soudain touchés par leur nouveau soleil. Il pleuvait, et eux recevaient les premières gouttes de la pluie infernale. Vous n'allez pas me faire croire que ceux-là aussi oublient ou déchoient une fois arrivés?
( p.317, Acte II, sc. 6)
Ma sorcellerie est si naturelle. Quand j'imaginais ce à quoi peuvent penser les morts, je ne leur prêtais pas des souvenirs, des visions, mais seulement la conscience de miroitements, de fragments de lueurs, posées sur un angle de cheminée, sur un nez de chat, sur une feuille d'arum, de minuscules épaves colorées surnageant sur leur déluge...
( p.317-318, Acte II, sc. 6)
Alors, toute ma chambre est en apparence une chambre pour vivants, pour petite vivante provinciale. Mais si l'on y regarde de près, on s'aperçoit que tout est calculé pour que cette marque de lumière sur des objets familiers, sur un ventre de potiche, un bouton de tiroir, soit entretenue sans arrêt, le jour par le soleil ou le feu, la nuit par la lampe ou la lune. C'est là mon piège, et je n'ai pas été surprise le soir où j'ai vu montant du pare-étincelles, la lune sur l'écaille du réveil, vous regardiez le diamant des ombres: vous étiez pris...
( p.318, Acte II, sc. 6)
Vous voulez dire que seul le fonctionnaire peut regarder la mort en face, en camarade; qu'il n'est pas comme le banquier, le négociant, le philosophe; qu'il n'a rien fait pour se dérober à elle ou pour la masquer?
( p.330, Acte 3, sc. 3)

Laissez-moi achever: il suffit que vous leur appliquiez, à cette voûte, la nomenclature grecque ou moderne, que vous estimez en drachmes ou en tonnes le poids des astres, en stades ou en mètres leur course, pour qu'ils deviennent à votre volonté le firmament de Périclès ou celui de Pasteur!
( p.331, Acte 3, sc. 3)

Pour doubler la vie, du velours de soie... pour doubler la mort... ( p.342, Acte 3, sc. 6)
 
  Le Maire
 

chasse
Depuis quinze jours que nous pourchassons dans la ville les êtres et les animaux suspects d'étrangeté, le gibier s'épuise.
( p.302, Acte II, sc.1I)
 
  Le Spectre
 
maladie






effets lumineux




glaciation
effets lumineux






oiseau


matière première
Il arrive qu'une fatigue les prend, qu'une peste des morts sur eux souffle, qu'une rumeur de néant les ronge... Le beau gris de leur ombre s'argente, s'huile. Alors, c'est bientôt la fin, la fin de tout... ( p.296, Acte I, sc. 8)

Est-ce dormir? Le plus souvent, là où ils s'entassent, règne un frémissement. Une occupation les anime, si intense, qu'il pourrait parfois en jaillir un reflet ou un son. Les nouveaux qui arrivent en ces heures tombent dans une espèce de vibration heureuse sur laquelle s'apaise le dernier reflux de leur vie. Le doux balancement de la terre pour toujours les agite. Mais parfois, au contraire, toute leur masse se prend, est prise comme une glace, gagnée par un sommeil d'hivernage où les arrivants morts là-haut sombrent avec une lueur, car le sommeil des vivants est éclat et soleil.
( p.317, Acte II, sc. 6)

Ce qui m'a retenu? Votre voix, d'abord. Ce bavardage de votre voix grâce auquel chaque soir dans le crépuscule il y a maintenant pour les ombres ce qui correspond pour les hommes à l'alouette dans le soleil.
( p.318, Acte II, sc. 6)

Tel est l'être en ciment armé, avec lequel le destin est obligé de faire des ombres! ( p.335, Acte 3, sc.1V)