CHAPITRE PRELIMINAIRE : LE CADRE DE LA RECHERCHE

I - LA REGION DE LA CUVETTE : SITUATION GEOGRAPHIQUE ET COMPOSITION DE LA POPULATION

A cheval sur l’équateur, le CONGO couvre une superficie de 342.000 km2 où vivent près de deux millions six cents mille habitants4. Il est subdivisé en neuf régions administratives où se répartissent inégalement plus d’une cinquantaine de groupes ethniques d’importance numérique inégale:

  • La LIKOUALA avec Chef-lieu IMPFONDO

  • La SANGHA avec Chef-lieu OUESSO

  • La CUVETTE avec Chef-lieu OWANDO

  • Les PLATEAUX avec Chef-lieu DJAMBALA

  • Le POOL avec Chef-lieu KINKALA

  • La LEKOUMOU avec Chef-lieu SIBITI

  • La BOUENZA avec Chef-lieu MADINGOU

  • Le NIARI avec Chef-lieu LOUBOMO (redevenue Dolisie)

  • Le KOUILOU avec Chef-lieu POINTE-NOIRE

La région de la Cuvette est le territoire traditionnel des groupes ethniques Mbéti, Mbochi, Kouyou, Kota, Likouala, Likouba, Ngaré, Tégué... Mais le pays Mbéti s’étend à la province du Haut-Ogooué au Gabon où le groupe du même nom retrouve les Obamba, une de ses composantes5. Cette double appartenance territoriale est consécutive aux mouvements migratoires et du fait colonial. En effet, les régions du Haut-Ogooué (Gabon), de la Ngoko, de la Sangha (Cameroun), de la Lobaye et de la Bouar-Baboua (Centrafrique) furent l’objet de multiples enjeux dans les diverses stratégies coloniales en A.E.F6, et occupèrent une place particulière dans l’organisation des frontières des futurs Etats indépendants.

Ainsi, le Haut-Ogooué connut une situation singulière entre le Gabon et le Moyen-Congo (Congo actuel) de 1925 à 1946 faisant partie tantôt du Gabon tantôt du Congo, jusqu’à sa cession définitive au Gabon en 1946. Il est d’abord rattaché au Moyen-Congo par l’arrêté du 15 avril 19257. Mais au lendemain de la deuxième guerre Mondiale, la participation des Africains à celle-ci et l’éveil politique qui se dessinait modifièrent les données de la stratégie coloniale. C’est ainsi que les décrets du 16 octobre et du 20 décembre 1946 (M. Soret, 1978, p 159), reprendront toute l’organisation de l’A.E.F, que le Moyen-Congo perdra définitivement le Haut-Ogooué à l’Ouest au profit du Gabon. Les régions de Bouar-Baboua et de la Lobaye reviendront à l’Oubangui (actuelle Centrafrique) et celle de la Ngoko au Cameroun au Nord.

Ainsi R. Pourtier (1995, p 120) pense que ’les autorités coloniales ne pouvaient pas ignorer les potentielles perspectives minières du Haut-Ogooué et rien n’interdit de penser qu’elles avaient préféré que le manganèse fût localisé au Gabon plutôt qu’au Congo dans la perspective d’une évolution annoncée vers l’autonomie des colonies. Tchikaya, député du Moyen-Congo et signataire en 1946 du manifeste de Bamako, n’allait-il pas entraîner la colonie dans une évolution plus difficile à contrôler qu’au Gabon?’. La présence des Mbéti, des Kota, des Tégué... au Congo et au Gabon dans la zone frontalière est consécutive aux faits suscités. Cette situation est identique pour les Kongo en Angola, au Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) et au Congo, des Fang au Gabon, en Guinée Equatoriale et au Cameroun et pour beaucoup d’autres peuples d’Afrique. On la retrouve aussi bien en Europe (où les Basques sont à cheval sur les Pyrénées en France et en Espagne), au Moyen-Orient (où les Kurdes sont dispersés entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran), qu’en Asie ou en Amérique... mais pour des raisons différentes de celles de l’Afrique. La situation géographique devient un enjeu politique dès l’instant où il y a un sentiment de marginalisation ou une non-reconnaissance de l’identité communautaire par le pouvoir central. Dans ces conditions l’appartenance ethnique devient un facteur mobilisateur.

