L'impromptu de Paris (1937)

Réseau positif
  LA VÉRITÉ DE L'ART
  Adam

espace théâtral




apparition
surnaturelle

Puisque vous êtes au théâtre, c'est-à-dire dans un lieu d'heureuse lumière, de beau langage, de figures imaginaires, savourez ce paysage, les fleurs les forêts, les hauteurs et les pentes du spectacle, tout le reste est géologie. ( p.692, sc. 3)

Et si l'auteur est un mort illustre, même aventure. Le revenant qui, aux répétitions, était présent avec son nom, son génie, redevient un revenant tout terne, un revenant.
( p. 698, sc.4)
  Bogar

sciences



effets lumineux
Ce que Jouvet veut dire, Monsieur, c'est que le théâtre n'est pas un théorème, mais un spectacle, pas une leçon, mais un filtre. C'est qu'il a moins à entrer dans votre esprit que dans votre imagination et dans vos sens, et c'est le style qui renvoie sur l'âme des spectateurs mille reflets, mille irisations qu'ils n'ont pas plus besoin de comprendre que la tache de soleil envoyée par la glace. ( p.691, sc. 3)
  Boverio


langage












vie aquatique



Voulez-vous me dire ce que serait le comédien, Monsieur, s'ils avait un autre honneur que celui de la langue et du style? Lui qui doit prononcer les mots les plus stupides et les plus gros, où serait son métier, s'il n avait à dire aussi les plus nobles? Où trouver la récompense et la raison de ces mimiques, de ces toux, de ces bégaiements sous lesquels il cacha cent soirs l'indigence d'un texte, sinon dans le rôle qui lui rend les modulations, les amplitudes, les silences du vrai langage, et où il n'a plus qu'à être la statue à peine animée de la parole! Quel soufflet banal chez nous que les poumons d'un acteur, s'ils n'aspirent et n'expirent pas selon le rythme de Racine! ( p.690-691, sc. 3)

La pièce, après une navigation de fleuve, aborde enfin les flux, les profondeurs, commence vraiment son voyage, et nous nous apercevons, à une certaine perfection qui s'établit soudain dans nos phrases, dans nos gestes, que c'était bien vers ce public sans visage, sans nom, que notre destinée nous porte, vers cet océan du théâtre. Les comédiens ne sont pas des marins d'eau douce. ( p.700, sc.4)
  Castel

objets techniques
La mise en scène, c'est bâtir pour la pièce une assise de béton comme pour un obusier. Et en avant le tir!
( p.675, sc.1)
  Jouvet
apparitions
surnaturelles

espace


religion












objets quotidiens






objets quotidiens






comportements
humains




monstre





matière de bâtiment


couleurs



apparition
surnaturelle


règne animal





animal



références historiques et littéraires



hygiène orale
Certains [des anges] m'embrassent jusqu'à l'étranglement. ( p.683, sc. 3)

Du théâtre. C'est-à-dire de l'imagination, du langage. C'est-à-dire du pays.
( p.686, sc. 3)
Immobile, alangui, il aime comme Dieu peut aimer, quand il lui est donné de suivre, par un trou soudain ouvert dans les nuages, le jeu de quelques misérables ou magnifiques créatures. Un dieu paralysé, impuissant, autres ressemblances peut-être avec le vrai, mais qui se sent comme celui-là plein de pitié et de reconnaissance pour ces êtres fraternels ou filiaux qui veulent bien ce soir souffrir, vivre et mourir à sa place. C'est une heure d'éternité, l'heure théâtrale! ( p. 668, sc. 3)

Ou bien vous aurez en vous une poche d'air, vous sourirez aux anges, un horloge s'occupera à remonter dans votre cerveau les saisons et les heures l'indignation et la douceur c'est que la pièce était bonne. Parfois, de l'autobus, j'aperçois dans la rue un vieux monsieur rondelet au bras d'une jeune fille, dont la démarche est légère, la marche aimantée, le visage radieux mais tourné vers eux-mêmes je suis sûr qu'ils ont vu la veille une bonne pièce.
( p.692, sc. 3)

