Électre (1937)

Réseau positif
  AMOUR
  Agathe
nourriture

cigare

Et s'ils mangent de la laitue cuite, il leur faut le sel et un sourire. Et s'ils fument, il nous faut allumer leur ignoble cigare avec la flamme de notre cœur!
( p.642, Acte II, sc. 6)
  Deuxième petite Euménide

science
Où qu'on aille, on se retrouve aussitôt face à face. La terre est ronde pour ceux qui s'aiment. Déjà je me heurte partout contre celui que j'aime, et il n'existe pas encore.
( p.633, Acte II, sc. 3)
  Le Jardinier

crime




gravure

Dans de pareilles histoires, ils ne vont pas s'interrompre de se tuer et de se mordre pour venir vous raconter que la vie n'a qu'un but, aimer. Ce serait même disgracieux de voir le parricide s'arrêter, le poignard levé, et vous faire l'éloge de l'amour. Cela paraîtrait artificiel. ( p.625, Entracte)
Joie et Amour, oui. Je viens vous dire que c'est préférable à Aigreur et haine. Comme devise à graver sur un porche, sur un foulard, c'est tellement mieux, ou en bégonias nains dans un massif. ( p.626, Entracte)
  AMOUR FAMILIAL
  Électre
équitation




corps célestes


effets lumineux



famille






sculpture


visage




maternité et naissance


accouchement





animaux
sens







règne végétal





nature






sculpture

minéraux




saisons

mesure
Tu sais, mère, ces étrivières que l'on passe aux jambes des pouliches pour les empêcher de courir? et un homme me les passe aux chevilles. ( p.613, Acte I, sc. 7)

Mais mon frère est né comme le soleil, une brute d'or à son lever... Ou que je sois aveugle, et que je regagne mon frère sur le monde à tâtons... Ô joie d'être aveugle, pour la sœur qui retrouve son médiocre, et voilà qu'elles touchent un frère. Un frère où tout est vrai. Il pourrait y avoir, insérés dans cette tête, dans ce corps, des fragments suspects, des fragments faux. Par un merveilleux hasard, tout est fraternel dans Oreste, tout est Oreste! ( p.615, Acte I, sc. 8)
Je t'appelle à la vie. De cette masse fraternelle que j'ai à peine vue dans mon éblouissement, je forme mon frère avec tous ses détails. Voilà que j'ai fait la poitrine de mon frère, avec son beau pouce si net. Voilà que j'ai fait la poitrine de mon frère, et que je l'anime, et qu'elle se gonfle et expire, en donnant la vie à mon frère. Voilà que je fais son oreille. Je te la fais petite, n'est-ce pas, ourlée, diaphane comme l’aile de la chauve-souris? Un dernier modelage, et l'oreille est finie. Je fais les deux semblables. Quelle réussite, ces oreilles! Et voilà que je fais la bouche de mon frère, doucement sèche, et je la cloue toute palpitante sur son visage... Prends de moi ta vie, Oreste, et non de ta mère! ( p.615, Acte I, sc. 8)

Je suis née de sa nuit de profond sommeil, de sa maigreur de neuf mois, des consolations qu'il prit avec d'autres femmes pendant que ma mère me portait, du sourire paternel qui suivit ma naissance Tout ce qui est de cette naissance du côté de ma mère, je le hais.
( p.616, Acte I, sc. 8)
Je me préparais pour ta venue à ne plus être qu'un bloc de tendresse, de tendresse pour tous, de tendresse pour eux.
...
Et toute cette haine que j'ai en moi, elle te rit, elle t'accueille, elle est mon amour pour toi. Elle te lèche comme le chien la main qui va le découpler. Je sens que tu m'as donné la vue, l'odorat de la haine. La première trace, et maintenant, je prends la piste...
( p.617, Acte I, sc. 8)

À part toi, à part les hommes, il n'était rien dans le palais qui n'attendît mon père avec moi, qui ne fût complice ou partie dans mon attente. Cela commençait le matin, mère, à ma première promenade sous ces tilleuls qui attendaient mon père d'une attente qu'ils essayaient vainement de comprimer en eux, vexés de vivre par années et non, comme il l'aurait fallu, par décades, honteux de l'avoir trahi à chaque printemps quand ils ne défaillaient avec moi sur son absence. Cela continuait à midi, quand j'allais au torrent, le plus fortuné de nous tous, qui lui pouvait bouger, qui attendait mon père en courant vers un fleuve qui courait vers la mer. Cela se poursuivait le soir, quand je n'avais plus la force d'attendre près de ses chiens, de ses chevaux, pauvres bêtes trop mortelles, incapables par nature de l'attendre des siècles, et que je me réfugiais vers les colonnes, les statues. Je prenais modèle sur elles. J'attendais, debout sous la lune, pendant des heures, immobile, comme elles, sans penser, sans vivre. Je l'attendais d'un cœur de pierre, de marbre, d'albâtre, d'onyx, mais qui battait et me fracassait la poitrine...
( p.640, Acte II, sc.5)

De ma joue contre sa joue, j'ai appris la chaleur de mon père. Parfois, l'été le monde entier a juste la tiédeur de mon père. J'en défaille. Et je l'ai étreint de ces bras. Je croyais prendre la mesure de mon amour, c'était aussi celle de ma vengeance. ( p.654, Acte II, sc. 8)
  Le Mendiant

animaux




oiseaux








nourriture



La fraternité est ce qui distingue les humains. Les animaux ne connaissent que l'amour... les chats, les perruches. et cætera ils n'ont de fraternité que de pelage. ...