Malheureusement cette artificialité des frontières rend complexe la situation administrative de certains groupes en raison de leur double ou triple appartenance à des Etats différents. De ce fait, ils deviennent souvent des communautés distinctes avec des noms génériques différents selon les administrations. C’est le cas des Kongo, des Lari, des Zombo, par exemple, qui appartiennent au groupe Kongo et sont désignés différemment par Kongo et Lari au Congo, Kongo au Zaïre et Zombo en Angola. Ce phénomène ne constitue pas pour autant un écueil pour les échanges intra-communautaires, ni pour l’affirmation ethnique; mais il éclaire en partie la configuration de certains groupes ethniques et la réalité de leur situation géographique. Mais revenons à la composition de la population de la Cuvette.

La Cuvette, comme l’indique son nom, située dans la partie centrale de la Cuvette congolaise crée en quelque sorte une division naturelle entre le Nord et le Sud du Congo, s’étendant du Zaïre (à l’Est) au Gabon (à l’Ouest). Elle couvre le Nord-Est-Ouest sur 74 850 km2, étant la plus vaste région du pays. Elle s’étend sur la rive gauche des fleuves Congo, Sangha, Oubangui et sur la rive droite de l’Alima, regroupant ainsi les anciennes préfectures de l’Equateur, de l’Alima et de la Likouala-Mossaka8. Sur le plan national, elle est délimitée au Nord-Ouest par la région de la Sangha et à l’Est par la région de la Likouala; et au Sud par les Plateaux. Les provinces du Haut-Ogooué (Gabon) à l’Ouest et de l’Equateur (Zaïre) à l’Est constituent les frontières internationales.

Le découpage administratif la subdivise en dix districts et cinq Postes de contrôle administratif (P.C.A) qui sont:

  • Les Districts: Boundji (9.336 hab), Ewo (10.211 hab), Kellé (7.152 hab), Loukoléla (6.545 hab), Makoua (17.442 hab), Mbomo (3.900 hab), Mossaka (15.062 hab), Okoyo (7.570 hab), Owando (27.291 hab) et Oyo (5.690 hab).

  • Les P.C.A: Etoumbi (9.045 hab), Mbama (4.631 hab), Ngoko (3.106hab), Tchikapika (5.865 hab ) et Tokou (2.295 hab )9.

Pour 135.144 habitants, la carte ethnique régionale fait apparaître aujourd’hui une diversité de sousgroupes et de groupes ethniques qui est consécutive à la fois aux deux phénomènes suscités, à l’occupation des espaces actuels et aux relations intercommunautaires. Ce qui aboutit soit à un éparpillement spatial, soit à des recompositions conjoncturelles qui modifient la configuration initiale de ces ensembles humains. D’ailleurs G. Sautter (1966, p 166) notait que ’le tableau et la carte ethnique du Congo ont été continuellement remaniés par des effets d’absorption, d’empiétement, de microacculturation, au bénéfice des uns et aux dépens des autres’, selon une dynamique de réductionassociation. Il apparaît une confusion sur les appartenances ethniques de certains groupes et une tendance à leur regroupement en des ensembles plus importants selon les travaux des historiens, des linguistes et des démographes. Ainsi le groupe Mbochi est constitué de Kouyou, de Makoua, de Ngaré, de Mbochi et de Likouala (T. Obenga, 1976,pp 4-5). Tandis que le groupe Tégué a pour composantes les Mbéti, les Tégué, les Andjinigui, ou le groupe Kota: les Kota, les Mboko et les Ngaré (J.J. Motsara, 1984-1985, pp 27-32). Pourtant une observation de la réalité ethnique sur le terrain amène à constater que les autochtones c’est-à-dire les membres de ces différents groupes ne s’identifient pas à ces communautés conçues par les chercheurs ou les administrateurs. Tant ils sont différents les uns des autres par les invariants fondamentaux de leurs systèmes comme la langue, les danses, la scarification faciale, le système magico-religieux...

