1- Le fouoyi : le sanctuaire

En effet le fouoyi est toujours situé dans la forêt à 800 ou 1500 m du village. Il est le lieu cultuel le plus important du système du Ndjobi parce qu’il est le siège de son pouvoir et l’endroit où sont effectués tous les rituels essentiels (initiation, ordalie, lembini, expiation...). C’est pourquoi le fouoyi est distant du coeur du village et fait l’objet d’une attention particulière de la part des Mvandé. D’où les multiples dispositions inhérentes à son utilisation et la préservation de la pérennité du pouvoir magique du Ndjobi. Ainsi un initié ne peut accéder seul au fouoyi et ce quel que soit son statut, fusse-t-il l’Onga-fouoyi ou le Mvandé-à-nkobè. Celui qui a eu, moins de 24 h avant, des relations sexuelles est interdit d’accès au fouoyi. Comme l’entrée et l’usage des armes à feu, des armes blanches et les disputes sont interdits au fouoyi...

Cet ensemble de dispositions, le caractère ésotérique des rituels, sa situation géographique et d’autres aspects confère au sanctuaire un rôle pertinent par rapport à l’olèbè-à-ndjobi et au mba-è-ndjobi au point qu’il représente pour les Mbéti la dangerosité. C’est à partir de ces caractéristiques que le terme de fouoyi se confond avec celui de Ndjobi (puissance magique, organisation...) dont il n’est qu’une structure du système Mbéti. Il n’est étonnant d’entendre les Mbéti désigner le Ndjobi (organisation) par le fouoyi. Ils disent, par exemple, fouoyi-è-Yaba /le fouoyi de Yaba/ au lieu du Ndjobi de Yaba; ou Onga-fouoyi / le propriétaire du fouoyi/ au d’Onga-ndjobi / le propriétaire du Ndjobi.

Comme le sanctuaire est le siège, par excellence, de la puissance magique du Ndjobi et l’un des lieux où se transmettent d’une génération à une autre les connaissances sur les phénomènes magico-religieux, où s’élaborent diverses stratégies afférentes aux enjeux sociaux, politiques, économiques et culturels, il est réservé aux seuls initiés. Mais ces derniers doivent être en groupe pour y accéder. Même l’Onga-fouoyi, le Mvandé et l’Ondouona-ndjalé ne peuvent y accéder seuls. Il est leur interdit de parler à un non-initié des rituels effectués dans le fouoyi ou de son organisation. Le faire est une transgression grave des principes du Ndjobi et passible de la mort des protagonistes. Dans ces conditions, il est assez difficile de cerner le mystère du fouoyi. Et la description du fouoyi devient un exercice complexe et parfois spéculatif. Je me contenterai des recoupements de certaines données recueillies auprès de nos informateurs pour donner une description approximative du lieu cultuel.

Néanmoins, on peut dire que le fouoyi est une sorte d’enclos subdivisé en trois parties distinctes : le nkouomo, le lieu cultuel proprement dit et la loge du Nkobè. Les trois parties sont séparées les unes des autres par une haie touffue et opaque d’arbustes. Cette répartition est très hiérarchisée en fonction des rituels et des statuts des initiés.

Le nkouomo n’est pas à proprement parler un espace sacré pour les initiés; mais une petite cour de repos pour les adolescents et les autres initiés qui ne peuvent (pour diverses raisons) prendre part aux rituels et une cour d’attente pour les futurs Anga-ndjobi avant d’accéder au lieu d’initiation. Il est aussi le vestiaire pour les initiés qui participent aux rituels dans le fouoyi et à ceux qui pris part aux rituels publics au village. Tandis que le lieu cultuel est subdivisé en deux parties: le ’laboratoire’ où les Anga-ndjobi conçoivent et réalisent diverses mixtures magiques avec des espèces végétales, animales et humaines et la grande cour où s’effectuent l’initiation, l’ordalie, l’expiation, les sacrifices d’animaux... C’est le coeur de la production magique qui alimente l’efficacité et la vigueur de la société initiatique. Cette caractéristique appelle un respect scrupuleux de la prééminence statuaire des initiés. L’Onga-fouoyi, le Mvandé-à-nkobè occupent une position prédominante par rapport aux autres Mvandé et initiés. Ici chaque initié contrôle rigoureusement son comportement dans la mesure où toute faute peut être fatale pour la communauté entière. Les Mvandé doivent veiller au bon déroulement des rites dans cette enceinte. L’importance du lieu nécessite un renforcement continuel de la haie, à chaque réalisation d’un rituel, afin que rien ne soit perçu de ce qui est réalisé à son intérieur. Cette enceinte donne directement accès à la loge du nkobè

La loge du nkobè est caractérisée par son étroitesse, par la présence d’une hutte protégeant le reliquaire et l’accès réservé exclusivement à l’Onga-fouoyi et au Mvandé-à-nkobé. Aucun rite de grande ampleur n’est réalisé en son sein sauf les libations symboliques qui dynamisent le pouvoir magique du Ndjobi et les incantations concernant les rituels liées à l’homicide, aux épidémies et aux épizooties susceptibles. C’est le seul moment où l’initié est en face de sa responsabilité face au nkobè. Cette loge est régulièrement entretenue par les deux initiés pour éviter les effets des intempéries, de l’humidité et d’autres facteurs naturels sur le nkobè. Il y est interdit l’usage de l’eau, du feu, du chyme d’une chèvre qui ont un effet néfaste sur tout objet magique ou objet symbolique.

Outre, cet aspect organisationnel, le fouoyi est un lieu de réflexion sur les projets conçus par certains initiés, de leur validation. L’un des exemples le plus significatif fut le projet d’une nouvelle réplication du Ndjobi élaboré par Okouélé-a-Ntsaha, au début des années 80, qui devait sanctionner une faute grave par le saignement du déviant afin d’éradiquer ces comportements, et de gagner du temps en éliminant certains rites. Le projet fut abandonné aussitôt par sa dangerosité et l’absence des moyens thérapeutiques pour sauver la vie de ce dernier.

Ces différentes caractéristiques font du fouoyi un lieu de connaissances sur les phénomènes magico-religieux, sur l’homme, sur la faune et la flore et d’élaboration des nouvelles normes et un cadre sacré où se perpétue l’ethos Mbéti; et qu’il apparaît aussi dangereux et inhospitalier, ce qui le différencie de l’Olèbè-à-ndjobi et du Mba-è-ndjobi plus familiers aux non-initiés.