Qu'est-ce qu'il fait, le petit canard, quand il se détache de la bande des canards, et de son petit œil tendre pétillant sur sa joue inclinée de canard, il vient nous regarder, nous autres humains, manger ou bricoler, c'est qu'il sait que c'est nous son frère l'homme et son frère la femme. J'en ai pris ainsi à la main, des petits canards, je n'ai plus eu qu'à leur tordre le cou, parce qu'ils s'approchaient avec leur fraternité, parce qu'ils essayaient de comprendre ce que je faisais, moi leur frère, à couper ma croûte de fromage en y rajoutant de l'oignon. Frère des canards, voilà notre vrai titre, car cette petite tête qu'ils plongent dans la vase pour barboter têtard et salamandre, quand ils la dressent vers l'homme toute mordorée et bleue, elle n'est plus que propreté, intelligence et tendresse - immangeable d'ailleurs, la cervelle exceptée -.Moi je me charge de leur apprendre à pleurer, à des têtes de canard!... ( p.624, Acte I, sc.13)
  La femme Narsès
effets lumineux Pas une barbe. Un soleil. Un soleil annelé. ondulé. Un soleil d'où venait de se retirer la mer.
( p.664, Acte II, sc.9)
  Oreste
constructions humaines

nomenclature



chasse

Laisse-moi dans tes bras imaginer de quel bonheur ces murs auraient pu être l'écluse, avec des êtres plus sensés et plus calme. Ô Électre, que de noms dans notre famille étaient au départ doux, tendres, et devaient être des noms de bonheur! ( p.617, Acte I, sc. 8)

Es-tu sûre que ce n'est pas la pire arrogance, pour un humain, à cette heure, de vouloir retrouver sa propre trace? Pourquoi ne pas prendre la première route, et aller au hasard? Fie-toi à moi, Je suis dans un de ces moments où je vois si nette la piste de ce gibier qui s'appelle le bonheur. ( p.633, Acte II, sc. 3)
  AMOUR DE LA PATRIE
  Égisthe


ville





maternité




habitudes sociales




environnement
naturel et artificiel




images de l’Afrique




images de la Grèce


Ô puissances du monde, (...) vous me l'avez donnée toute, ses tours, ses ponts, les fumées qui montaient des silos des maraîchers, première haleine de sa terre, et le pigeon qui s'éleva, son premier geste, et le grincement de ses études, son premier cri. Et tout dans ce don était de valeur égale, Électre, le soleil levant sur Argos et la dernière lanterne dans Argos, le temple et les masures, le lac et les tanneries. Et c'était pour toujours!...
Pour toujours j'ai reçu ce matin ma ville comme une mère son enfant. Et je me demandais avec angoisse si le don n'était pas plus large, si l'on ne m'avait pas donné beaucoup plus qu'Argos. Dieu au matin ne mesure pas ses cadeaux: il pouvait aussi bien m'avoir donné le monde. C'eût été affreux. C’eût été pour moi le désespoir de celui qui, pour sa fête, attend un diamant et auquel on donne le soleil. Tu vois mon inquiétude, Électre! Je hasardais anxieusement mon pied et ma pensée au-delà des limites d'Argos. Ô bonheur! On ne m'avait pas donné l'Orient: les pestes, les tremblements de terre, les famines de l'Orient, je les apprenais avec un sourire. Ma soif n'était pas de celles qui s'étanchent aux fleuves tièdes et géants coulant dans le désert entre des lèvres vertes, mais, j'en fis l'épreuve aussitôt, à la goutte unique d'une source de glace. Ni l'Afrique! Rien de l'Afrique n'est à moi. Les négresses peuvent piler le millet au seuil des cases, le jaguar enfoncer ses grilles dans le flanc du crocodile, pas un grain de leur bouillie, pas une goutte de leur sang n'est à moi. Et je suis aussi heureux des dons qu'on ne m'a pas faits que du don d'Argos. Dans un accès de largesse, Dieu ne m'a donné la place aux bestiaux d'Argos et non les trésors de Corinthe, le nez court des filles d'Argos et non le nez de leur Pallas, le pruneau ridé d'Argos et non la figue d'or de parasite, le fourbe, un pays où je me sens pur, fort, parfait, une patrie, et cette patrie dont j'étais prêt à fournir désormais l'esclave, dont tout à coup me voilà roi, je jure de vivre, de mourir, -entends-tu, juge, mais de la sauver.
( p.648-649, Acte II, sc. 7)
  DIGNITÉ DE L'HOMME
  Égisthe
trahison



espace


On trahit la terre comme une place assiégée, par des signaux. Le philosophe les fait, de sa terrasse, le poète ou le désespéré les fait, de son balcon ou de son plongeoir. Si les dieux, depuis dix ans, n'arrivent point à se mêler de notre vie, c'est que j'ai veillé à ce que les promontoires soient vides et les champs de foire combles, c'est que j'ai ordonné le mariage des rêveurs, des peintres et des chimistes.
( p.598, Acte I, sc. 3)
  VÉRITÉ (JUSTICE)
  Égisthe

nature

religion

animaux


oiseaux
insectes

Tout me sacrait sur mon passage, Électre! À travers mon galop, j'entendais les arbres, les enfants, les torrents me crier que j'étais roi. Mais il manquait l'huile sainte. Chaque cadeau de sucre m'était tendu par celui-là même qui le contenait le moins. Hier, j'étais lâche. Un lièvre, de ses oreilles tremblantes qui dépassaient le sillon, m'a tout à l'heure donné le courage. J'étais l'hypocrisie. Un renard a croisé le chemin, l'œil faux, et j'ai reçu la franchise. Et le couple inséparable des deux pies m'a donné l'indépendance, et la fourmilière la générosité. Si je me suis hâté vers toi, Électre, c'est que tu es le seul être qui puisse me donner sa propre essence. ( p.650, Acte II, sc. 7)
  Électre

effets lumineux



dons

travaux humains




vie familiale
métiers

plantes






justice
artistes




visage



éléments chimiques

visage
C'était un rayon du matin. Tout enfant teigneux que touche un rayon au matin se croit roi.
( p.653, Acte II, sc. 8)

