2- Le Lésombo

Le Lésombo est pour les femmes ce qu’est le Ngo aux hommes. Mais l’absence de sanctuaire et de reliquaire fait qu’il est considéré par ces derniers comme une association de socialisation selon la formulation d’Alihanga; et qu’il n’eut pas la même portée sacrée que les sociétés initiatiques masculines. Même les loges dans lesquelles s’effectuaient les rites qui, pouvaient être assimilées aux sanctuaires, ont une durée limitée (le temps de l’initiation et étaient détruites après) et leur site n’était pas protégé par une sorte de couverture mystique. En sus les initiées ne pouvaient pas redouter une sanction sacrée. Elles n’avaient pas un pouvoir immunitaire acquis (lors de leur initiation) pour se protéger contre les attaques en sorcellerie. Mais le sacrifice rituel du porc-épic (à la fin de l’initiation), l’usage des menstrues et du lait maternel (comme composantes de la plupart des mixtures magiques) devraient modifier cette interprétation.

Cependant la force du Lésombo provient de la rigueur morale des responsables (qui sont des modèles sociaux), de son mode d’organisation, de ses catégories normatives à tel point qu’il avait acquis une dimension sacrée auprès de ces adeptes; surtout si celles-ci se réfèrent au mythe de la femme-fondatrice de l’humanité qui avait coupé le cordon ombilical et circoncis son premier fils avec son index selon mes informateurs Mbéti. Ce qui atteste son pouvoir sur l’homme et les objets naturels. Et la pertinence de ce mythe est renforcée par leur profonde connaissance (des dignitaires du Lésombo) de certains phénomènes (comme les menstrues, l’accouchement, la grossesse, la ménopause...) et de leur incidence sur les rapports sociaux et des maladies affectant exclusivement le corps de la femme. En fait, le Lésombo qui regroupe dans sa direction quelques élites féminines est devenu l’incarnation du pouvoir et d’un savoir diversifié. Les maladies infantiles (comme le Ntali, Kontsou, Echo, la fièvre, la sous-alimentation...) relèvent généralement de leur compétence. C’est la transmission de ces connaissances d’une génération à une autre qui constitue la toile de fond de l’initiation.

Le Lésombo est, par sa dynamique, une école de la vie qui intègre l’initiée à la fois dans la communauté féminine et dans le groupe ethnique, où son rôle bien que complémentaire à celui de l’homme lui confère une spécificité. Elle est non seulement épouse-mère (des hommes), mais aussi mère de la société. Elle donne la vie aux hommes, donc crée les sociétés. Tout comme elle peut la reprendre au moment voulu et interrompre l’évolution démographique. En cela elle est sacrée et mérite des hommes une reconnaissance. C’est pour cela que la mort en couches de certaines femmes est perçue comme un refus de donner la vie; la disparition inexpliquée d’une grossesse (d’un âge assez avancé) et la naissance d’un enfant monstrueux comme la manifestation de la dangerosité de la mère pour la communauté lignagère (d’où l’usage de l’infanticide et la soumission de la mère à un traitement approprié).

Ces conceptions et ces comportements renvoient au mythe de la femme-créatrice de l’humanité qui aurait eu (de façon surnaturelle) son premier enfant sans relation sexuelle avec un homme; et accroissent le sentiment de dangerosité supposée de la femme dans le système magico-religieux.

L’organisation du Lésombo repose sur des structures indépendantes liées aux contrées regroupant cinq à huit villages selon leur taille démographique. Il s’agit d’un collège de sages réparties en trois catégories. Ces membres sont en majorité des quinquagénaires et des sexagénaires cooptées ou choisies par l’assemblée des initiées. Elles le sont par leur connaissance des mécanismes et des rites de l’association, par leur comportement social empreint de probité, d’abnégation et de responsabilité. Cette structure de type pyramidal est dirigée par la doyenne d’âge et d’expérience, tandis que les officiantes seront choisies parmi les plus jeunes et les plus dynamiques. Elles coordonnent l’ensemble de l’activité de la structure et est assistée de trois autres femmes affectées à l’organisation des différents rites initiatiques, aux enseignements philosophiques et au suivi post-initiatique.

Puis viennent en seconde position les officiantes chargées de la réalisation des différents rites, des relations avec les autres structures du Lésombo et les sociétés initiatiques masculines. Elles peuvent être une dizaine voire une quinzaine selon la taille démographique de leur contrée et l’ampleur de la tâche. Leur responsabilité est délicate d’autant plus qu’elles sont obligées de prouver leur connaissance des êtres et des choses et qu’elles sont observées avec un certain zèle par les hommes.

