2.2- Le mariage

Il est intéressant de relever les incidences de ce système lignager sur le mariage d’Ego. En effet, il ne peut pas épouser, par exemple, sa cousine parallèle ou croisée, ni la veuve de son père ou celle du frère du père. Les cousines croisées et parallèles sont considérés comme soeurs et ont le ou les mêmes totems qu’Ego. C’est pourquoi une relation sexuelle est considérée comme incestueuse et aura des implications néfastes pour la cohésion du lignage. En réalité, cette relation met en jeu les liens de sang et surtout les liens totémiques. La sanction magique est une maladie appelée Ohoula caractérisée par des gales qui couvrent la peau du déviant et par une obésité. A cela s’ajoute l’ostracisme social tant au niveau du village qu’au niveau lignager. Concernant la veuve du père, elle est considérée comme la mère d’Ego par le ’phénomène de participation à un totem par contamination’ (entre le père et son épouse). De plus ce mariage serait d’abord une transgression du principe de hiérarchisation lignagère qui fait d’Ego un inférieur statutairement à son père et à son épouse. C’est pourquoi une relation entre Ego et la veuve de son père est dite incestueuse et considérée, en outre, comme une déviance. Ces restrictions font que le père, la mère, les grands-parents et les oncles exercent longtemps une forte autorité sur égo avant son affranchissement, en partie, par le mariage.

Jadis les Mbéti avaient sept types de mariage baala:

  • le mariage libre (baala) où le choix du partenaire relève du seul ressort du conjoint,

  • tandis que le mariage par échange (baal’è ntsossihi) est une sorte de compensation entre deux clans pour le départ d’une femme. Celui qui choisit une femme dans un lignage donné doit en contrepartie donner à celui-ci une femme à marier.

  • Le sororat, par contre, répond à des attentes particulières: le décès d’une soeur-mère d’enfants très jeunes qui nécessitent la présence d’un membre du lignage maternel afin de les rassurer et leur éviter un traumatisme psychologique; ou la stérilité de l’épouse qui est mal perçue ici. Dans ce cas, la soeur (souvent plus jeune) épaulera son aînée sans prétendre devenir une épouse légitime.

  • Le lévirat intervient uniquement lors du décès de l’époux. La femme devra prendre un nouvel époux dans le lignage du défunt. Elle est libre de refuser mais la contrainte sociale (très forte) lui laisse peu d’initiative surtout si elle a eu des enfants.

  • Le mariage intra-clanique (baal’è nkahaa ng’ondaala) consiste à trouver une épouse ou un époux à un célibataire dans son propre clan (conséquence soit de son manque d’initiative; soit par son statut de futur dignitaire lignager afin que le pouvoir circule à l’intérieur de la même structure). Les époux ne doivent pas être très proches. Le lien de consanguinité entre les ascendants doit remonter à plus de de trois générations,

  • le mariage préférentiel extra-clanique (baal’ombana) est généralement un arrangement entre les parents (souvent des amis) qui consiste à choisir le futur époux ou la future épouse pour son enfant. La fille choisie quitte très tôt le domicile parental pour celui de la belle-famille; et le futur ne peut récuser la démarche parentale,

  • le mariage en dommages-intérêts (obalé)15 est probablement le plus humiliant pour l’être humain. Il s’agit de dédommager un lignage victime de la faute commise par un individu d’un autre lignage. Ce dernier ne pouvant satisfaire à cette exigence doit en contre partie donner une femme de son lignage à ses victimes. Les enfants engendrés par celle-ci n’appartiendront jamais au lignage de la mère. Et cette dernière joue quasiment un rôle d’esclave.

De nos jours, il n’existe plus que trois types de mariages (l’union libre, le mariage préférentiel extra-lignager et le successorat). Mais les deux derniers sont abandonnés en raison des incidences des divorces, de l’évolution des moeurs et des contraintes qu’imposent ce type de mariage pour les citadins et les jeunes générations (de fonctionnaires et de travailleurs) résidant loin de leur terroir traditionnel.

