2- Les conditions et les aspects méthodologiques de la recherche

En effet, une recherche portant sur le système magico-religieux, où certains rituels, certaines catégories normatives et philosophiques, la finalité, les objectifs et les modes d’action sont fréquemment actualisés, rencontre divers écueils liés à sa nature, à la perception qu’ont les autochtones du chercheur dans leur territoire, et au contexte social (qui détermine souvent le comportement des initiés et d’autres acteurs sociaux face au chercheur). D’abord le Ndjobi est de nature complexe par ses rituels fondamentaux, par ses mécanismes et par les agencements de divers éléments qui font sa puissance magique et déterminent sa fiabilité. Ceux-ci sont réservés aux seuls initiés et entourés d’un secret total. D’ailleurs la violation de ces principes et de l’espace du sanctuaire, par exemple, est passible d’une mort brutale. Au regard de ces principes ’ l’enquêteur rencontre la réticence, la diversion et bien souvent l’enquêté se complaît dans le merveilleux, affabulant dans son désir du fantastique. Le matériel dont dispose le chercheur possède donc ses limites’, souligne Jacqueline Trincaz (1981, p 23). Il doit faire preuve d’une certaine habileté dans les thèmes abordés pour ne pas attirer la méfiance de l’enquêté ou la suspicion sur lui-même.

Ensuite le non-initié (à l’exception des femmes, des adolescents et des vieillards) est déconsidéré socialement par les initiés et parfois par d’autres non-initiés qui lui attribuent, de manière explicite, une irresponsabilité sociale, une immaturité et probablement une culpabilité liée à un comportement déviant. Ce qui justifie sa crainte d’être initié au Ndjobi. Cette attitude des initiés renvoie à l’importance de l’initiation dans le système Mbéti. Elle est perçue avant tout comme un moyen d’affirmer sa masculinité, sa personnalité et son autorité dans le système lignager et villageois pour un chef lignager d’une part; et comme un moyen d’affirmer sa maturité et d’accepter une responsabilité sociale pour les autres membres du lignage d’autre part. L’initiation permet surtout de participer au cercle du pouvoir et d’acquérir une puissance magique efficace pour protéger les siens contre les agressions maléfiques. Or en être exclu ou s’exclure de son gré, c’est affaiblir sa position et celle du lignage dans une société où les phénomènes magico-religieux sont des facteurs importants du système Mbéti.

A partir de ces considérations, mon statut de chercheur et non-initié est quelque peu similaire à celui du non-initié Mbéti. Il m’a été difficile, dans ces conditions, d’aborder certaines caractéristiques du Ndjobi avec une catégorie d’initiés. Elle me rappelait constamment que le statut de non-initié et de chercheur ne m’autorise pas àm’intéresser au Ndjobi. Elle m’interpelait aussi sur les motivations de mon refus d’hadhérer au Ndjobi en me signifiant qu’il est préférable de les analyser de l’intérieur. Il en découle une suspicion permanente et une distanciation d’avec l’étranger inconnu, le citadin ou l’intellectuel qui entraînent parfois un repli du Mbéti sur lui-même.

Même en étant Mbéti socialisé sur la base des mêmes catégories normatives, par les mêmes structures, les mêmes moyens et par les mêmes acteurs du système ethnique que les initiés, de surcroît natif du même pays et membre du même groupe ethnique qu’eux, j’ai eu beaucoup de difficultés (au début de la recherche) dans certaines parties de mon aire de recherche à la fois par la nature de l’objet de l’étude, par mon statut qui signifie pour certains d’entre eux une sorte de rejet du Ndjobi d’une part. Ma perception des phénomènes sociaux est jugée partiale et plus attentive aux thèses des citadins et des adeptes des sectes du Saint-Esprit et du Salut selon certains de mes interlocuteurs initiés. Ma partialité affirmée proviendrait du long séjour en Europe qui a modifié ma perception de la réalité ethnique d’autre part. En somme, j’étais étranger dans mon pays et pour les miens.

