2-Kobana ko sama85: la peau du sama

A la différence de l’ossèlè qui est produit par l’homme, le kobana kosama comme les amvouli et les antsiémi sont prélevés sur des animaux capturés au cours des chasses rituelles. Ils introduisent la notion de sacrifice, donc de la mort dans la dynamique du Ndjobi, qui est perçu comme un mécanisme d’appropriation du pouvoir de l’espèce animale. Ainsi le choix du sama (qui est similaire au chat domestique) comme bête sacrificielle provient de son appartenance à la liste des animaux, des oiseaux et des serpents qui incarnent les esprits maléfiques dans le système mythique Mbéti. Il s’agit du léopard, du lion, de l’hyène, l’éléphant... de l’aigle, du hibou, du corbeau... du python, de la couleuvre... Mais ils sont dans d’autres cas des totems lignagers ou claniques. Leur symbolique contrastée reflète la complexité du système magico-religieux où les éléments antagoniques sont associés de manière complémentaire pour une finalité donnée.

Il faut noter que le totem est clanique et lignager; tandis que la symbolique de la dangerosité de ces animaux est d’ordre ethnique. Cette symbolique est liée à l’interprétation d’un phénomène (ou de ses conséquences) créé par une bête à un moment donné de l’histoire Mbéti. Ainsi dans plusieurs légendes et contes Mbéti, ces animaux jouent toujours des rôles dangereux contre l’homme. Ils représentent souvent la violence rapacité. L’hyène, par exemple, pouvait traquer pendant plusieurs heures une bête qu’elle avait blessée lors d’une attaque et qui avait pu s’échapper. Il s’avère qu’elle urinait sur sa future proie dès le début de l’attaque. Et si elle échappait, l’hyène pouvait alors la suivre à la trace. C’est ce type de caractéristiques que les sorciers utilisaient de manière maléfique pour agir sur leur victime ou déstabiliser son ennemi. Ainsi le carnage des animaux domestiques appartenant à une personne donnée par l’hyène était attribué à un sorcier par les Mbéti. Il ne pouvait pas être perçu comme un comportement normal d’une cohorte d’animaux affamés ; mais plutôt un acte d’un sorcier qui s’était déguisé en fauve. C’est à partir de ce comportement des hyènes et son interprétation que les Mbéti identifiaient ces animaux au maléfice et les avaient exclus de la liste des bêtes comestibles.

Tandis que la présence et le hululement d’un hibou dans le village sont des indices d’un événement malheureux concernant souvent les dignitaires villageois. C’est pourquoi les habitants du village devaient le chasser avant la tombée de la nuit ou devaient se préparer à faire face à une telle éventualité. Et le python, à la différence d’autres serpents, a acquis la symbolique d’un esprit maléfique par sa capacité à tuer et avaler des bêtes (comme les antilopes). Ces deux actes sont interprétés dans la logique Mbéti comme étant similaires à la grossesse et à l’accouchement chez les femmes quoi que l’opération de transformation soit inversée. Car le mécanisme de l’absorption d’une antilope, de sa transformation en bol alimentaire et l’évacuation par la suite de ses os comporte beaucoup de risques et est aussi complexe que la transformation du sperme en foetus, l’évolution de la grossesse pendant neuf mois et l’accouchement chez une femme. L’accouchement est tellement redouté qu’il est souvent assimilé à la mort par les douleurs et les pertes de sang (qu’il occasionne), et la sortie de l’enfant. Si bien qu’à la fin, la femme apparaît comme souillée. Il lui est interdit des relations sexuelles avec un homme durant plus de six mois. Et 2 ou 3 mois après l’accouchement, les hommes ne peuvent consommer ses mets. Outre cet aspect, la symbolique du python est liée aux vertus de sa graisse qui est utilisée par les guérisseurs pour la protection contre les morsures de serpents venimeux ou pour leur traitement.

La conception Mbéti de la dangerosité de ces animaux est similaire à celle des Kukuya. P. Bonnafé (1970, p 163) constate  qu’un certain nombre d’animaux sont de nature sorciers. C’est Nzaami (Dieu) qui les a créés comme tels après avoir créé les hommes et les hommes sorciers (qui ont dans leur corps la substanceinnée de la sorcellerie). Ces oiseaux sont le hibou, l’oiseau charognard (ngombimi), le kinkunkwaga (corbeau), l’aigle, l’oiseau de proie mulele, toutes les sortes de chauve-souris, autant d’animaux nocturnes ou simplement voraces qui sont les familiers des sorciers de naissance. Ceux-ci les utilisent ou se transforment en eux. Les oiseaux ne sont pas les seuls. L’éléphant, le lion, la panthère, le buffle, la grande antilope (nka). Ce qui frappe les Kukuya est leur faculté de prendre une décision inflexible et de la réaliser: ils foncent sur leur victime et la blessent, la tuent s’ils le peuvent. Ces caractéristiques sont exactement celles des hommes qui se changent la nuit en sorciers: comme ces animaux les accomplissent naturellement, ils se trouvent parents (au sens métaphorique) des sorciers humains desquels aucune discontinuité ne les sépare la nuit (on aura remarquél’importance des oiseaux nocturnes) [...] Avant d’agir par l’intermédiaire d’une force quelconque sur les autres personnes, l’homme doit acquérir celle-ci : il faut qu’il se l’approprie ’. C’est donc par l’usage des vertus de certaines feuilles, écorces, arbustes et par l’usage du pouvoir des symboles de la sorcellerie animale que le Ndjobi a acquis la dangerosité et la capacité de neutraliser les divers types de sorcellerie. C’est grâce à la maîtrise du pouvoir d’une sorte de caillou noir et des anneaux du mille-pattes symbolisant la force du mouandja et du mombandji que le Ndjobi est parvenu à les combattre efficacement.

C’est à partir de la dangerosité supposée du sama que sa peau est utilisée pour la dynamique du Ndjobi. Ici il est souvent identifié au léopard et au chat. Il s’avère, selon nos informateurs Mbéti, qu’il a été préféré au léopard par sa rareté et la difficulté à le capturer. La peau du sama peut être une propriété collective et indivise des initiés d’une part ; une propriété privée qui atteste l’initiation au Ndjobi d’un individu d’autre part. Chaque initié l’accroche au poteau central de sa demeure ou sur son mur. Pendant les rituels initiatiques ou thérapeutiques (ayant lieu au village), chaque Nga-ndjobi ceint le sama autour de la taille ou le tient dans sa main; et le saupoudre régulièrement du lembana mâché. Les initiés s’en servent comme un épouvantail pour ’chasser’ les agents pathogènes maléfiques. Ce qui le rapproche fonctionnellement du mvouli, du tsiémi et de l’ongoumou.

Notes
85.

La sama est une catégorie de félin sauvage et identique au chat (que l’on nomme chat sauvage) par la taille, la couleur de la peau, l’agilité et d’autres caractéristiques. La peau du sama est prélevée après sa capture et séchée au soleil pendant cinq à six jours et sera alors consacrée dans le fouoyi par le Mvandé - officiant et personnalisée en fonction de divers critères stratifiant les initiés au sein de leur unité.