Une pièce bien écrite, évidemment. Le style a passé sur ces âmes froissés par la semaine comme le fer sur le linge elles sont toutes lisses.. ( p.692, sc. 3)

Mais le théâtre n'a pas les raffinements du comédien. Plein, c'est un génie. Vide, c'est un monstre. Le théâtre n'a de jour cet aspect engageant, cette bonne humeur, ce pittoresque qu'il est hypocritement en train d'affiner pour vous, que si le soir il sait qu'il sera comble. Il est sinistre, si la soirée doit être mauvaise. Quand, entrant en scène devant un public clairsemé, nous autres comédiens sommes tentés d'éprouver de la gratitude pour cette salle demi-pleine, nous sentons, à je ne sais quel défaut de l'acoustique, quelle matité des lumières, que lui éprouve de la haine pour cette salle demi-pleine, et qu'il nous fera payer cela très cher demain, quand nous nous retrouvons seuls à seuls. Quand on vit avec un monstre, on le préfère avec le sourire. ( p.696, sc.4)

Par une opération affreuse, dans cette demeure que le succès transfigure, il rend leur réalité aux choses et aux gens il rend le stuc du stuc, l'étamine, les gens qui jouent des gens qui jouent. Le sang s'est retiré de l'immeuble entier en regardant le rideau rouge, vous verriez que c'est un rideau blanc.
...
Et ce n'est pas qu'on lui en veut, c'est qu'on ne le voit plus, qu'il est devenu transparent. Et ce n'est pas qu'on ne veut plus lui répondre, c'est qu'on ne l'entend plus. Il est bien ce qu'il est un revenant. ( p.697, sc.4)
J'aime une pièce avec laquelle j'ai fait l'hiver et le printemps, pendant laquelle les feuilles ont trouvé le moyen de pousser, les oiseaux de couver, dont les matinées commencées l'hiver finissent, à ma sortie du théâtre, par me donner le soleil. Une pièce qui vous pond le soleil, qui prend la pulsation du monde, c'est merveilleux. J'ai eu une chatte que j'ai aimée.
Elle s'est arrangée pour naître, pour me conquérir, pour avoir ses petits, pour mourir pendant que je jouais la même pièce. Voilà une pièce! Quelle chatte c'était, d'ailleurs! Je ne veux pas dire que si j'étais un ancien dragon et un cavalier enragé comme Dullin j'aimerais jouer une pièce qui dure la vie d'un cheval. Mais entre les aventures on aime bien les liaisons dangereuses. ( p.698, sc.4)
Tu as à soigner le théâtre comme ta propre bouche, n'y souffrir aucune poussière, aucune tache, veiller à son éclat. Ce n'est pas une question de crédits. Les dents d'or n'y sont pas nécessaires. C'est une question de santé, d'haleine. À théâtre carié, nation cariée... Puisque tu as cent millions, emploie-les d'abord à chasser des temples - tu ne m'en voudras pas d'appeler ainsi nos salles - les faux marchands. Tu y gagneras, malgré ce pas de porte!...
( p.704-705, sc.4)
  Raymone
maison Puisque tu crains les courants d'air, pourquoi as-tu fait du théâtre? ( p.676, sc.1)
  Renoir

vie dans l’au-delà
Tu n'as pas comme moi l'impression, quand tu entends cet appel d'outre-tombe, que tous les comédiens du monde vont arriver, qu'ils arrivent? ( p.674, sc.1)
  Robineau

chasse



esprits surnaturels

Mythologie du
Moyen Âge




objets théâtraux

aviation

vie maritime







sports
Il me plaît, Monsieur, de savoir que ce domaine enchanté a des trappes pour le défendre, des pièges à loup pour l'isoler, des béliers pour assommer l'importun... sans toutefois réussir à l'écarter. ( p.678, sc.2)

Jusqu'ici des ailes m'y portaient. Car je suis un de vos fidèles... Ou des anges gardiens, sous la figure de vos délicieuses ouvreuses! Mais combien je préfère, fût-ce au dam de mon front et de ma hanche, cette marche au Saint-Graal qui m'amène à fouler ce parquet sacré...
( p.678, sc.2)