Déjà on m'avait donné mille cadeaux, qui me semblaient dépareillés, dont je ne parvenais pas à démêler le cousinage, mais cette nuit près d'Oreste endormi, j'ai vu que c'était le même don. On m'avait donné le dos d'un haleur, tirant sur sa péniche, on m'avait donné le sourire d'une laveuse, soudain figée dans son travail, les yeux sur la rivière. On m'avait donné un gros petit enfant tout nu, traversant en courant la rue sous les cris de sa mère et des voisines; et le cri de l'oiseau pris que l'on relâche; et celui du maçon que je vis tomber un jour de l'échafaudage, les jambes en équerre. On m'avait donné la plante d'eau qui résiste contre le courant, qui lutte, qui succombe, et le jeune homme malade qui tousse, qui sourit et qui tousse, et les joues de ma servante, quand elles se gonflent tous les matins d'hiver pour arriver la cendre de mon feu, au moment où elles s'empourprent. ( p.655-656, Acte II, sc. 8)

Dans ce pays qui est le mien on ne s'en remet pas aux dieux du soin de la justice. Les dieux ne sont que des artistes. Une belle lueur sur un incendie, un beau gazon sur un champ de bataille, voilà pour eux la justice. Un splendide repentir sur un crime, voilà pour eux les dieux avaient rendu dans votre cas. Je ne l'accepte pas. ( p.656, Acte II, sc. 8)
Quand vous voyez un immense visage emplir l'horizon et vous regarder bien en face, des yeux intrépides et purs, c'est cela un peuple.
...
Je parle en femme. C'est un regard étincelant, à filtrer, à dorer. Mais il n'a qu'un phosphore, la vérité. C'est ce qu'il y a de si beau, quand vous pensez aux vrais peuples du monde, ces énormes prunelles de vérité.
( p.657, Acte II, sc. 8)
  Première petite Euménide

effets lumineux
C'est la lueur qui manquait à Électre. Avec le jour et la vérité. l'incendie lui en fait trois.
( p.666, Acte II, sc.10)
  Le Jardinier
mariage

nourriture


vocabulaire

images de nuit

oiseaux







nature


maternité




accouchement







art dramatique








religion






phénomènes météorologiques






paroles et silence





Il nous a promis une mariée, pensait le chien, et il nous amène un mot. Mon maître s'est marier à un mot. Il donne du sirop d'oranges à un mot. Il me reproche d'aboyer à des ombres. à des vraies ombres, qui n'existent pas, et lui le voilà qui essaie d'embrasser un mot. Et je ne me suis pas étendu: me coucher avec un mot, c'était au-dessus de mes forces... On peut parler, avec un mot, et c'est tout!... Mais assis comme moi dans ce jardin où tout divague un peu la nuit, où la lune s'occupe au cadran solaire, où la chouette aveuglée, au lieu de boire au ruisseau, boit à l'allée de ciment, vous auriez compris ce que j'ai compris, à savoir: la vérité. Vous auriez compris le jour où vos parents mouraient, que vos parents naissaient; le jour où vous étiez ruiné, que vous étiez riche; où votre enfant était ingrat, qu'il était la reconnaissance même; où vous étiez abandonné, que le monde entier se précipitait sur vous, dans l'élan et la tendresse. C'est justement ce qui m'arrivait dans ce faubourg vide et muet. Il se ruaient vers moi tous ces arbres pétrifiés, ces collines immobiles. Et tout cela s'applique à la pièce. Sûrement on ne peut dire qu'Électre soit l'amour même pour Clytemnestre. Mais encore faut-il distinguer. Elle se cherche une mère, Électre. Elle se ferait une mère du premier être venu. Elle m'épousait parce qu'elle sentait que j'étais le seul homme, absolument le seul, qui pouvait être une sorte de mère. Et d'ailleurs je ne suis pas le seul. Il y a des hommes qui seraient enchantés de porter neuf mois, s'il le fallait, pour avoir des filles. Tous les hommes. Neuf mois c'est un peu long, mais de porter une semaine, un jour, pas un homme qui n'en soit fier. Il se peut qu'à chercher ainsi sa mère dans sa mère elle soit obligée de lui ouvrir la poitrine, mais chez les rois c'est plutôt théorique. On réussit chez les rois les expériences qui ne réussissent jamais chez les humbles, la haine pure, la colère pure. C'est toujours de la pureté. C'est cela que c'est, la Tragédie, avec ses incestes, ses parricides: de la pureté, c'est-à-dire en somme de l'innocence. Je ne sais si vous êtes comme moi; mais moi, dans la Tragédie, la pharaonne qui se suicide me dit espoir, le maréchal qui trahit me dit foi, le duc qui assassine me dit tendresse. C'est une entreprise d'amour, la cruauté... pardon, je veux dire la Tragédie. Voilà pourquoi je suis sûr , ce matin, que si je le demandais, le ciel m'approuverait, ferait un signe, qu'un miracle est tout prêt, qui vous montrerait inscrite sur le ciel et vous ferait répéter par l'écho ma devise de délaissé et de solitaire: Joie et Amour. Si vous voulez, je le lui demande. Je suis sûr comme je suis là qu'une voix d'en haut me répondrait, que résonateurs et amplificateurs et tonnerres de Dieu. Dieu, si je le réclame, les tient, tout préparés, pour crier à mon commandement: joie et amour. Mais je vous conseille plutôt de ne pas le demander. D'abord par bienséance. Ce n'est pas dans le rôle d'un jardinier de réclamer de Dieu un orage, même de tendresse. Et puis, c'est tellement inutile. On sent tellement qu'en ce moment et hier, et demain, et toujours, ils sont tous là-haut, autant qu'ils sont, et même s'il n'y en a qu'un, et même si cet un est absent, prêts à crier joie et amour. C'est tellement plus digne d'un homme de croire les dieux sur parole, - sur parole est un euphémisme, - sans les obliger à accentuer, à s'engager, à créer entre les uns et les autres des obligations de créancier à débiteur. Moi ç'a toujours été les silences qui me convainquent... Oui, je leur demande de ne pas crier joie, et amour, n'est-ce pas? S'ils y tiennent absolument, qu'ils crient. Mais je les conjure plutôt, je vous conjure, Dieu, comme preuve de votre affection, de votre voix, de vos cris, de faire un silence, une seconde de votre silence... C'est tellement plus probant. Écoutez... Merci.
( p.626-628, Entracte)
  Le Mendiant
horticulture