De cette observation, on distingue 9 groupes ethniques appartenant tous à la communauté BANTU et vivant les uns à côté des autres : les Kota, les Kouyou, les Makoua, les Mbéti, les Mbochi, les Mboko, les Likouba, les Ngaré10 et les Tégué; et subdivisés en sous-groupes pouvant s’apparenter à des clans pour certains. Il s’agit de:

Nom générique Sous-groupes
Kota Kota, Ngom
Kouyou Koyo, Anguièlè, Assuma
Mbéti Ambéré, Aliéngui, Oyouomi
Mbochi Olée, Ngilima, Tsambitso, Ngaé, Obaa, Mbondzi, Eboyi
Makoua Akoua, Ndongoniama
Mboko Mboko
Likouba Likouba, Likouala, Bangala, Banga, Bouegné
Ngaré Asi-adinga, Asi Bua La pongui, Asi ngaré
Tégué Andjinigui, Oba, Ntsouo, Ngaayi

Les Tégué ont pour terroir traditionnel et circonscription administrative les Districts d’Ewo et d’Okoyo. On les retrouve aussi dans le district de Boundji et dans le P.C.A de Ngoko (territoire limitrophe de leur pays). Certains observateurs pensent que la commune de Boundji et ses environs sont plus un territoire Tégué que Mbochi en raison de leur nombre assez élevé. Tandis que les Mbochi localisés dans les Districts de Boundji et d’Oyo, lieu où leur migration a pris fin, se partagent les confins du District d’Owando avec les Kouyou. Une importante partie de son effectif occupe la zone septentrionale de la région des Plateaux. Quant aux Mbéti qui occupent la totalité des circonscriptions de Kellé, d’Etoumbi et de Mbama, leur présence est très significative au Nord du District d’Ewo et à l’Est de la province du Haut-Ogooué (au Gabon où ils sont, avec les Tégué, les groupes majoritaires).

Les Ngaré, l’une des plus petites ethnies (avec les Kota et les Mboko), se concentrent autour de la ville d’Etoumbi avec des points d’ancrage dans l’Ouest du District de Makoua et dans l’Est du P.C.A de Mbama. Tandis que les Kota et les Mboko sont entièrement regroupés dans le District de Mbomo.

Enfin, les Makoua occupent la circonscription administrative du même nom et celle de Tokou; et les Kouyou le District d’Owando, le long du fleuve Kouyou où ils font frontière avec les Likouala. Ces derniers ont pour territoire traditionnel les districts de Mossaka et de Loukoléla. Mais l’importance de la pêche qui attira de nombreuses populations d’origine diverse dans ces deux circonscriptions en fait la zone la plus cosmopolite de la Cuvette où cohabite la quasi-totalité des groupes du Nord-Congo. Il faut noter que la situation géographique actuelle de ces groupes ethniques a été pérennisée par les découpages administratifs successifs et l’absence de structures industrielles qui auraient favorisé une immigration intra-régionale. C’est plutôt vers les villes du Sud du Congo que s’effectuent ces migrations.

Notes
4.

Estimation de la population 1987. Ministère du Plan.

5.

Je n’ai pas élargi l’étendue du pays Mbéti aux districts de Bambamba et de Zanaga où vivent les Bambama, la troisième composante du groupe parce qu’ils ne sont pas majoritaires démographiquement comme le sont les Mbéti dans les districts et P.C.A. de Kellé, Etoumbi,et de Mbama. Les Bambamba vivent dans les mêmes villages que les Ndassa, les Kota et les Téké.

6.

A.E.F. Afrique Equatoriale Française

7.

Arrêté du 15 avril 1925 ,Journal Officiel 1925, cité par R. Pourtier. ’La circonscription du Haut-Ogooué telle qu’elle est délimitée par l’ arrêté du 7 janvier est séparée de la colonie du Gabon et rattachée à celle du Moyen-Congo ’.

8.

Il s’agit des anciennes préfectures de l’administration coloniale, que la réorganisation du découpage admninistratif de 1970 regroupa en une seule région. Mais depuis 1993, la Cuvette a connu un nouveau découpage qui la subdivise cette fois-ci en deux régions distinctes: la Cuvette et la Cuvette-Ouest. La Cuvette-Ouest regroupe les préfectures et sous-préfectures d’Etoumbi, Ewo, Kelle, Mbama, Mbomo et Okoyo; et la Cuvette celles de Boundji, Makoua, Mossaka, Loukolela, Oyo, Owando, Tchikapika et Tokou.

9.

Recencement de la population et de l’habitat 1984, Source Ministère du plan op cit, pp. 169-203.

10.

Cf, T. Obenga, 1976, pp 6-9