1- Les préliminaires

1.1 Le passantère ou passantèrè

Passantèrè signifie littéralement en langue Mbéti déchirer les feuilles. Il s’agit du rite qui a lieu à la fin d’un procès thérapeutique dont l’objet est la rupture du lien symbolique entre le malade et l’esprit maléfique. Ce rite est toujours précédé de l’administration d’une mixture spécifique à la pathologie sur le corps du malade et d’une invocation appropriée. L’objet symbolique utilisé est en général la feuille d’une herbe (appelée Okouro) ou deux lianes entrelacées l’une à l’autre. Dans le cas de l’utilisation des lianes, le guérisseur doit les défaire avec l’aide d’un représentant du lignage du malade. Ils les jetent dans des sens opposés. Tandis que pour l’usage d’une feuille, le guérisseur la pose sur une sorte de cercle réalisé avec son pouce et son index, et doit la déchirer en frappant d’un coup sec. Puis la suite est identique à celle des lianes. L’une des lianes comme l’une des parties de la feuille représente le malade et l’autre liane et l’autre partie de la feuille l’esprit maléfique. L’importance du rituel necessite seulement la présence du chef de lignager et un ou deux autres membres adultes du lignage du malade (comme le père, la mère, la tante, l’oncle, les grands-parents...). Précisons que le rite de rupture n’est effectué que dans les cas où il y a une implication affirmée d’un ancêtre du lignage dans la pathologie d’un des siens.

C’est probablement à partir de sa symbolique et de l’implication affirmée des esprits ancestraux que les fondateurs du Ndjobi ont désigné les préliminaires de l’Okwandji par passantèrè. Car il met en évidence deux caractéristiques du système Mbéti : la violence symbolique et le rôle des esprits ancestraux qui vont finalement s’identifier dans la dynamique du Ndjobi.

Le passantère est consacré essentiellement à l’entretien du fouoyi, à la revitalisation de la puissance du Ndjobi, des esprits ancestraux, gémellaires et cosmiques d’une part ; et d’autre part à la cueillette et au ramassage dans la forêt, les champs et la savane de composantes (les feuilles, les fruits, de l’argile, les écorces...) des mixtures magiques et à leur préparation. Ce qui nécessite une organisation rigoureuse du travail des initiés. Selon mon informateur G.B, l’importance du passantèrè est caractérisée par les mesures prises par les directions des fouoyi pour sa réalisation et sa fiabilité, la protection des lieux cultuels et des non-initiés. Notamment l’annonce publique de l’Okwandji, le ralentissement des activités des habitants du village-fouoyi, l’interdiction d’avoir des relations sexuelles concernant les initiés et les Enfouomo du village-fouoyi pendant la durée de l’Okwandji, l’interdiction de se consacrer à d’autres activités et de se disputer, la présence de l’Onga-fouoyi, du Mvandé-à-nkobè, de l’Ondouonandjalé et de tous les Mvandé appartenant au village-fouyi à toutes les phases du passantèrè, les fréquents usages des antsiémi et des amvouli ou les chants frédonnés par les initiés lors de leurs déplacements dans la forêt et les savanes pour signaler leur présence aux non-initiés se trouvant dans les lieux (pour d’autres raisons).

Les Enfouomo qui se trouveront dans les parages devront se cacher pour ne pas être vus, ni tenter de voir ce que font les Anga-ndjobi. Le déviant qui est surpris en flagrant délit sera obligatoirement initié et payera une forte amende financière99. Celui qui échappe à la vigilence des Anga-ndjobi pourrait, selon G.B, mourir d’une maladie foudroyante qui ne lui laisse aucune chance de survie.

Selon G. B, le passantèrè est caractérisé aussi par une pression diffuse sur les principaux dirigeants du fouoyi comme s’ils redoutaient un échec dont les conséquences seraient dramatiques. Elle se traduit par le silence qui a lieu pendant la réalisation du passantèrè. Il est terrifiant pour les Akliyongo participants. Car il n’y a pas l’esprit de kermesse que l’on observe, par exemple, lors de l’Odjoho okièhè et de l’Odjoho onènè. Les chants et danses sacrés sont exécutés uniquement pour consacrer les écorces, les feuilles et les autres objets rituels recueillis et les mixtures ainsi composées. L’usage fréquent des antsiémi et des amvouli par les initiés rappelle la gravité du rituel. Cette athmosphère pesante est due, conclut-il, à l’importance du travail à accomplir pour l’organisation du rituel initiatique et des enjeux sociaux qui s’y rapportent.

Les mixtures obtenues pendant le passantèrè servent à la fois d’antidotes contre les forces maléfiques et de produits thérapeutiques. Elles réactivent la force des initiés pendant le déroulement de l’initiation. Elles constituent un moyen important pour l’imprégnation de la puissance du Ndjobi au même titre que la fumée de l’ongoumou du mba-è-ndjobi. C’est pour ces raisons que le passantère est effectué le jour (entre 8 h et 16h) et doit s’achever avant le crépuscule. La nuit étant réservée à l’organisation de l’odjoho onènè qui a lieu quelques heures plus tard et établit la jonction entre l’activité diurne et l’activité nocturne, entre le village et la forêt, entre le Ndjobi et les Enfouomo. L’initiation, qui est un acte individuel, prend alors une dimension collective et implique plusieurs habitants du village-fouoyi et des autres villages environnants. Ce faisant, elle cristallise la solidarité intra et intervillageoise observée souvent lors d’un décès, d’une grave maladie, du mariage, de la naissance... qui caractérise certains mécanismes de l’organisation sociale des groupes ethniques.

Notes
99.

S’il s’agit d’une femme, le lignage désignera alors un homme pour remplacer la déviante. Mais elle devra être soignée et protégée par le système ndjobiste pour qu’elle ne risque pas sa vie.