Les planches! Nom merveilleux. Le dernier sol en France où viennent se poser encore du ciel antique les sandales, les cothurnes, les socques. Que sont les champs d'aviation à côté de ce terrain d'atterrissage? Je peux les toucher, Monsieur? J'en ai bien le droit puisque je viens de les baiser... On dirait un navire! Est-ce que vous engagez d'anciens gabiers pour manœuvrer là-haut dans ces haubans?... D'un navire amarré au quai de la réalité et de la ville, et quand vous jouez, vous retirez cette échelle, l'échelle, vous levez l'ancre, Monsieur, et vous cinglez!
( p.678, sc.1I)

Je veux dire, Monsieur Jouvet, qu'une scène qui ne met son sort en jeu qu'une fois ou deux par an, ce n'est plus un exemple de lutte. C'est un championnat de poids lourds.
( p.696, sc.4)
Réseau négatif
  IMPÉRATIFS SOCIAUX
  Adam

effets lumineux


vocabulaire spécialisé
Vous avez beau, par la voix d'un jardinier, et une voix magnifique, la mienne, illuminer de la lumière la plus éclatante le chagrin de la solitude, de l'abandon, vous saurez, du fait qu'il monologue, que sa tirade est un tunnel. Bref vous apprenez, pour votre gouverne, que si tous les domaines de l'activité en France, la banque, la marine marchande, la coulisse, la mode, sont ouverts à la littérature, il en est au moins un dont l'entrée lui est interdite, le théâtre.
( p.690, sc. 3)
  Boverio

kaléidoscope
J'ai connu un enfant qui voulait comprendre le kaléidoscope. Il a raté toutes les joies du kaléidoscope. Ses camarades avec cet objet comprenaient qu'il y a le bleu, le rouge, les arcs-en-ciel, les mirages, les bâtons de feu, l'enfer, la volupté, la mort. Lui ne comprenait rien, et cassa sa machine.
( p.692, sc. 3)
  Dasté


termes techniques du théâtre

pêche
Et toutes ces questions qu'on leur jette dans les jambes, de la question des ouvreuses à la question des scènes tournantes en passant par celle des théâtres subventionnés et du cyclorama, comment voulez-vous que les pauvres diables s'y reconnaissent? On brouille la vase pour prendre le poisson.
( p.676, sc.1)
  Jouvet

milieu du théâtre





asile




finances



relations familiales



oiseaux
ciel
climat

guerre








tribunal


poids et mesures




sources



sculpture




religion






esclavage

robotique








destinée






balance

Je ne me trompe jamais. Que le dernier des bateleurs est un modèle d'humanité à côté de l'espèce dont vous nous fournissez un si triste exemplaire. ( p.682, sc. 3)

Si la scène française pendant des décades a été un asile de marionnettes et de poncifs, si le langage dramatique n'a pas dépassé le patois, si le théâtre français a été gravement atteint dans sa noblesse qui est le verbe , et dans son honneur qui est la vérité, ils en sont évidemment les premiers responsables. La corporation qui a fait de Bataille un millionnaire et de Becque un raté, qui délire au Mot de Cambronne et qui bâille à Claudel, doit évidemment se sentir parfois au cœur une dette lancinante envers le théâtre. Mais de là à prendre sur leurs appointements pour payer mes déficits, il y a loin!
( p.684, sc. 3)

Ils m'ont dit Mon cher Jouvet, critique et justice sont sœurs. Critiques nous sommes, justes nous serons.
( p.684, sc. 3)

Les plumes de ces oiseaux parleurs que sont les critiques ne prennent leur éclat que si le ciel théâtral est somptueux, le climat intense....