Tandis que la dernière catégorie, la plus nombreuse et constituée essentiellement de meillleures danseuses et chanteuses, est chargée de la chorale et des diverses animations publiques. La cohésion du système et la rigueur des membres sont des facteurs essentiels pour la crédibilité de l’association. Mais l’initiation ici, plus pour d’autres sociétés initiatiques, devient un événement parce qu’elle est le lieu d’expression de l’antagonisme symbolique entre les femmes et les hommes, l’expression du pouvoir des femmes sur la société; d’autant plus qu’elle est solennelle et focalise l’attention des hommes et de la communauté villageoise entière. Par ces caractéristiques, l’initiation du Lesombo n’est plus un épiphénomène dans le système Mbéti, mais un événement important qui sous-tend sa dynamique.

L’importance du rituel initiatique repose sur son contenu et l’usage des enseignements dans le vécu des femmes et dans l’organisation sociale. ’ La jeune fille trouve pratiquement tous les éléments éducatifs pour devenir une femme accomplie: la femme totale. On lui révèle progressivement le mécanisme des modèles socioculturels auxquels, jeune fille d’aujourd’hui et femme de demain, elle devra conformer sa conduite afin de couvrir en profondeur son identification avec le groupe Mbédé ’ explique M. Alihanga (1976, p 140). Et en dépit de la dévalorisation par les hommes de ces rituels, l’initiation comporte, comme chez les hommes, des rites pénibles (par exemple les sévices corporels qui sont des critères de sélection). Celles qui ne réussiront pas ces épreuves ou ne supporteront pas les sévices corporels ou qui n’ont pas acquis une certaine maturité, seront obligées de reprendre certaines séances pour se conformer à la norme voulue pour valider leur initiation.

Comme, il s’agit d’un système où l’intégration sociale et l’affirmation identitaire passent nécessairement par l’initiation, la démonstration d’une capacité à faire à certaines épreuves et un comportement requis, on comprend qu’il soit difficile d’y échapper. L’initiation est, certes volontaire, mais en réalité, contrainte parce qu’elle est une étape essentielle pour toute femme.

L’initiation est subdivisée en trois parties: la phase préliminaire, l’initiation proprement dite et la cérémonie publique. Elle dure une quinzaine de jours.

A la différence des sociétés initiatiques masculines, l’initiation au Lésombo se déroule la nuit. Or la nuit est, dans la perception Mbéti, la partie de la journée très redoutée par l’homme dans la mesure où elle est propice à l’activité des sorciers et où l’attention des esprits protecteurs semble affaiblie. Ce choix temporel est symptomatique de la volonté des femmes de donner une dimension sacrée à leur association. A ce premier aspect différentiel s’ajoute l’âge des adhérentes. Le Ngo, par exemple, s’adressait aux hommes adultes; tandis que le Lesombo s’adressait aux adolescentes d’une contrée entière. Leur âge variait entre 16 et 17 ans.

La phase préliminaire de l’initiation consiste généralement à construire les loges, à confectionner les tenues rituelles, à organiser les lieux (où s’effectueront l’initiation et les danses nocturnes), à ramasser ou cueillir les différents objets indispensables à l’initiation, et à mobiliser les génies ancestraux et cosmiques. Elle est aussi un moment important pour les dirigeantes du Lésombo pour réactualiser leurs connaissances, confronter leur expérience par rapport aux derniers événements intervenus dans la communauté; formaliser de nouvelles normes et proposer des perspectives adéquates pour mieux répondre aux nouvelles attentes collectives, surtout des jeunes adhérentes. D’autant plus que, par principe, une dignitaire doit être capable de satisfaire les sollicitations des adhérentes dans divers domaines notamment afférents au corps de la femme et à la vie conjugale. D’où leur réclusion totale pendant trois à quatre jours et l’abandon des occupations conjugales, lignagères ou claniques.

Ce travail normatif est suivi d’innombrables séances de procession.

