II – LE GROUPE ETHNIQUE MBETI

1-Situation géographique et composition

L’ébauche précédente essaie de clarifier les appartenances des différents groupes ethniques de la Cuvette. Mais la situation des Mbéti est particulière en raison de sa double appartenance au Congo et au Gabon et à trois régions la Cuvette (à l’Ouest), la Lékoumou (au Sud-Ouest du Congo) et la province du Haut-Ogooué (à l’Est du Gabon). Cette situation géographique est l’un des éléments sur lequel sont basés beaucoup d’analyses sur l’appartenance ethnique des Mbéti. Elle est une source de confusion ; si bien que certains travaux de géographes, de linguistes et de démographes font des Mbéti une composante de l’ethnie Eshira. H.M. Faure (1931, p 111) les inclut dans le groupe Obamba. Pour J.J. Motsara (1984-1985, pp 27-32), les Mbéti appartiennent au groupe Tégué ou Ngaré-Oyouomi. A. Even rattache ’ les Babamba au sous-groupe Kikongo’. Tandis que M. Alihanga (1976, p 48) affirme que les Mbéti et les Babamba constituent un seul groupe ethnique ; mais il constate que le nom générique change d’un pays à l’autre: Obamba pour les Gabonais, Mbéti et Bambamba pour les Congolais.

La confusion qui en résulte est liée au caractère sommaire de ces travaux qui n’ont pas tenu compte des caractéristiques fondementales de l’ethos Mbéti quelle que soit la région habitée par l’une des composantes du groupe. Il faut aussi souligner que le groupe Mbéti ou Bambamba ou Ombamba (selon le nom générique attribué par les administrations des deux Etats) est une seule communauté constituée de Bambamba, de Mbéti et d’Obamba. Pour les membres du groupe, ils sont Ombéré (plur Ambéré) ou Ombama (plur Ambama). Les vocables Mbéti, Bambamba et Obamba n’ont de portée que pour les administrations locales et les publications scientifiques. Tandis que le vocable Mbéti est certainement un dérivé ou une déformation du mot Oumbété qui figure dans les premières notes de voyage au Congo de Savorgnan de Brazza11. D’ailleurs cette déformation du terme Ombéré en Mbéti le dénature au niveau phonétique et surtout dévoie sa symbolique et sa sémantique dans la mesure où Mbéti n’a aucun sens pour les autochtones. Cette déformation peut créer une confusion avec les groupes ethniques Bëti du Sud-Cameroun et les Bété de la Côte-d’Ivoire ; avec lesquels il n’y a pas une similarité culturelle. Si le vocable Mbéti résultait d’une assimilation aux noms Bété ou Béti ?

La recherche portera uniquement sur le sous-groupe nommé Mbéti par l’administration congolaise et résidant dans la Cuvette dont les composantes sont les Aliéngui, les Ambéré et les Oyouomi ou Assi Oyouomi.

Les Aliéngui ou Mbédé (selon l’expression de M Alihanga) résident dans la partie septentrionale du pays Mbéti, en pleine forêt équatoriale. Ils sont voisins des Kota et situés sur les axes routiers suivants :

  • Axe 1- Commune de Kellé -Village Abolo -village de Ndouba -village de Ndjouono

  • Axe 2 - Commune de Kellé- Village d’Omboye-Carrefour - village d’Oyabi

A ces deux axes principaux, il faut inclure la route reliant Tcherré à Kellé.

Tandis que les Ambéré occupent la plus grande partie du pays Mbéti ; c’est-à-dire les axes routiers suivant : Olloli-tsama-Omboye I ; Yaba-Mbéti-Oka-Bambo ; Okouélé-Oka-Bambo-Talas-Essoura ; Talas-Mbama-Mina ; Mbama-Otala-Endéké.