danger


métiers

animaux






effets lumineux







crime




travail
adultère


faune


vérité



animaux nocturnes

C'est l'histoire de ce poussé ou pas poussé que je voudrais bien tirer au clair. Car, selon que c'est l'un ou l'autre, c'est la vérité ou le mensonge qui habite Électre, soit qu'elle mente sciemment, soit que sa mémoire devienne mensongère. Moi je ne crois pas qu'elle ait poussé. Regardez-la: à deux pouces au-dessus du sol, elle tient son frère endormi aussi serré qu'au-dessus d'un abîme. Il va rêver qu'il tombe, évidemment, mais cela vient du cœur, elle n'y est pour rien. Tandis que la reine a une ressemblance: elle ressemble à ces boulangères qui ne baissent même pas pour ramasser leur monnaie, et aussi à ces chiennes griffonnes qui étouffent leur plus beau petit pendant leur sommeil. Après, elles le lèchent comme la reine vient de lécher Oreste, mais on n'a jamais fait d'enfant avec la salive.
( p.623-624, Acte I, sc.14)
Elle est la vérité sans résidu, la lampe sans mazout, la lumière sans mèche. De sorte que si elle tue, comme cela menace, toute paix et tout bonheur autour d'elle, c'est parce qu'elle a raison! C'est que si l'âme d'une fille, par le plus beau soleil, se sent un point d'angoisse, si elle renifle, dans les fêtes et les siècles les plus splendides une fuite de mauvais gaz, elle doit y aller, la jeune fille est la ménagère de la vérité, elle doit y aller jusqu'à ce que le monde pète et craque dans les fondements des fondements et les générations des générations, dussent mille innocents mourir la mort des innocents pour laisser le coupable arriver à sa vie de coupable! Regardez les deux innocents pour laisser le coupable arriver à sa vie pour le monde et les âges un crime déjà périmé et dont le châtiment lui-même sera un pire crime. ( p.624, Acte I, sc.13)
La vérité des hommes colle trop à leurs habitudes, elle part n'importe comment, de neuf heures du matin quand les ouvriers déclarent leur grève de six heures du soir quand la femme avoue, et cætera: ce sont de mauvais départs, c'est toujours mal éclairé. Moi je suis habitué aux animaux. Ceux-là savent partir. Le premier bond du lapin dans sa bruyère, à la seconde où surgir le soleil, le premier saut sur son échasse de la sarcelle, le premier galop de l'ourson hors de son rocher, cela, je te l'assure, c'est un départ vers la vérité. S'ils n'arrivent pas, c'est vraiment qu'ils n'ont pas à arriver. Un rien les distrait, un goujon, une abeille. Mais fais comme eux, Électre, pars de l'aurore. ...
Ce sont ceux de la nuit qui rentrent. Les chouettes, les rats. C'est la vérité de la nuit qui rentre... Chut, écoute les dieux derniers, les rossignols naturellement: la vérité des rossignols. ( p.629-630, Acte II, sc.1)
Réseau négatif
  ADULTÈRE
  Agathe
nourriture






objets familiers












déchets
L'oseille mangée par mon amant devient une ambroisie, dont je lèche les restes. Et tout ce qui est souillé quand mon mari le touche sort purifié de ses mains ou de ses lèvres. ( p.642, Acte II, sc. 6)
Nous vous trompons avec tout. Quand ma main glisse, au réveil, et machinalement tâte le bois du lit, c'est mon premier adultère. Employons-le, pour une fois, ton mot adultère. Que je l'ai caressé, ce bois, en te tournant le dos, durant mes insomnies! C'est de l'olivier. Quel grain doux! Quel nom charmant! Quand j'entends le mot olivier dans la rue, j'en ai un sursaut. J'entends le mon de mon amant! Et mon second adultère, c'est quand mes yeux s'ouvrent et voient le jour à travers la persienne. Et mon troisième, c'est quand mon pied touche l'eau du bain, c'est quand j'y plonge. Je te trompe. Quand je t'écoute, quand je feins de t'admirer à ton tribunal, je te trompe. Tue les oliviers, tue les pigeons, les enfants de cinq ans, fillettes et garçons, et l'eau, et la terre, et le feu! Tue ce mendiant. Tu es trompé par eux. ( p.643, Acte II, sc. 6)
L'outrage appelle la majesté. Dans la rue les plus dignes sont ceux qui viennent de glisser sur du crottin.
( p.644, Acte II, sc. 6)
  Clytemnestre