Soulignons que la disposition des loges rituelles (situées les unes à côté des autres) est faite de telle sorte qu’elle corresponde aux différentes phases de l’initiation

C’est après ces préliminaires que commence véritablement l’initiation. Les nouvelles adhérentes sont accompagnées et présentées (une à une par rapport à leur âge) au collège des initiatrices par leurs marraines dans une des loges spécifiques. Puis elles sont installées en face de l’autel et doivent exprimer leur volonté d’intégrer cette association et de respecter ses principes. A la fin de ce rite, leurs vêtements sont enlevés par leurs marraines et elles porteront le téndé (cache-sexe fait en raphia et coloré de l’argile rouge).

Durant une quinzaine de jours, les postulantes prennent, en compagnie des officiantes, un bain rituel dans une partie d’un cours d’eau réservée à cette fin. Ce bain rituel vise un triple objectif: purifier les nouvelles adeptes, tester leur capacité de résistance sous l’eau et surtout marquer un changement de statut. L’épreuve de résistance est souvent comparable à la pénibilité de l’accouchement. Elles doivent traverser une demi-douzaine de petits barrages (sous l’eau) dont l’issue est rétrécie. Il s’agit pour les initiatrices de jauger le niveau de maturité des nouvelles adeptes dans la perspective du mariage et de la responsabilisation dans la société initiatique.

Dans la perspective de purification, les marraines rasent entièrement les aisselles, l’entrejambe et la tête des nouvelles adeptes. Puis elles leur administrent des mixtures qui les protègent contre les diverses maladies. Et la réalisation de ces rites est toujours ponctuée de danses qui doivent occulter tout ce qui se dit et donner l’impression d’une simple kermesse. Même le retour aux loges faisant office d’habitat s’effectuera ainsi sous des applaudissements, des cris stridents et des danses.

Les autres moments de ces jours seront consacrés en majeure partie aux enseignements collectifs portant sur la philosophie de leur association, le corps féminin, ses différents phénomènes, les maladies et leurs prophylaxies, le comportement conjugal, le rôle séculier de la femme dans l’organisation sociale, l’esprit des normes, les rapports homme-femme... A ce niveau, les interventions sont exclusivement celles des membres du collège de Lesombo. Leur expérience et leur connaissance des hommes et des choses font autorité dans l’association. Cet enseignement est poursuivi après l’initiation par les marraines des différentes adeptes. A la fin, les officiantes effectueront des tests afin repérer d’éventuels membres du collège de Lésombo.

Les rites les plus pénibles qui suivent ces enseignements étaient les tests de la virginité (qui, jadis était déterminant pour le choix de la future épouse) et d’endurance des adeptes. Ils consistaient à introduire une verge factice (faite en bois) dans le sexe de l’adhérente jusqu’à un niveau donné. Celles qui criaient ou gémissaient, pour signifier leur souffrance, n’accédaient pas au rang de dignitaire du Lésombo. Et l’autre objectif inavoué était aussi de tester le comportement de la femme lors du premier rapport sexuel. Elle ne devait pas crier, ni gémir. Le faire c’est perdre la face et ne pas affirmer sa personnalité. Cependant celle qui passait cette étape sans encombre aura affirmé sa supériorité face à l’homme. C’est pourquoi, la femme devait même dissimuler ses saignements (découlant de la défloration) afin que l’homme ne s’approprie pas son pouvoir. Ce rite était très pénible parce que les officiantes utilisaient une décoction spéciale. Si bien qu’elles avaient recours à une autre mixture pour limiter les effets secondaires comme les infections.

Un autre rite consistait à administrer une autre sorte de décoction pour voir, par exemple, si leurs seins peuvent avoir suffisamment de lait pour l’alimentation d’un nourrisson orphelin. Dans ce cas, les officiantes faisaient des incisions sur la partie supérieure des seins pour administrer cette décoction41. Le corps devait sécréter du lait maternel en moins de vingt-quatre heures. Si cela n’était pas possible, l’adhérente et son lignage étaient prévenus de cette carence. L’adhérente devait alors suivre un traitement approprié.

Toujours au cours de cette séance, les officiantes apprennent aux nouvelles adeptes les différents comportements postérieurs à l’accouchement: l’alimentation, la manière d’assurer un allaitement régulier, le raffermissement du sexe, l’arrêt de l’écoulement du sang, la toilette, le type d’activité permettant de maintenir son corps en pleine forme, le moment des relations sexuelles, le sevrage... Enfin la future mère-épouse devra se familiariser aux réveils intempestifs de l’époux et de la progéniture. Aussi le sommeil des nouvelles adeptes est souvent entrecoupé de réveils inopinés par un cri strident ou un bruit assourdissant simulant soit une razzia, soit le décès d’une personnalité clanique, un feu de brousse... Dans ces cas le réflexe d’une mère digne est de penser avant tout à ses enfants et à sa tenue vestimentaire. Car une femme qui oublie son enfant ou sort nue de sa case lors d’un tel événement est considérée comme une adolescente.