Les Oyouomi sont concentrés dans la partie orientale du pays Mbéti autour de l’axe TcherréOloliKoui avec une attache à l’axe Okélataka-Empaka. Ils sont voisins des Ngaré avec lesquels la cohabitation est harmonieuse. Celle-ci a certainement suffi à J.J. Motsara (1984-1985) pour inclure les Mbéti dans le groupe Ngaré-Oyouomi. Il faut souligner que la spécificité des Oyouomi provient de leur tentative de partir à la rencontre des astres dans la forêt d’Otàlà située entre les villages d’Olloli et de Tcherré.

Cette aventure est racontée par les générations des aînés aux générations des cadets. En voici le récit.

‘’ C’est vers la fin du siècle dernier (XIXè siècle), qu’Oyouomi (le chef du clan) avec d’autres chefs lignagers organisèrent une tentative de conquête spatiale. Pour les initiateurs du projet, il fallait découvrir l’emplacement des divers astres (lune, soleil et étoiles) qui les fascinaient. Mais la distance qui les sépare de l’homme, les difficultés techniques posèrent un épineux problème de faisabilité. Les plus ingénieux découvrirent dans la forêt d’Otàlà le plus grand arbre pouvant servir de support pour l’élévation de l’outil architectural qui mènerait les aventuriers au ciel.
Pour cela, il fallait mobiliser tous les hommes et femmes valides, les esprits tutélaires et les diverses forces cosmiques pour que la réussite soit totale. Durant plus de deux mois, les hommes, les femmes et les adolescents ont coupé et rassemblé au lieu-dit des troncs d’arbre, des lianes et des cordes qui serviront de matériaux de construction pour cette sorte d’échafaudage. Et chaque jour, vers 10 h de la nuit, des rituels préparatoires sont organisés par les chefs des villages appartenant au clan. Le jour prévu, la majorité des membres de cette communauté répondit présente pour assister au début officiel de l’expédition. Une kermesse accompagna cette cérémonie. Les organisateurs avaient choisi des hommes robustes et courageux pour l’expédition.
A l’arbre-socle de l’échafaudage, au fur et à mesure de son élévation, on lia des troncs d’arbres les uns aux autres avec des lianes. Mais arrivée à une certaine hauteur, cette construction céda sous le poids et tout s’effondra tuant tous les membres de l’équipage et tous ceux qui dansaient ou se relayaient à tour de rôle pour le transport de matériaux de construction. Les pertes humaines furent considérables; et les organisateurs de l’expédition subirent une terrible humiliation. Ils furent considérés comme des irresponsables et certains renonceront à leur responsabilité’. Cette aventure spatiale fut, avec la guerre inter-ethnique d’Abolo, l’une des pires catastrophes pour le groupe Mbéti et fait partie de son histoire.
Jusqu’aujourd’hui la marque de cette aventure est la couleur rougeâtre du sol, des feuilles d’arbres, d’arbustes et des herbes sur le lieu-dit, symbolisant ainsi la coulée de sang d’antan. Et l’identité d’Oyouomi est singularisée par cette anecdote ’Obala Ntali oyouomi onono’.’

Traduction littérale: se faire mordre par le serpent Oyouomi est dur.

Exégèse: La morsure du serpent est préférable à la témérité et au courage des Oyouomi. En réalité, cette anecdote fait l’éloge de cette tentative extraordinaire dans un domaine périlleux qui nécessite aujourd’hui des investissements importants tant humain, matériel, financier que technique. Il fait aussi allusion à leur caractère belliqueux, téméraire et intransigeant.

Enfin, il faut noter que la seule caractéristique qui semble spécifier une composante du sous-groupe Mbéti d’une autre sont les fluctuations ou les intonations dialectales. Car l’organisation sociale, le système magico-religieux, les danses comme alinga, la langue (Mbéré, Lembama ou Liéngui), l’histoire et d’autres éléments de l’ethos sont des fondements de l’unité du groupe Mbéti qui les distinguent des autres groupes ethniques de la Cuvette.

Notes
11.

P. Savorgnan de Brazza, (Tour du monde) cité par M. Alihanga.