environnement




corps

Depuis mon mariage, jamais de solitude, jamais de retraite. Je n'ai été dans les forêts que les jours de procession. Pas de repos, même pour mon corps. Il était couvert toute la journée par des robes d'or, et la nuit par un roi. Partout une méfiance qui gagnait jusqu'aux objets, jusqu'aux animaux, jusqu'aux plantes. Souvent en voyant les tilleuls du palais, maussades, silencieux, avec leur odeur de nourrice, je me disais: ils me font la tête d'Électre le jour de sa naissance. ( p.640, Acte II, sc.5)
Le roi des rois n'a jamais été que ce petit doigt et cette barbe que rien ne rendait lisse.
( p.660, Acte II, sc. 8)
  Électre
corps et cadavre




sommeil
guerre


oiseaux
sculpture

travail


visage




chasse


confrérie



Son cadavre d'avance l'a trahie. Aucun doute. Son sourcil était le sourcil d'une femme morte qui a eu un amant.
( p.635, Acte II, sc. 3)

Et les hommes, n'eussent-ils dormi que cinq minutes, ils ont repris l'armure du bonheur: la satisfaction, l'indifférence, la générosité, l'appétit. Et une tache de soleil les réconcilie avec toutes les taches de sang. Et un chant d'oiseau avec tous les mensonges. Mais elles sont là, toutes, sculptées par l'insomnie, avec la jalousie, l'envie, l'amour, la mémoire: avec la vérité. ( p.636, Acte II, sc. 3)
Je ne suis pas inscrite à l'association des femmes. Il faudra une autre que toi pour m'embaucher.
( p.638, Acte II, sc.5)
Tous les marbres polis, tous les bassins d'eau du palais me l'ont déjà crié, ton visage me le crie: Le nez d'Électre n'a rien du nez de Clytemnestre. Mon front est à moi. Ma bouche est à moi. Et je n'ai pas d'amant.
( p.639, Acte II, sc.5)
Tu jettes dans mes pieds l'amour comme les voituriers poursuivis par les loups leur jettent un chien. Le chien n'est pas ma nourriture. ( p.639, Acte II, sc.5)
Je sais qu'on a beaucoup de droits dans la confrérie des femmes. Si vous payez le droit d'entrée, qui est lourd, qui est d'admettre que les femmes sont faibles, menteuses, basses, vous avez le droit général de faiblesse, de mensonge, de bassesse.
( p.639, Acte II, sc.5)
  Le jeune homme
rituel religieux
C'est la litanie éternelle. ( p.631, Acte II, sc.2)
  Le Mendiant

insectes



corps



ménage

Elle court. Ainsi regagne le dessous de sa pierre la petite cloporte qui a eu la menace du jour.
( p.612, Acte I, sc.5)

Si la justice grecque a cru devoir loger son honneur dans les jambes d'Agathe, elle n'a que ce qu'elle mérite.
( p.647, Acte II, sc. 7)

Alors que toutes les ménagères pour le retour d'Agamemnon savonnaient leur seuil, la reine et son amant savonnaient le seuil de sa mort.
( p.662, Acte II, sc.9)
  CRIME
  Clytemnestre


oiseaux





phénomène optique

phénomène optique


sculpture



mythologie grecque

Laisser tomber Oreste! Jamais je ne casse rien! Jamais je n'échappe un verre ou une bague... Je suis si stable que les oiseaux se posent sur mes bras... De moi on s'envole, on ne tombe pas... C'est justement ce que je me disais, quand il a perdu l'équilibre: Pourquoi, pourquoi la malchance veut-elle qu'il ait eu sa sœur près de lui!
( p.610, Acte I, sc.5)

Un mirage de mère... ( p.620, Acte I, sc.11)

Je n'aime pas le mirage de mon fils.
( p.621, Acte I, sc.11)

Leur mère paraît. Et ils deviennent des statues.
( p.636, Acte II, sc.4)

Les curieux n'ont pas eu de chance dans notre famille: ils pistaient un vol et découvraient un sacrilège; ils suivaient une liaison et butaient contre un insecte.
( p.637, Acte II, sc.4)
  Égisthe

insectes
L'exilé a la même tendance à grimper les chemins escarpés que la coccinelle. ( p.598, Acte I, sc. 3)
  Électre

jeux enfantins



formes




crime



maladie






mer



guerre



prison



durée
art dramatique


effets lumineux et maladies




vêtements





oiseaux




objets quotidiens



objets quotidiens





lumière et obscurité



effets lumineux


constructions
humaines

guerre
Ou elle va s'incliner en arrière, de façon que le petit Oreste glisse d'elle comme un enfant de l'arbre où il a déniché un nid. Ou elle va tomber, pour qu'il tombe sur elle. Tous les moyens dont une mère dispose pour recueillir son fils, elle les a encore. Elle peut encore être une courbe, une conque, une pente maternelle, un berceau. Mais elle est restée figée, dressée, et il a chu tout droit, du plus haut de sa mère!
( p.610, Acte I, sc.5)
Il me semble que par elle je suis entrée dans la vie d'une façon équivoque et que sa maternité n'est qu'une complicité qui nous lie. ( p.616, Acte I, sc. 8)