Très souvent, il fallait répondre aux même interrogations sur la finalité de mon travail. Pourquoi une étude sur le Ndjobi? Quelle est sa finalité? Quel est son intérêt pour les Mbéti et les initiés? Pour répondre à ces différentes interrogations, j’ai adopté une stratégie évolutive selon le climat social dans chaque zone et le comportement de mes interlocuteurs, en privilégiant l’explication de l’esprit de ma démarche qui ne vise pas la dévalorisation de la société initiatique (l’une des craintes des initiés); mais plutôt une meilleure connaissance de ses catégories normatives, de sa philosophie, de son mode d’action, de son organisation, de ses fonctions et surtout de son projet social, de la différence entre le Ndjobi originel et le contemporain et de la différence entre le Ndjobi et une association de sorciers.

Le contexte social qui prévalait dans le pays Mbéti au moment où j’ai effectué cette recherche était caractérisée par:

  • la conflictualité naissante entre le Ndjobi et les sectes du Saint-Esprit et du Salut,

  • les conséquences du procès intenté contre M. J. B. Ahoussa (le chef du fouoyi du village d’Akoua) pour homicide par M. J. Ambéndé à la suite du décès de son père G. Ambéndé intervenu quelques mois après son initiation au sanctuaire d’Akoua en 1980. A travers M. J. B. Ahoussa pèse une suspicion généralisée sur les chefs de fouoyi et les initiés les plus importants,

  • l’assimilation du Ndjobi à ’une association de sorciers’ par certains non-initiés intellectuels et citadins Mbéti.

Ce climat délétère crée chez les initiés à la fois un sentiment de méfiance et de défiance vis-à-vis des détracteurs supposés du Ndjobi. Le chercheur n’échappe pas à cette opinion négative du non-initié ou de l’étranger qui serait enclin à dévoyer le Ndjobi dès qu’il est en possession de quelques données susceptibles d’atteindre cet objectif.

Ainsi au village de Tsama I où prévalait une atmosphère conflictuelle entre les adeptes de la Secte du Saint-Esprit et deux initiés (soupçonnés d’agressions sorcellaires par les premiers), j’ai jugé judicieux d’enregistrer la totalité du rituel public d’initiation (soit plus de huit heures) et de le faire écouter à quelques-uns d’entre eux pour prouver mon impartialité et l’objectivité de ma démarche. Cet acte allégea l’atmosphère et me permit d’avoir des entretiens avec le Co-chef du sanctuaire, M. P. Ondjouani, et l’un des initiés importants, M. A. Ombélagniongo. Du côté des sectes, il fallait aussi donner des gages d’impartialité en abordant tous les aspects de cette conflictualité. La même situation a failli se reproduire aux villages d’Engobé et d’Oponga, n’eût été le charisme de la Prophétesse Otokawa, de son époux M. Ngangui et de M. Apénda (le Co-chef du fouoyi d’Engobé) qui ramena de la sérénité parmi leurs partisans.

Au village Tsama II, les aspects liés à la dynamique du Ndjobi ont été des sujets inabordables en raison du décès inopiné de M. Lékouma (le Co-chef de sanctuaire) soupçonné par certains villageois d’avoir assassiné sauvagement son cadet Eti dans la forêt à la fin d’une partie de chasse. Ces derniers supposent que sa mort fut une sanction normale du Ndjobi. Tout comme le décès de M. Ombèhè1 du village Lessia en 1974 lors d’une tentative de violation de l’espace du fouoyi qui a amené ses habitants à une excessive réserve lorsqu’on aborde les faits du Ndjobi comme s’il y avait une sorte d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête.

Aux villages Essoura, Oka-Bambo, Talas et à la commune de Mbama où l’opposition entre les sectes et le Ndjobi était très vive, j’ai été suspecté d’appartenir à la police par les adeptes la secte du Saint-Esprit, dont le Pasteur Ambéni Bakali Emile2 venait d’être arrêté (au mois d’avril 1989) pour trouble à l’ordre public à Ewo (chef-lieu du District du même nom), tranféré à Brazzaville et incarcéré pendant plus d’un mois dans une geôle de la police. Cette affaire rendit ma position inconfortable face aux adeptes de la secte.