Notre armée est toute spéciale. Alors qu'un général français fronce le nez si l'on parle de Waterloo ou d'Azincourt, nous critiques, au contraire, sourions flattés au nom de Phèdre, de L 'Arlésienne, de La Parisienne. L'éclat des défaites que nous provoquons, pourvu qu'elles soient injustes, nous ensoleille nous-mêmes. ( p.684, sc. 3)

Eux, au contraire, le rideau levé, ils se sont raidis, isolés, par conscience, par une défiance d'eux-mêmes qui est devenue une défiance du spectacle ils se sont crus des jurés chargés de condamner ou d'absoudre ils se trouvent non devant des personnages, mais devant une pièce qu'il sont mission de peser et d'auner, et qui se cogne, haletante, à leur cerveau gonflé de chefs-d'œuvre. Sygne de Coûfontaine est pourtant toute prête à vivre ce soir pour Georges Le Gardonnel, Électre à se donner à André Bellessort. Ils ne le leur permettent pas. Jaloux au compte de Racine, méticuleux dédaigneux au compte de Musset, ils ne puisent dans ces sources de lumière et de bonté que la myopie et la hargne, et à mesure que du spectacle une nouvelle honneur s'élève, ou une nouvelle angoisse qui donne la chair de poule même aux cariatides de stuc, qui étaient à l'entrée les plus aptes à aider à cette naissance, ils sont à la sortie les seuls à ne pas comprendre. ( p.688, sc. 3)


Si vous croyez que c'est gai d'avoir une religion qui n'admet ni les incompris ni les martyres! ( p.701, sc.1V)

Bref, tu (l'état) amènes le soir à mes guichets un peuple énervé, usé par ses luttes de la journée, méfiant, irrité, et surtout contre toi... Ah! tu le sais... C'est heureux!... Et nous, en échange, que faisons-nous de lui? Nous l'apaisons, nous l'égayons. Nous donnons à cet esclave éculé la toute-puissance sur les couleurs, les sons, et les airs. Nous donnons à cet automate un cœur de chair avec tous ses compartiments bien revus, avec la générosité, avec la tendresse, avec l'espoir. Nous le rendons sensible, beau, omnipotent. Nous lui donnons l'égalité, la vraie, celle devant les larmes et devant le rire et le rendons à minuit sans rides à l'âme, maître du soleil et de la lune marchant au volant, apte à tout, prêt à tout, prêt à tout. Est-ce que vraiment tu te juges à jeu avec nous? ( p.702-702, sc.4)
La destinée de la France est d'être l'embêteuse du monde. Elle a été créée, elle s'est créée pour déjouer dans le monde le complot des rôles établis, des systèmes éternels.
...
Dans l'application de la justice intégrale, elle vient immédiatement après Dieu, et chronologiquement avant lui. Son rôle n'est pas de choisir prudemment entre le mal et le bien, entre le possible et impossible. Alors elle est fichue. Son originalité n'est pas dans la balance, qui est la justice, mais dans les poids dont elle se sert pour arriver à l'équité, et qui peuvent être l'injustice. ( p.703-704, sc.4)
  Renoir
habitat













chantage

C'est un locataire ambulant. Chaque soir on l'expulse d'un appartement nouveau, avant même qu'il ait pu repérer où se trouvent l'eau et le gaz, si bien qu'il finit plein d'appréhension pour les palais, leur luxe compliqué, leur personnel nouveau, ou les villas modernes, par se plaire seulement dans de petites demeures sans histoire, où fonctionnent les robinets courants d'esprit et de sensiblerie et où l'on se tire très bien d'affaire avec une femme de ménage. Chaque fois que j'aperçois dans la banlieue un pavillon qui s'appelle "Mon rêve" ou "Ça me suffit", je le salue. C'est la maison de la critique. ( p.688, sc. 3)

Comme la langue française, parlée et écrite correctement, résiste d elle-même à ce chantage, et n'obéit qu'à ceux qu'elle estime, c'est contre elle qu'a été menée l'offensive, et c'est alors qu'on a trouvé pour les pièces où elle n'était ni insultée ni avachie un qualificatif qui équivaut, paraît-il, aux pires injures, celui de pièces littéraires. ( p.689, sc. 3)
  Robineau

art dramatique


art-imagination
Tu demandes que le président du Conseil soit un dramaturge politique ou social? ( p.703, sc.4)

Cher président du Conseil, un peu plus de folie dans ton urbanisme, de rêve dans tes finances, un peu plus de mise en scène dans ton économie agricole! ( p.703, sc.4)