En fait j'avais pitié de cette grande reine, qui dominait le monde, et soudain, terrifiée, humble, échappait un enfant comme une aïeule hémiplégique.
...
Tous les motifs que je trouvais de les haïr me les laissaient au contraire humains, pitoyables, mais dès que les haines de détail avaient bien lavé, paré, rehaussé ces deux êtres, au moment où vis-à-vis d'eux je me retrouvais douce, obéissante, une vague plus lourde et plus chargée de haine commune s'abattait à nouveau sur eux.
( p.616, Acte I, sc. 8)
Tu as voulu que je sois dans ton camp. Tu as voulu ne pas avoir perpétuellement devant toi le visage de celle qui est ta pire ennemie. ( p.618, Acte I, sc.9)
Que penses-tu gagner, mère, à cette ignoble coquetterie maternelle? Puisque au milieu de la nuit, des haines, des menaces, s'est ouvert une minute ce guichet qui permet à la mère et au fils de s'entrevoir tels qu'ils ne sont pas, profitez-en, et refermez-le. La minute est écoulée.
( p.621, Acte I, sc.11)
Tout me dit que toi tu n'as pas droit, dans ta vie, à plus d'une minute d'amour filial. Tu l'as eue. Et comble... Quelle comédie joues-tu? Va-t'en... ( p.621, Acte I, sc.11)
Non. Je veux que leur visage (des menteurs) soit noir en plein midi, leurs mains rouges. C'est cela la lumière. Je veux que leurs yeux soient cariés, leur bouche pestilentielle. ( p.628, Acte II, sc.1)

Il y avait dans son vêtement un pli qui disait: je ne suis pas le pli de la mort, mais le pli de l'assassinat. Et il y avait sur le soulier une boucle qui répétait: je ne suis pas la boucle de l'accident, mais la boucle du crime. Et il y avait dans la paupière retombée une ride qui disait: je n'ai pas vu la mort, j'ai vu les régicides.
( p.635, Acte II, sc. 3)

Quelle couvée veux-tu sauver, comme la perdrix, en boitant du côté de l'amour et de l'indignité?
( p.641, Acte II, sc.5)

Pourquoi me refuses-tu ce nom comme on refuse une clef? Quel meuble as-tu peur que l'on ouvre avec ce nom-là? ( p.641, Acte II, sc.5)

Toutes les clés, comme tu dis, je les ai essayées. Aucune n'ouvre encore. Ni l'amour. Tu n'aimes rien. Ni l'ambition. Tu te moques d'être reine. Ni la colère Tu es réfléchie, tu calcules. ( p.641, Acte II, sc.5)
Mais, depuis la mort de mon père, depuis que le bonheur de notre ville est fondé sur l'injustice et le forfait, depuis que chacun, par lâcheté, s'y est fait le complice du meurtre et du mensonge, elle peut être prospère, elle peut chanter, danser et vaincre, le ciel peut éclater sur elle, c'est une cave où les yeux sont inutiles. Les enfants qui naissent sucent le sein en aveugles. ( p.657, Acte II, sc. 8)
C'est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité, elle est éternelle mais ce n'est qu'un éclair. ( p.657, Acte II, sc. 8)

Des assassins... Ce sont de mauvais murs!
( p.659, Acte II, sc. 8)

Je vois déjà mon amour pour Argos incendié et vaincu
( p.659, Acte II, sc. 8)
  Première petite Euménide

phénomène optique




insectes


maquillage



jeux
Non. Le côté droit n'existe pas. On croit le voir, mais c'est un mirage. C'est comme le jardinier qui vient là, qui veut vous parler. Il ne vient pas. Il ne va pas pouvoir dire un mot. ( p.585, Acte I, sc.1)

L'idée qu'il va être minuit. Que l'araignée sur son fil est en train de passer de la partie du jour où elle porte bonheur à celle où elle porte malheur. ( p.589, Acte I, sc.1)

La reine Clytemnestre a mauvais teint. Elle se met du sang! ( p.589, Acte I, sc.1)

Ils dorment. À notre tour de jouer Clytemnestre et Oreste. Mais pas comme eux le jouent. Jouons-le vraiment!
( p.622, Acte I, sc.13)
  Deuxième petite Euménide
chasse et parricide
Ce qu'on tue quand on est bon... Une biche... Comme en plus de bon, j'étais pitoyable, j'ai tué le faon aussi, pour qu'il ne soit pas orphelin... Tuer ma mère, jamais. Ce serait un parricide. ( p.622, Acte I, sc.13)
  Troisième petite Euménide
nourriture



objets quotidiens
Les mottes de beurre qui flottent au printemps sur les sources avec le cresson, tu verras quelle caresse elles peuvent être pour le cœur de ceux qui ont tué leur mère. Étends ton beurre sur ton pain avec un couteau, ce jour-là, même si ce n'est pas le couteau qui a tué ta mère, et tu verras. ( p.634, Acte II, sc. 3)
  Le Jardinier

bâtiments



sentiments


La façade est bien d'aplomb, étranger; n'écoutez pas ces menteuses. Ce qui vous trompe, c'est que le corps de droite est construit en pierres gauloises qui suintent à certaines époques de l'année. Les habitants de la ville disent alors que le palais pleure. Et que le corps de gauche est en marbre d'Argos, lequel, sans qu'on ait jamais su pourquoi, s'ensoleille soudain, même la nuit. On dit alors que le palais rit. Ce qui se passe, c'est qu'en ce moment le palais rit et pleure à la fois. ( p.586, Acte I, sc.1)
  Le Mendiant

corps-bois




effets lumineux



oiseaux



insectes


chasse


corps


ponctuation





pêche




objets quotidiens




animaux


corps
animaux
domestiques
roche



corps





corps célestes


animaux


Mais elle est égoïste. Pour elle, la femme compte autant que l'homme, parce qu'elle en est une; le ventre autant que la souche, parce qu'elle est un ventre;
( p.624, Acte I, sc.13)