Dans les aires (les axes suivants : Etoumbi- Kellé ; Kellé- Oyabi- Entchoko ; Opori-Obala I et II- Omboye) où cette opposition n’existait pas, j’ai bénéficié d’un appui conséquent des initiés et des non-initiés comme Ms Bataba, Barangolo, Somba, Babiessa, Evoussa, Ombélagniongo... qui m’a permis, par leurs connaissances historiques du système Mbéti et du Ndjobi, d’entreprendre une recherche historique à la fois sur la genèse, la philosophie, l’organisation, les implantations structurelles du Ndjobi, sur ses rapports avec les autres structures du système ethnique en général. Comme le Ndjobi est complexe par sa nature et son fonctionnement, et que tous les initiés n’accèdent pas au même degré d’initiation, ni de connaissance, ni de pratique rituelle; qu’il est aussi impossible à un seul individu de posséder des connaissances dans tous les domaines (thérapie, antidote, protection, para-judiciaire...), il existe le risque d’obtenir des informations partielles si l’on s’en tient seulement aux données recueillies auprès d’une seule source.

En second lieu, l’oralité qui est aussi une des caractéristiques de ces communautés devient un obstacle dans la mesure où, malgré son pouvoir de rétention, la mémoire ne peut parvenir à stocker une importante quantité de données, ni leur conférer une unité linéaire et temporaire. Celleci n’est pas un gage de conservation pour l’inscription dans la mémoire collective des phénomènes historiques comparable à l’écriture (qui est à la fois un moyen d’expression et de conservation des données à travers les livres, les journaux... stockés dans de bibliothèques). Ce que rappelle la célèbre maxime de Hampâté Ba : ’un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle’.

En ce qui concerne les sources écrites, relatives au passé, on dispose des documents de missionnaires (Mgr J. Adam cité par M. Alihanga) ou d’autres religieux (Abbé A. Raponda Walker, 1962) et des administrateurs ou de médecins coloniaux (A. Even,1936-1967 ; A. Bouquet, 1969 ; H.M. Faure, 1937 et d’autres auteurs des rapports officiels sur le système magico-religieux, ou sur le système politique... des sociétés colonisées). Ces textes ont une valeur de témoignage daté et circonstancié. Mais ils sont imprégnés des jugements de valeurs et de l’idéologie des milieux sociaux desquels baignent leurs auteurs. Sur la période contemporaine, on notera une inflexion des recherches locales portant plus les phénomènes liés à la modernité et aux institutions étatiques3 que sur certains phénomènes ethniques comme les systèmes divinatoires, l’andjimba, l’otouèrè, le ndjobi, l’èkongo, les différentes sortes de sorcellerie, sur les sociétés initiatiques ou secrètes, les confréries...etc. Plusieurs facteurs historiques, politiques et idéologiques sont ici à prendre en compte, et particulièrement l’impact de l’idéologie officielle de type marxiste-léniniste. Cette idéologie a dévalorisé les systèmes ethniques en leur donnant une image négative et en a fait des écueils au développement socio-écnomique du pays et à l’épanouissement de l’homme.

Ce constat est d’autant plus vrai pour les phénomènes magico-religieux qui sont assimilés à des superstitions, à des pratiques sorcellaires ou à des pratiques barbares. Les quelques articles qui en sont consacrés reprennent cette perception négative des hommes politiques locaux. La définition du Ndjobi donnée par un des informateurs (membre du parti : P.C.T) de J. Tonda (1988, p 78) est révélatrice. ’ C’est une association de gens dangereux. Ils sont très dangereux et il faut toujours être prudent avec eux. Ils interdisent les fétiches que pour être les seuls à les posséder et à être puissants... En fait, les adeptes de Ndjobi sont des grands spécialistes des fétiches. Il y a aussi de grands guérisseurs dans cette association. C’est pourquoi ils soignent efficacement certains malades. Et puis, je crois que pour certaines maladies qu’ils soignent le mieux, il s’agit de gens qu’ils ont empoisonnés, tout en connaissant le contrepoison qui peut les guérir ’.

