CHAPITRE II : LE SYSTEME MAGICO-RELIGIEUX MBETI

M. Mauss écrivait en 1902 : ’il n’y a pas en fait, une chose, une essence appelée religion : il n’y a que des phénomènes religieux plus ou moins agrégés en des systèmes qu’on appelle des religions et qui ont une existence historique définie, dans des groupes d’hommes et dans des temps déterminés’17.

En allant plus loin, on se rend compte qu’en fait, ce sont les catégories même de l’éthique traditionnelle qui sont irréductibles à un certain manichéisme, ou à n’importe quel système figé, mais au contraire souvent qu’elles sont marquées par l’ambivalence. La religion ou le système magico-religieux est un ensemble de croyances et d’actes (de pratiques rituelles) qui repose sur un discours à la fois créateur de sens et normatif et s’inscrit dans un espace particulier. Ce discours et les formes que prend l’activité religieuse ou les pratiques rituelles ne sont pas indépendants des formes générales de l’organisation de telle ou telle société. Dans cette perspective les travaux de M. Alihanga (1976), d’A. Even (1936, 1937) et de H. M. Faure (1937) sur le système magico-cultuel Mbéti et de G. Dupré (1977, 1982) sur les Nzabi sont intéressants sur le plan de l’ethnographie religieuse parce qu’ils l’analysent de cette façon.

Il importe d’apporter quelques précisions de vocabulaire pour mieux aborder la problématique de cette recherche. J’entends par le système magico-cultuel Mbéti l’ensemble des pratiques magiques et rituelles, des sociétés initiatiques et secrètes, des confréries et le totémisme18... qui expriment à la fois la relation complexe entre l’homme et les esprits cosmiques (ancêtres, jumeaux, les forces de la nature), les croyances et l’ethos. A cela il faut ajouter les amulettes (ntsoua et ondi) et les fétiches qui, malgré leur caractère individuel ou lignager, ont une importance dans le vécu du Mbéti au même titre que les premières. Car ils sont à des degrés divers la matérialisation d’une maîtrise des vertus de multiples espèces animales, végétales et humaines. Le système magico-cultuel renvoie donc à un savoir ésotérique spécifique qui fait de lui un des supports des normes sociales et des autres institutions communautaires.

Cependant les concepts de sociétés initiatiques, secrète et de confrérie par lesquels on traduira les notions de Nga et de Mpièni en Mbéti n’en sont pas les équivalents. Elles désignent à la fois une association cultuelle et une force anonyme diffuse capable d’influer sur les activités humaines, d’animer les objets en les dotant d’une efficacité magique; force qui est omniprésente, transcendante et télédynamique. Par contre les notions d’incantation ou d’invocation correspondent à ceux de Kolamaha ou Koyènguèlè. Mais leurs sens varient selon la finalité des rituels et l’esprit sollicité. Ainsi l’invocation destinée aux ancêtres est Kolamaha et celle liée au Ndjobi Koyènguèlè Ndjobi.

En somme le système magico-cultuel Mbéti est une sorte de pérennisation des rites anciens conçus par les ancêtres qui façonnent le vécu des vivants; et une adaptation des créations récentes qui particularisent l’environnement social actuel. Par exemple d’une société initiatique à une autre, on constate que les normes, les mythes, les symboles, certaines pratiques cultuelles et les modèles anciens sont actualisés et renforcés pour répondre aux nouvelles attentes collectives. A la différence de certaines institutions liées au temps causal (législation...), les structures temporelles sur lesquelles se fondent les pratiques magico-cultuelles, les sociétés initiatiques ne connaissent pas une ’mort’ totale. C’est surtout un interrègne. Elles se situent dans une durée sans fin où le renouvellement, l’adaptabilité incessante des expériences antérieures les enrichissent et les pérennisent. C’est ce que l’on retrouve dans le Ndjobi.

Comme le Ndjobi est en quelque sorte le condensé du système magico-religieux Mbéti, cette approche va se focaliser sur le culte des ancêtres, les confréries Onkani et Onkéra (qui existent et sont pratiqués depuis des temps immémoriaux), et les sociétés initiatiques et sécrètes (qui se particularisent par la spécificité de leur projet social et qui intègrent des données opposées comme la mort et la vie).

Notes
17.

M. Mauss, 1968, OEuvres I, Les fonctions sociales du sacré, pp.93-94

18.

Le totémisme était un des éléments d’identification clanique dans la société Mbéti qui interdit les mariages ou des relations sexuelles entre femmes et hommes appartenant au même clan et la consommation de la viande de l’animal-totem ou du poisson-totem. Car cet acte rompt le lien symbolique entre l’homme et la puissance protectrice; et le rend vulnérable face aux attaques en sorcellerie. L’animal-totem pouvait être le lion, la panthère, la chauve-souris...