Tous ces enseignements visent surtout à donner à la femme les éléments nécessaires pour son intégration et surtout à assurer son rôle très délicat dans une société phallocratique. Car la stratification impose à tout membre des comportements reflétant leur statut. Et au sortir de cette initiation, la femme doit être capable de répondre à toutes les éventuelles situations.

Durant cette période de réclusion, toutes les adeptes ont enduit sur leur corps de kaolin blanc (pour les anciennes) et rouge (pour les nouvelles) marquant ainsi une séparation entre l’univers profane et l’univers initiatique.

A la fin de cette seconde phase, toutes les initiées participeront à une partie de danse publique à laquelle sont conviées les autres femmes, les fillettes et surtout les hommes. Ce moment est particulièrement intéressant parce que les nouvelles initiées doivent danser pendant toute sa durée; et ne doivent en aucun cas montrer un signe de lassitude. Leur bonne tenue est un indice de la réussite de leur initiation. Pour cela elles vont s’enduire tout le corps d’une potion composée de graines d’otekotsa pétris, de poils de Kossibi (ou l’antilope dormeuse42), des feuilles d’okourou et de lentsonihi brûlés, de l’huile de palme, surtout du lait maternel et des menstrues. Ce qui occasionne énormément de démangeaisons et les contraind à danser pour les dissimuler.

Les chants et les mythes contés par les officiantes auront une portée sacrée, distractive et socialisatrice. Ils auront aussi tendance à sacraliser la femme au détriment de l’homme ; qui est considéré avant tout comme un enfant. La partie de danse dure toute la dernière nuit. Dès sa fin, les adeptes regagneront les loges avant l’aube.

Deux rites importants marqueront la fin de l’initiation: le dernier bain rituel et le sacrifice d’un porc-épic. D’abord l’animal est sacrifié par les officiantes, à l’insu des nouvelles initiées, et son sang répandu sur la loge principale où ont lieu les rassemblements en présence des dirigeantes du collège initiatique. Son assaisonnement symbolique est composé, entre autre, du lait maternel et des menstrues. ’Le porc-épic entier, commente M. Alihanga (1976, p 140), est bien épicé dégageant une odeur piquante et suspendu sur le feu faisant monter une fumée. Elles doivent se l’arracher à ce prix. Cette consommation de la viande du porc-épic intervient après le dernier bain rituel au cours duquel on oint entièrement toutes les nouvelles initiées de lekola’. Elles devront avec l’aide des parents et des marraines renouveler quotidiennement cette toilette; et ce durant un mois.

Souvent les différentes mixtures absorbées et enduites sur le corps pendant cette quinzaine de jours ont des incidences sur le corps des nouvelles initiées: soit l’apparition des règles pour certaines, soit le développement des seins pour d’autres. Ces faits, peut être liés à des processus psychosomatiques qu’il m’est difficille d’expliquer, concourent à affirmer l’efficacité magique du Lésombo.

A la fin de cette initiation, ces jeunes initiées doivent être capables de tenir un foyer conjugal, d’éduquer leurs cadets ; c’est-à-dire d’assumer une responsabilité lignagère plus grande. Très souvent leur adolescence est totalement sacrifiée au profit du statut d’initiée et de femme. Cette volonté d’affirmation des femmes face aux hommes est symptomatique de la configuration de l’organisation sociale Mbéti. Elles met aussi en évidence des critères focalisés autour de la force, de la masculinité ou de la féminité, la stoïcité... Et les épreuves de la vérification de la virginité sont quelque peu comparables à celles de la circoncision (lentsinda) où le garçon ne doit ni crier, ni gémir pour ne pas être la risée de ces collègues ou être traité de femme.