Auparavant M. O. Nkogho-Mvé (1955, pp 52-53) abondait dans le même sens. Il citait ’quatre fétiches: le Moumbatsi, le Ngoye, le Mbouity et le Mboyo’ et définissait leur rôle en ces termes. ’Toute cette gamme de fétiches avait pour rôle d’aider à l’assouvissement de haines et de vieilles rancunes, à se venger, et non pas apporter le bonheur et la paix à la famille’[....] Tandis que le ’ fétiche ou secte magique secrète, Djobi est l’émanation de l’angoisse qui étreint le coeur de l’homme devant les adversités[...] Aussi, en présence d’innombrables soi-disant sectes magiques qui naissent ces temps derniers, où des charlatans se livrent sans vergogne à l’exploitation de la crédulité des esprits simples au profit de leur poche, il n’est que normal de se méfier de Djobi à priori’ concluait-il.

La dévalorisation de certains éléments du système magico-religieux n’est pas de nature à favoriser un réel échange entre les pratiquants de ces rituels et les chercheurs ou entre les générations de l’oralité et celles de l’écriture, ni créer les conditions d’une étude sérieuse de ces phénomènes au point qu’il est difficile d’étudier un phénomène qui s’est produit, il y a trois décennies (par exemple). Elle constitue un handicap majeur dans ces sociétés dans la mesure où la fiabilité des éléments d’analyse est sujette à caution à cause des approximations des documents oraux, des préjugés négatifs ou de la diversité contradictoire des données recueillies auprès des informateurs locaux. Si bien que les recherches effectuées actuellement sur des phénomènes ethniques (très anciens ou qui n’existent plus) sont tributaires des travaux des administrateurs coloniaux et des missionnaires chrétiens (cf., p 16). La pertinente remarque de M. C. Dupré (1978, p 59) selon laquelle ’ les études sur les possessions au Congo sont pratiquement inexistantes’ demeure d’actualité et reflète l’état de la recherche sur les phénomènes magico-religieux dans la Cuvette.

Les difficultés d’analyser la totalité des rituels des systèmes magico-religieux ou des religions ethniques proviennent du caractère ésotérique de leurs principaux rituels. Comm ils sont avant tout une affaire d’initiés, ces rituels sont soustraits au regard profane. Ce qui est donné à voir occulte souvent leurs caractéristiques essentielles. Leur occultation suscite une spéculation sur leur nature et leur dynamique ; et les autochtones font dire ou font écrire à certains observateurs ce que ces derniers veulent entendre ou veulent voir. ’ Cela réclame, en effet, non seulement une discipline d’enquête sur le terrain très rigoureuse, mais cela nécessite encore de pénétrer profondément la culture que reflète le rituel. Ce n’est qu’à ce niveau-là que l’on peut dépasser les apparences immédiates pour atteindre la signification profonde et cachée des phénomènes religieux’ fait remarquer J. Trincaz (1981, p 20).  C’est pour cela que j’ai assisté à plusieurs reprises au Congo et au Gabon à des rituels publics d’initiation, de thérapie, de désorientation de la foudre vers d’autres objectifs que le village-fouoyi... L’atmosphère qui règne à certains moments des rituels publics est telle qu’on observe des comportements contrastés des non-initiés : la joie, l’enthousiasme... pour les uns ; l’angoisse, la peur... pour les autres.

J’ai assisté en août 1980 dans le village d’Akoua à une scène qui traduisait l’angoisse du père (non-Mbéti et non-initié) d’un futur initié lors de l’Okwandji. Ce dernier quitta précipitamment le mba-è-ndjobi au moment où l’un des Mvandé-officiant s’apprêtait à effectuer le premier rite préliminaire de la phase publique de l’initiation. Ceci suscita une énorme stupéfaction des initiés et d’une partie des spectateurs. Il faut préciser que les rites préliminaires sont précédés d’une mise en scène dramatisée à outrance qui prévoit une issue fatale aux sorciers pendant leur initiation. Le comportement du père du futur initié lui évitait, soi-disant, d’assister à la torture supposée que les Mvandé-officiants infligeraient à son fils. En réalité, il tentait de dissimuler son angoisse voire sa peur. Son comportement contraste avec l’enthousiasme de certains spectateurs qui, dès la sortie de la brève retraite des danseurs vers 5h30 du matin, se précipitent vers le mba-è-ndjobi pour assister ou prendre part à la dernière partie de la danse publique. Ces comportements contrastés montrent la complexité de la perception du Ndjobi et la nécessité du travail de terrain.

