3- Mvouli et Ntsièmi : les cornes

Le mvouli (pl : amvouli) et le ntsièmi (pl : antsiémi) sont deux sortes de cornes différenciées par leur dimension et leur origine. En effet le ntsièmi, de dimension moyenne, est prélevé sur la gazelle ou sur la biche; tandis que le mvouli provient du buffle (Mvouli dont elle tire son nom) ou de l’antilope noire (Bemba) et avoisine 25 à 40 cm de longueur. Outre la dimension, l’usage rituel ajoute une seconde différence plus spécifique au Ndjobi qui détermine la véritable signification des deux genres de cornes. Ici, le ntsiémi est propriété individuelle. Chaque Nga-ndjobi (surtout les Mvandés) doit en posséder une ou trois selon sa convenance -quelle que soit la stratification dans le fouoyi. Tandis que le mvouli est propriété indivise des initiés comme le sont l’ossèlè, le ndjobi-à-ntsiana.

La corne est, pour le Mbéti, le reflet morphologique de la personnalité d’un animal le différenciant nettement d’un autre, le mâle de la femelle de même espèce. Elle est aussi sa seule arme défensive et offensive. C’est cette caractéristique qui est valorisée par le Ndjobi. D’où ces multiples usages dont les plus courants concernent les domaines de la phytothérapie, de la production matérielle et du magico-cultuel. Par exemple, la corne du mvouli est soit utilisée comme une unité de mesure pour la consommation d’un breuvage phytothérapeutique; soit comme un récipient pour la fermentation et la conservation de ces médecines. Par son creux, elle est similaire à l’intériorité du ventre humain. Car le ventre est avant tout un réservoir d’énergie et de vitalité qui, une fois perturbé, déséquilibre tout le système organique de l’homme. Si bien que la phytothérapie Mbéti utilise peu les éléments acides. On pense qu’ils déséquilibrent le ventre ou le système immunitaire de l’homme.

Traditionnellement le mvouli s’identifie à la solennité d’un événement qui mobilise les chefferies lignagères et villageoises d’une contrée. Alors que le ntsièmi se confond quelque peu avec le vécu quotidien des initiés dans la mesure où ils s’en servent à diverses occasions. Dans certains cas, l’usage du mvouli et du ntsièmi signale la présence des initiés dans un lieu précis pour éviter une rencontre impromptue avec les Enfouomo - surtout pendant les phases préparatives de l’Okwandji ou de l’implantation du fouoyi (lors de la cueillette et du ramassage des produits inhérents à ces différents rituels), pour avertir les Enfouomo du passage des Anga-ndjobi et pour signaler l’imminence d’un rassemblement des initiés précédant les actes rituels.

Jadis, le mvouli était employé pour l’annonce des grands événements qui nécessitent le rassemblement des autorités d’une contrée, d’un village et de leurs administrés : le décès d’un Nkani, d’un chef de village, la capture d’un triplet ou de quintuplés de phacochères, l’arrivée d’une personnalité étrangère, l’imminence d’une razzia ou d’une attaque ennemie... Il garde cette supériorité dans son usage sur le ntsièmi dans le Ndjobi où il est utilisé pour l’annonce des différents moments rituels, la convocation des initiés et surtout pour la sollicitation des esprits ancestraux et des génies cosmiques lors de la réalisation des rituels. C’est ainsi qu’un Mvandé soufflera trois fois dans le mvouli avec un intervalle d’une heure et, ce, avant 21 h pour annoncer le début du rituel ou la veille du jour choisi. Tout comme la veille du rituel thérapeutique, un Mvandé l’utilise pour avertir les autres initiés de l’événement afin que ces derniers se préparent en conséquence. Son usage à ce moment de la journée (à l’égard des initiés) poursuit le même objectif. La même procédure est employée chaque fois qu’il y a un Okwandji. Le Mvandé-officiant soufflera trois fois dans le mvouli en début de la soirée et le matin à la fin de du rituel public. Le mvouli sera encore utilisé à l’entrée du fouoyi pour prévenir les ’esprits gardiens’ du fouoyi de l’arrivée des initiés et de l’imminence de la cérémonie.

Ces cornes utilisées (comme sifflet et trompe) durant la nuit de l’Okwandji ont le pouvoir de vivifier les forces spirituelles. Ainsi le souffle employé dans le mvouli pour porter le son (très loin) établit une relation entre l’intériorité du souffleur et celle du Ndjobi, entre sa force magique et les habitants du village et d’une contrée. C’est à partir de cet usage qu’il acquiert ce rôle symbolique dans le système du Ndjobi. Ils assurent la même fonction que la fumée de l’ongoumou dans la lutte contre les esprits maléfiques dans l’espace villageois.

Outre les véritables objets symboliques, il y a des instruments de danse comme les deux angomo 86 (ntimbi et ngoho angomo), les èkongo 87 et les achogui 88 et les accessoires comme l’évouya 89 et l’ongondja90qui participent à la rythmique de la danse du Ndjobi et cristallisent sa particularité par rapport aux autres danses non ritualisées. Cette symbolisation illustre, comme nous l’avons souligné ci-dessus, l’emprise de l’homme sur les différents éléments de son univers dont il tire sa force existentielle par la maîtrise de leur vertu. C’est pourquoi il devient producteur de symboles.

Notes
86.

Les angomo du ndjobi sont des tam-tam de taille différente. Le timbi mseure environ 70 cm de long et 20 cm de diamètre ; tandis que le ngoho angomo avoisine 90 cm de long et 25 ou 30 cm de diamètre.

87.

Les èkongo sont des morceaux d’arbuste d’environ 20 cm de long que les danseurs frappent les uns contre les autres produisant un petit bruit bien rythmé qui correspondrait à celui d’une droume.

88.

Les assoki sont un ensemble de coques très solides d’un fruit fixées une à une par une ficelle reliée à son tour à un manche.

89.

Les évouya (plur) sont une sorte de jupe traditionnelle fabriquée essentiellement en fils de raphia, pendant vers le bas et nouée à un ruban servant de ceinture pour l’utilisateur. Ils sont teints de divers coloris : kaki, noirâtre ou rougeâtre selon la convenance de l’utilisateur. Généralement, ils descendent juqu’au niveau des genoux par précaution pudique.

90.

L’ongondja, coiffure en forme de perruque faite avec des plumes d’oiseaux divers (aigle, coq sauvage et domestique...) entrelacées avec du raphia, mesure une trentaine de centimètres de longueur