Malgré la diversité de leurs objectifs et de leur mécanisme de fonctionnement, le Mevungu des femmes Bëti du Sud-Cameroun étudié par Laburthe-Tolra (1985) et M. P. Bochet de Thé (1985,) remplit quasiment les mêmes fonctions, intégratrice et protectrice, que le Lesombo. ’D’une façon générale, note Bochet de Thé ( op cit, pp 273-274), on peut affirmer que les associations traditionnelles de femmes, à la fin du XIXè siècle et dans les décades du XXè siècle, ont assuré un rôle primordial au sein de la société Bëti pour les raisons suivantes:

Ainsi le Mevungu apparaît aussi comme un contre pouvoir des femmes face aux hommes. Il avait un pouvoir si grand que les hommes n’hésitaient pas à solliciter son intervention, par exemple, lors des circonstances fâcheuses (manque de fécondité ou de fertilité, menace des forces maléfiques) ou pour la réussite de leur entreprise; reconnaissant explicitement le rôle des femmes dans le système magico-religieux et le vécu communautaire. A ce niveau les préjugés négatifs sur la femme tombent en désuétude et l’interdépendance institutionnelle est valorisée.

Mais la place du Lésombo dans le système Mbéti peut être perçue différemment d’autant plus qu’il ne sert pas les intérêts des hommes. Il est plus focalisé sur le vécu des femmes. Même, faisant partie du système général Mbéti, le Lésombo est ambivalent. Car il est un élément qui pérennise l’ethos Mbéti, et semble confirmer le statut de la femme par rapport à l’homme d’une part; il est aussi un élément de déstabilisation du système Mbéti parce que son importance sociale qui porte les germes d’une remise en cause les mécanismes de la stratification sociale à partir du moment les hommes lui accordent une crédibilité sociale, qu’il a une forte influence sur les femmes en général d’autre part. Même si sa philosophie n’est pas formulée en ces termes, le Lésombo constitue une sorte de menace de rupture sociale par la mobilisation des habitants des villages dont sont issues les futures initiées, par l’importance sociale et politique prise par ces dirigeantes sur les autres femmes et dans la société entière. Ce qui explique la tendance des hommes à le considérer comme une simple association sans assise magique ou à l’infantiliser. D’autres chercheront à participer aux rituels publics; ou tenteront de violer les secrets du rituel.

Il s’agit là d’un cas de figure qui dépasse la caractéristique de contre pouvoir. Car la reconnaissance sociale n’est souvent pas suffisante pour la longévité d’une structure. Ainsi le Lésombo qui était l’unique société initiatique des femmes, avait connu son essor pendant plus d’un siècle et qui avait acquis une dimension institutionnelle et historique considérable ne résista aux incidences des mariages extra-communautaires, de la mort des détentrices du savoir, de la pacification des relations interethniques43, de la colonisation, l’évangélisation, de la scolarisation des jeunes femmes...

Pour autant ce déclin ne signifie pas l’abandon total des catégories philosophiques et normatives du Lésombo. Les femmes continuent toujours à utiliser certaines techniques liées à l’accouchement, au sevrage de l’allaitement, la phytothérapie liée aux maladies infantiles... L’une des incidences de son activité est caractérisée par l’introduction dans le système magico-religieux Mbéti des connaissances des phénomènes liés au corps de la femme et à la vie infantile. Il s’agit, par exemple, des différentes phytothérapies concernant les maladies spécifiques aux femmes (comme les menstrues ininterrompues) et aux enfants ou des vertus de certaines substances ou des sécrétions (comme le lait maternel et les menstrues). Tout comme le pouvoir de donner la vie par la femme et de la supprimer en utilisant la nocivité des menstrues ou d’annihiler l’efficacité magique des sociétés initiatiques et des amulettes.

Notes
41.

Ce procédé est toujours utilisé chez les Mbéti lorsqu’une femme meurt en couche ou pendant la période d’allaitement et laisse un orphelin. La femme qui prend cette relève alimentaire, affective et sociale doit être en âge de procréer.

42.

Kossibi est nommé ainsi parce qu’il a tendance à somnoler ou à dormir à n’importe quel moment du jour. Souvent les chasseurs le capturent facilement en plein sommeil. La sommolence et le sommeil qui semblent traduire sa fatigue constante sont devenues les principales caractéristiques de Kossibi chez les Mbéti. C’est à partir de ces caractéristiques que ses poils sont utilisés comme un élément d’affaiblissement dans certaines amulettes. Chez les femmes, la vertu des poils est employée dans une potion magique dont les effets sont similaires à ceux de la péridurale pendant l’accouchement.

43.

Les conflits et les razzias interethniques interdisaient les mariages extra-communautaires parce qu’ils étaient considérés comme un élément de fragilisation du clan de la femme ou ils pouvaient entraîner une trahison en raison des liens symboliques et sentimentaux qui unissent la femme à son époux et à son lignage.