Le travail de terrain m’a permis d’orienter les investigations sur des faits susceptibles de mieux cerner les caractéristiques sous-jacentes et importantes de la dynamique du Ndjobi. Il a duré près de 15 mois (du 15 février 1988 au 21octobre 1988, et du 19 avril au 25 octobre 1989) en deux séjours au Congo et au Gabon. Il est fait d’un ensemble de recherches, d’observations et d’entretiens sur les rituels, la genèse, la dynamique, la symbolique, l’impact du Ndjobi, sur ses rapports avec les autres instruments du système communautaire, les sectes, les religions et les structures du pouvoir étatique dans le pays Mbéti. Ainsi les aspects liés, par exemple, à la fiabilité du nkobè ou à sa composition, au déroulement de l’ordalie ou du rituel vindicatif ont été abordés avec beaucoup de recul; parce qu’ils sont du domaine de l’interdit où il faut relativiser l’objectivité de certaines données recueillies. C’est pour ces raisons qu’ils n’ont pas constitué la trame essentielle de cette recherche; et que les informations recueillies et leur recoupement n’ont de valeur scientifique qu’à partir du moment où ils constituent une catégorie analytique permettant de cerner cette réalité complexe.

Ce travail de terrain s’est appuyé aussi sur l’interprétation de certains textes rituels (notamment les chants, les proverbes, les incantations...) dont la sémantique et le message reproduisent ici une éthique, une histoire, des représentations collectives, un mode d’organisation sociale... qui introduisent l’interdépendance entre les vivants et les esprits ancestraux, gémellaires et cosmiques dans un système communautaire. Cet exercice délicat se réalisa grâce au concours des Mvandé qui maîtrisent à la fois les subtilités de la langue Mbéti et l’exégèse philosophique. Il s’agit des Mvandé des villages-fouoyi suivants: de Tsama (A. Ombélagniongo), d’Omboye (Mvouoni), d’Engobé (R. Ololo: le chef du fouoyi), d’Akoua (Evoussa Ossane), de Ngoua II (Bataba) et d’Akoua (Babiessa Gustave) au Congo; d’Otala (O. L, A. G, P.), des communes d’Akiéni (O. L, L. R), d’Aboumi (T. S, A. P), de Franceville (N. R, O. H.) au Gabon.

J’ai complété ce travail de terrain par l’analyse des travaux ou des rapports sur les éléments des systèmes magico-religieux Mbéti, Ndassa, Bambamba, Téké... rédigés par les administrateurs et les médecins coloniaux A. Even, H. M. Faure, A. Bouquet ... (rapport sur l’activité des sectes secrètes dans le district d’Ewo, déc. 1950, rapport politique de la région Ogooué-Ivindo, mars 1949 et 1er sem. 1945, archives de Mossendjo, procès-verbaux d’interrogatoire, 25 janv.1950) et les ethnologues ou les anthropologues (M.Alihanga,1976 ; G. Balandier,1955; M.C. Dupré, 1978, G. Dupré,1977). Elle permet d’observer l’évolution du Ndjobi, ensuite d’exquisser une comparaisons entre le Ndjobi originel et le Ndjobi contemporain, entre le Ndjobi contemporain et d’autres sociétés initiatiques, secrètes d’autres rituels au Congo.