La diversité des mariages chez les Mbéti visait surtout à résoudre deux problèmes: le célibat et la stérilité qui sont considérés comme des handicaps majeurs pour la croissance démographique et la notoriété d’un lignage. Ils renvoient souvent à une suspicion d’une infirmité physique qui deviennent des facteurs d’infantilisation ou d’irresponsabilité.

A travers ces divers types de mariage, le rôle de la femme est déterminant parce que la décision définitive est de son seul ressort, même si on peut faire prévaloir la solidarité lignagère. Le mariage par échange, par exemple, qui consistait à donner une femme du lignage du demandeur contre celle qu’il avait choisi dans un autre lignage, ne pouvait s’effectuer qu’avec l’approbation de la première. Donc il suffisait qu’elle récuse cette sollicitation pour une raison quelconque pour que l’alliance matrimoniale n’ait pas lieu. Et très souvent c’est la femme choisie qui imposait cette démarche parce qu’elle avait un frère ou un oncle célibataire qu’elle voulait à tout prix voir marié pour lui témoigner son estime et résoudre un problème social.

Ici la femme n’est pas un simple objet de transaction aux mains des hommes ou un instrument de leur pouvoir par le contrôle de sa circulation, comme semble le signifier C. Meillassoux dans son analyse des Gouro de Côte d’Ivoire. Car la symbolique de la dot chez les Mbéti, son statut de mère et sa participation au vécu de ses lignages et de ceux de son époux remet en cause son argumentation16. Il faut rappeler qu’une femme mariée appartient toujours à ses propres lignages. En outre, l’autorité d’un homme dépend à la fois de sa capacité à procréer et de celle de ses conjointes, du nombre de femmes fécondes dans ses lignages qui assureront à la fois une augmentation démographique de son entité et son influence sociale.

Cependant, on peut relever quelques fonctions principales de l’homme chez les Mbéti. Elles sont similaires à celles des Téké de l’Ouest du Congo décrites par M. C. Dupré (1972). Elle constate que l’homme  ’joue un rôle politique significatif en tant qu’agent de liaison entre les groupes de parenté, comme chef des alliances..., comme centre d’un système de prestations et de redistribution et comme protecteur contre les attaques extérieures et toujours maléfiques, de la maladie et de la sorcellerie..., détenteur de la connaissance généalogique... qu’il n’utilise que pour mieux servir la structure.’ Ce qui accroît la puissance de son pouvoir est l’absence d’une institution centralisatrice ou ’d’un centralisme territorial’ (selon l’expression de M. C. Dupré) du type de la royauté tant chez les Mbéti que chez les Téké de l’Ouest. Il est  probable qu’elle a contribué au renforcement de leur rôle dans l’organisation dans les villages en tant que chef de lignage. Et comme il n’existe pas de classe d’âge chez les Mbéti en tant que catégorie sociale pouvant influencer le comportement des aînés, des cadets ou des femmes, tout se passe sous forme de conflit de générations sans réelles incidences sur l’organisation sociale. Cependant la force de l’autorité de l’homme est très lisible à travers la chefferie villageoise qui est en quelque sorte la conscience temporelle des habitants.

Notes
15.

P. Laburthe-Tolra retrouve quelques uns de ces types de mariage chez les Bëti du Cameroun (1981, pp 239-243) ; ainsi que G. Dupré chez les Nzabi du Sud-Congo (1985, pp 204-206).

16.

La dot peut être évaluée à 500FF soit 50000F.C.F.A et quelques objets symboliques Chez les Mbéti. Elle est très élevée chez les Kongo et les Lari. Elle peut atteindre 10000 FF soit 1000000 F.C.F.A) pour une épouse qui est fonctionnaire ou pour celle qui travaille dans le secteur privé.