Cela ne va pas te suffire que les visages des menteurs soient éclatants de soleil? Que les adultères et les assassins se meuvent dans l'azur? C'est cela le jour. Ce n'est déjà pas mal. ( p.629, Acte II, sc.1)

Bien servi par l'existence, ce serait un pinson, Oreste.
( p.629, Acte II, sc.1)

Et dissous [l'insecte] dans la création. Ses arrière-petits-fils se débattent avec la goutte des centenaires.
( p.632, Acte II, sc. 3)

Le gibier innocent se débat comme l'autre.
( p.636, Acte II, sc.1V)

Juste au-dessus. Si vous aviez mille pieds, c'est là que serait votre tête. ( p.648, Acte II, sc. 7)

Oui, vous êtes présentement l'homme le mieux accentué de Grèce. Il s'agit de savoir si l'accent est sur le mot humain ou sur le mot mortel. ( p.648, Acte II, sc. 7)
Mais, ce qu'il trouvait singulier, c'est que son épouse bien-aimée l'eût saisi aux poignets et pesât de tout son poids pour le clouer sur le dos, comme la pêcheuse maintient les grosses tortues échouées, celles qui viennent par le détroit. ( p.662, Acte II, sc.9)
Muets ils étaient comme ceux qui préparent une malle quand le départ presse. Ils avaient quelque chose à faire, mais vite, avant que personne pût entrer. Quel bagage avaient-ils à faire si vite? Et soudain le coup de pied donné par Égisthe au casque lui apprit tout, comme au mourant le coup de pied donné à son chien. ...

Je le tue parce qu'il n y a pas un seul poil gris dans cette barbe, je l'assassine parce que c'est le seul moyen d'assassiner ce petit doigt.

Et le roi des rois n'était pas ce bloc d'airain et de fer qu'il imaginait, c'était une douce chair, facile à transpercer comme l'agneau; il y alla trop fort, l'épée entailla la dalle. Les assassins ont tort de blesser le marbre, il a sa rancune: c'est à cette entaille que moi j'ai deviné le crime.
...
c'était sa seule amie dans ce guet-apens, la mort; elle avait d'ailleurs un air de famille, un air qu'il reconnaissait, et il appela ses enfants, le garçon d'abord, Oreste, pour le remercier de le venger un jour, puis la fille, Électre, pour la remercier de prêter ainsi pour une minute son visage et ses mains à la mort.
...
...et il croyait voir tourner autour de lui le soleil.
( p.663-664, Acte II, sc.1X)

...il entendit crier dans son dos une bête qu'on saignait. Et ce n'était pas une bête qui criait, c'était Clytemnestre. Mais on la saignait.
( p.665, Acte II, sc.9)
  Le Président
maladie





guerre









nature







pêche



détritus











meurtre et vengeance



culpabilité
La peine morale s'y cicatrise autrement vite que l'ulcère, et le deuil que l'orgelet. Mais prends au hasard deux groupes d'humains: chacun contient le même dosage de crime, de mensonge, de vice ou d'adultère... ( p.592, Acte I, sc.2)
Une conscience! Croyez-vous! Si les coupables n'oublient pas leurs fautes, si les vaincus n'oublient pas leurs défaites, les vainqueurs leurs victoires, s'il y a des malédictions, des brouilles, des haines, la faute n'en revient pas à la conscience de l'humanité, qui est toute propension vers le compromis et l'oubli, mais à dix ou quinze femmes à histoires! ( p.592, Acte I, sc.11)
Je l'ai suivie. Sur le même parcours où ma profession m'avait fait suivre une nuit notre plus dangereux assassin, le long du fleuve, j'ai suivi, pour voir, la plus grande innocence de Grèce. Affreuse promenade, à côté de la première. Ils s'arrêtaient aux mêmes places; l'if, le coin de pont, la borne miliaire font les mêmes signes à l'innocence et au crime. Mais, du fait que l'assassin était là, la nuit en devenait candide, rassurante,

..sans équivoque. Il était le noyau qu'on a retiré du fruit, et qui ne risque plus, dans la tarte, de vous casser les dents. La présence d'Électre au contraire brouillant lumière et nuit, rendait équivoque jusqu'à la pleine lune. Tu as vu un pêcheur qui, la veille de sa pêche, dispose ses appâts? Le long de cette rivière noire, c'était elle. Et chaque soir, elle va ainsi appâter tout ce qui sans elle eût quitté cette terre d'agrément et d'accommodement, les remords, les aveux, les vieilles taches de sang, les rouilles, les os de meurtres, les détritus de démolition... Quelque temps encore, et tout sera prêt, tout grouillera. Le pêcheur n'aura plus qu'à passer. ( p.593, Acte I, sc.2)

Sur nos fautes, nos manques, nos crimes, sur la vérité, s'amasse journellement une triple couche de terre, qui étouffe leur pire virulence: l'oubli, la mort, et la justice des hommes. Il est fou de ne pas s'en remettre à eux. C’est horrible, un pays où, par la faute du redresseur de torts solitaire, on sent les fantômes, les tués en demi-sommeil, où il n'y a jamais remise pour les défaillances et les parjures, où imminent toujours le revenant et le vengeur. Quand le sommeil des coupables continue, après la prescription légale, à être plus agité que le sommeil des innocents, une société est bien compromise. À voir Électre je sens s'agiter en moi les fautes que j'ai commises au berceau. ( p.593, Acte I, sc.2)
  GUERRE
  Première petite Euménide