Enfin, j’ai réparti cette recherche en deux parties de cinq chapitres précédées d’un chapitre préliminaire consacré au cadre de la recherche c’est-à-dire la région de la Cuvette et les Mbéti. La première partie portera essentiellement sur la genèse, la définition, la finalité, les catégories normatives, l’organisation, le fonctionnement... du Ndjobi. Comme il a connu beaucoup de changements tant au niveau organisationnel, fonctionnel qu’au niveau philosophique, consécutifs aux multiples attentes sociales, aux incidences des phénomènes sociaux, à l’évolution des rapports interethniques, aux incidences de l’évangélisation et à la colonisation, j’insisterai sur deux moments importants: le déclin du Ndjobi originel et la création du Ndjobi contemporain qui mettent en évidence la dynamique de la société Mbéti. Je l’approfondirai par l’approche des variantes permanentes du système magico-religieux Mbéti et l’Okwandji. L’Okwandji est un des rituels publics les plus importants par sa durée (1 à 3 jours et nuits), par le nombre élevé des initiés participants (20 à 50 personnes), le nombre élevé de spectateurs non-initiés (parfois plus de 100 personnes), par sa portée symbolique dans les rapports entre les non-inités et le Ndjobi, dans la socialisation collective, dans la démonstration de son ambivalence...

Je consacrerai la deuxième partie à l’étude de l’essor du Ndjobi et de ses incidences dans le pays Mbéti, dans la région de la Cuvette et au Congo dans des domaines aussi variés que la protection contre les attaques en sorcellerie, le règlement des conflits liés à la sorcellerie, le traitement phytothérapeutique de diverses maladies, la socialisation collective, les rapports interethniques, les rapports entre le Ndjobi et les deux sectes du Salut et du Saint-Esprit... Les sectes sont un phénomène intéressant à étudier dans le pays Mbéti dans la mesure où est nouveau (leur installation commence à partir de 1988) et influe sur le rapport de force entre le Ndjobi et les autres structures du système Mbéti. Les sectes modifient considérablement les données analytiques de la dynamique du Ndjobi et du système structurel Mbéti en général. Elles introduisent de nouveaux paramètres dans la lecture des phénomènes sociaux chez les Mbéti du monde rural. La coexistence inédite entre le Ndjobi et les sectes affaiblira-t-elle la position longtemps hégémonique de cette société initiatique dans le pays Mbéti ou au contraire entraînera-t-elle une synergie entre elle et les sectes?

Notes
1.

M. Ombèhè et son complice s’étaient cachés dans le feuillage d’un grand arbre à proximité du fouoyi de Lessia pour observer, à l’insu des sociétaires, le déroulement de l’initiation. Avant même le début du rituel Ombéhé chutait mortellemnt, mit un terme à leur tentative. Le bruit de sa chute et ses hurlements conduisirent ces derniers sur le lieu du drame. Son complice était immédiatement initié et paya une amende financière au fouoyi de Lessia

2.

Le pasteur Emile Ambiéni est natif de l’ancien village Andjoko à quinze kilomètres de Mbama. C’est dans la préfecture de Mbama où la secte compte le plus grand nombre d’adeptes.

3.

Je cite ici quelques enseignants d’université et chercheurs originaires de la Cuvette qui ont écrit des thèses de doctorat, d’ouvrages et d’articles.

T. Obenga – Introduction à la connaissance du peuple de la République populaire du Congo, 1973

La cuvette congolaise : les hommes et les structures, Présence africaine, Paris, 1976

Les Bantu : langues, peuples, civilisations, Présence africaine, Paris, 1975

H’histoire sanglante du Congo-Brazzaville, Présence africaine, Paris-Dakar,1988

Y. N. Gambeg, Pouvoir poliltique et société en pays Téké (R.P.C) de 1506-1957, Thèse de doctorat, Paris I, 1984,

Y. R. Yébéka, La politique de l’information au Congo sous le P.C.T, Thèse de Doctorat, Paris II, 1983

J. D. Ekori, Politiques touristiques et développement: l’exemple du Cameroun, Thèse de doctorat, Dijon,1986

J.J Otta, Le rôle de l’inspecteur du travail et des lois sociales en République populaire du Congo, Thèse de doctorat, Paris VII, 1981

M. Ngonika, Ressources humaines et avenir de l’Education au Congo, Thèse de doctorat, Caen, 1993.