2 -L’organisation sociale Mbéti

2.1- Le lignage

L’évolution induite par la croissance démographique du groupe Mbéti, de la scolarisation de plus en plus précoce de ses membres, la monétarisation des échanges économiques, l’agrandissement et le regroupement des villages sur des nouveaux sites, le salariat, l’exode rural et surtout la multiplication des mariages extra-ethniques (qui distendent les liens de parenté) font perdre au clan son importance dans l’organisation sociale au profit du village (mpohogo), du groupe lignager (nkouono) et du groupe domestique (ndjo). Ainsi pour demander l’identité à un visiteur, le Mbéti pose deux questions précises:

  • Wè awa na yéni mpoho ?

  • Wè mouana na ?

Traduction

  • Vous venez de quel village ?

  • Vous êtes le fils de qui ?

Ces questions qui font référence aux origines lignagères et villageoise montrent ici leur importance pour l’identification d’un individu. C’est pour cela que le Mbéti s’identifie, en face d’un autre, à ces deux structures quel que soit son statut social. Car le village n’est pas simplement une entité résidentielle mais une unité temporelle qui a une histoire, une organisation et parfois une microculture. En ce sens, dans les villes, l’appartenance à un même village établit une solidarité similaire à celle du lignage. Ainsi les multiples associations villageoises à Brazzaville sont devenues un moyen d’expression et une réalité très significative12 dans la perspective de cette évolution.

Cette perte d’influence du clan chez les Mbéti est similaire à celle du lignage et de la famille étendue au profit de la cellule familiale réduite telle que l’a constatée O. Journet (1976) chez les Diola au Sénégal. ’ Cette évolution est induite en grande partie, souligne-t-elle, par le développement du droit de propriété privée lié à l’extension des cultures commerciales et la monétarisation des rapports économiques.’ Malgré la différence des facteurs de cette évolution, la perte d’influence de ces structures modifie le système d’organisation des groupes ethniques.

L’organisation sociale Mbéti repose sur une double reconnaissance de la parenté en ligne agnatique et utérine avec une prédominance de la première qui est lisible au travers la patri-virilocalité, les règles de succession et la prééminence symbolique des agnats. Mais en réalité, elle s’apparente à un système bilinéaire où il existe un certain équilibre entre le patrilignage et le matrilignage.

En effet Ego appartient à quatre lignages Nkouono, à partir de la mère du père (nkahaa okassi), du père du père (nkaha à balaha)13, de la mère de la mère et du père de la mère. C’est ainsi que les droits d’ego sont partagés entre le père, l’oncle utérin et les grands-parents dans divers domaines du vécu; favorisant une certaine souplesse qui peut ressembler à une dysharmonie structurelle pour certains observateurs. Prenons deux exemples la résidence et le nom. Dans le premier cas, Ego parvenu à l’âge adulte est libre de choisir soit la matrilocalité, soit la patrilocalité ou la néolocalité (rare dans la mesure où elle résulte d’un conflit ou d’une sanction intralignagère) sans susciter d’opposition entre les lignages. Mais la force de l’éthique traditionnelle préserve toujours une prédominance de la viri-patrilocalité.

Dans le second cas, Ego peut porter le nom d’un arrière grand-parent de la mère comme de celui du père selon la volonté des parents ou de ces grands-parents. Ainsi on observe, par exemple, que des enfants issus des mêmes parents ont des noms différents ou ne portent pas le patronyme paternel. Cette situation nous ramène toujours à cette forme d’harmonisation qui confère au nom une symbolique identitaire et statutaire. C’est ainsi que les parents appelleront différemment leur enfant non pas par le nom qu’il porte mais par celui désignant le statut de la personne dont le nom lui a été attribué. On aura par exemple Da 14pour l’un et Okoo pour l’autre.

Cette souplesse donne à l’enfant l’avantage d’avoir recours à d’autres membres des lignages en cas d’abus d’autorité d’un des membres influents de sa parenté. Mais elle attribue des obligations des deux côtés limitant parfois ces marges de manoeuvre. Dans le domaine magico-religieux, Ego appartient à une quadruple catégorie, suivant son père, ses grands-parents paternels, son oncle et ses grands-parents maternels. Il rendra les cultes ancestraux ou autres en lieu et place de ces derniers; et tous peuvent le sanctionner ou le maudire selon la nature de la déviance. Si bien que les agressions sorcellaires concernent autant le matrilignage que le patrilignage chez les Mbéti comme chez les Kouyou, les Makoua ou les Tégué. Et dans certains cas, il y a une collusion des sorciers issus des différents lignages. Ce qui complique souvent le travail des devins.

Notes
12.

Il s’agit ici des associations les mieux structurées: Olèbè pour le Village Yaba-Mbéti et Abowa à mpoho pour celui de Ndjouono.

13.

Les Mbéti emploient indistinctement les termes Nkahaa-Okassi pour désigner les grands-mères tant du côté paternel que maternel; ou celui de Kahaa-a-balaa pour le grand-père des deux côtés.

14.

Da désigne le père et Okoo le beau-père