visage

vérité et mensonge

Le départ pour la guerre, avec les femmes sur les toits, avec le ciel comme une voile, et ce cheval blanc qui steppe sous les musiques. Le retour de la guerre, avec le visage du roi qui paraît maintenant le visage d'un dieu, tout simplement parce qu'il a eu un peu froid, un peu faim, un peu peur, un peu pitié. Si la vérité doit gâter tout cela, qu'elle périsse! ( p.633, Acte II, sc. 3)
  IMPÉRATIFS RELIGIEUX
  Égisthe

croyance



règne végétal



pierres précieuses
science








vie familiale










oiseaux-animaux





divinités

Ou plutôt je crois que je crois aux dieux. Mais je crois en eux non pas comme en de grandes distractions. Entre les espaces et les durées, toujours en lutte, il est de grandes indifférences, qui sont les dieux. Je les imagine, non point occupés sans relâche de cette moisissure suprême et mobile de la terre qu'est l'humanité, mais parvenus à un tel grade de sérénité et d'ubiquité qu'il ne peut plus être que la béatitude, c'est-à-dire l'inconscience. Ils sont inconscients au sommet de l'échelle de toutes créatures comme l'atome est inconscient à leur degré le plus bas. La différence est que c'est une inconsciente fulgurante, omnisciente, taillée à mille faces, et à leur état normal de diamants, atomes et sourds, ils ne répondent qu'aux lumières, qu’aux signes, et sans les comprendre.
( p.597, Acte I, sc. 3)


Je connais une mère de sept enfants qui avait l'habitude de fesser toujours le même, c'était une mère divine. Cela correspond bien à que nous pensons des dieux, que ce sont des boxeurs aveugles, des fesseurs aveugles, tout satisfaits de retrouver les mêmes joues à gifle et les mêmes fesses. On peut même s’étonner, si l'on estime l'ahurissement que comporte un éveil soudain de la béatitude, que leurs coups ne soient pas plus divaguants... Que ce soit la femme du juste qu'assomme un volet par grand vent, et non celle du parjure, que l'accident s'acharne sur les pèlerinages et non sur les bandes, en général, c'est toujours l'humanité qui prend... Je dis en général. On voit parfois les corneilles ou les daims succomber sous des épidémies inexplicables: c'est peut-être que le coup destiné aux hommes a porté trop haut ou trop bas. Quoiqu'il en soit, il est hors de doute que la règle première de tout chef d'État est de veiller férocement à ce que les dieux ne soient point secoués de cette léthargie et de limiter leurs dégâts à leur réactions de dormeurs, ronflements ou tonnerre.
( p.597, Acte I, sc. 3)
  Deuxième petite Euménide
corps Le destin te montre son derrière, jardinier. Regarde s'il grossit! ( p.590, Acte I, sc.2)
  Le Jardinier
insectes


règne végétal



divinités mythologiques, destin


reptiles
Allez-vous nous laisser! On dirait des mouches.
( p.587, Acte I, sc.1)

Mes yeux savent voir pousser les champignons...Elle grandit sous les yeux... à la vitesse d'une oronge...
( p.588, Acte I, sc.1)

Affreuses petites bêtes. On dirait trois petites Parques! C'est effroyable le destin enfant.
( p.590, Acte I, sc.2)

Cette fois, taisez-vous, sales petites vipères!
( p.590, Acte I, sc.1)
  IMPÉRATIFS SOCIAUX
  Clytemnestre

squelette



objets quotidiens



volailles



maison
Ose parler de ce jardin! Tout y est sec, je l'ai vu de la route: un crâne pelé. Tu n'auras pas Électre.
( p.608, Acte I, sc.4)

Et ainsi vivra Électre, fille de Clytemnestre et du roi des rois, à voir dans les plates-bandes son époux circuler deux seaux aux mains, centre d'un cercle de barriques! ( p.609, Acte I, sc.4)

Il n'y a pas d'êtres humains, dans cette cour, mais des coqs. Va-t-il falloir nous expliquer jusqu'au sang, en nous crevant les yeux? ( p.652, Acte II, sc. 7)

Par ce couloir imbécile qu'est la vie, en être arrivée là! ( p.658, Acte II, sc. 8)
  Égisthe


relations familiales
Je sais tout ce que tu vas me dire au nom de ta brave et honnête famille, au nom de ta digne belle-sœur l'infanticide, de ton oncle respecté le satyre, et de ton déférent neveu le calomniateur.
( p.596, Acte I, sc. 3)
  Le Jardinier


horticulture
Je ne connais guère les êtres, reine, mais je connais les saisons. Il est temps, juste temps dans notre ville de transplanter le malheur. Ce n'est pas sur notre pauvre famille que l'on greffera les Atrides, mais sur les saisons, sur les prairies, sur les vents. J'ai idée qu’ils n'y perdront rien. ( p.609, Acte I, sc.4)
  Le Président

flore



vertus et bonheur


guerre


flore




finances
Et pour droite elle est droite. Comme toutes les fleurs qui ne croient point au soleil.
( p.591, Acte I, sc.2)

Parce que ces trois vertus comportent le seul élément vraiment fatal à l'humanité, l'acharnement. Le bonheur n'a jamais été le lot de ceux qui s'acharnent. Une famille heureuse, c'est une reddition locale. Une époque heureuse, c'est l'unanime capitulation.
( p.593, Acte I, sc.2)
Tu vas les connaître enfin, tes fuschias et tes géraniums. Tu vas les voir cesser d'être d'aimables symboles, et exercer à leur compte leur fourberie ou leur ingratitude. Électre au jardin c'est la justice et la mémoire entre les fleurs, c'est la haine. ( p.594, Acte I, sc.2)
Je crois que finalement cela revient encore moins cher d'honorer un mendiant que d'humilier un dieu.
( p.595, Acte I, sc. 3)