2.2- Le lèyoho

Il est la seconde phase de l’odjoho et la plus courte. Le lèyoho a lieu le lendemain vers 16h ou 17h et ne dure que 30 à 40 mn. Il est la seule phase diurne de l’Okwandji qui a lieu au village ; et à laquelle les non-initiés ne prennent pas part. L’une des raisons évoquées par un de mes informateurs (J.P. K.) à Aboumi est la charge magique que porte les initiés sur eux au sortir du fouoyi. Il s’avère que les esprtits les plus dangereux sortent du fouoyi à ce moment-là pour chasser les esprits maléfiques et les éventuels sorciers tentés de venir perturber le déroulement de l’Okwandji.

Le lèyoho apparaît, par sa brièveté temporelle, comme un épiphénomène dans le processus initiatique. Or, l’organisation de l’odjoho montre que le lèyoho est une phase charnière entre l’odjoho okièhè et l’odjoho onènè d’une part ; et d’autre part entre les rituels effectués dans la forêt, le fouoyi et ceux réalisés au village dans la mesure où il débute dans le fouoyi et s’achève au village. Et surtout les initiés sortent imbus de la puissance magique du Ndjobi durant la réclusion d’une demi-journée dans le fouoyi. Leur entrée au village est caractérisée par des chants repris en choeur par tous, de roulements de tam-tam, des sifflets des amvouli et des antsiémi donnant à l’événement un caractère pittoresque comme s’il s’agissait d’une victoire de l’homme sur la nature et les esprits maléfiques.

En somme, le lèyoho établit la transition entre l’odjoho okièhè et l’odjoho onènè, la relation entre les esprits tutelaires de la forêt et celles du village. Il est aussi un transfert apparent et momentané (pour la durée d’odjoho onènè)du pouvoir -en plein jour- de la forêt au village.

Comme l’odjoho okièhè, le lèyoho est composé entièrement d’une partie de danse sous-tendue, par des invocations focalisées sur les aspects sacrés. Les chants sacrés constitueront l’essentiel du répertoire. La possession du village par les esprits du Ndjobi est marquée par la présence des tam-tams et des amvouli autour du mba-è-ndjobi entre l’intervalle de la fin du léyoho et le début de l’Odjoho-onènè vers 20 h. L’importance de l’événement est perceptible par les diverses précautions prises par la direction du fouoyi, les initiés et surtout les chefs lignagers concernant la protection du lieu cultuel, la sécurisation des spectateurs et le respect de certaines règles. Rappelons aussi que les initiés auront passé la journée entière, reclus dans le fouoyi parachevant le travail entamé la veille lors du passantère. Et, il leur est formellement interdit au sortir du fouoyi d’y retourner au risque de créer un dysfonctionnement dans l’organisation des forces sécurisantes du Ndjobi tant au village que dans le sanctuaire.

L’importance du léyoho dans le Ndjobi est à intégrée dans l’organisation Mbéti du temps. La tranche horaire allant de 16 h 30 à 19h correspond à la fois à l’éveil des esprits maléfiques et à la focalisation de l’attention de l’homme sur certaines activités domestiques ou ludiques. Il prête moins attention aux problèmes de sécurisation. C’est pourquoi les esprits ancestraux, gémellaires... prennent le relais. C’est à partir de cette caractéristique que les fondateurs du Ndjobi avaient situé le lèyoho dans la tranche horaire allant de 16 h à 17 h. Le lèyoho a pour objet de dissuader les visées sorcellaires de certaines personnes. En outre, il marque la fin des préparatifs tant au niveau organisationnel qu’au niveau de la mobilisation symbolique des esprits du Ndjobi et des esprits cosmiques dans le village-fouoyi. C’est dans cette perspective qu’il faut saisir la non-extinction du mba-è-ndjobi, la présence des objets cultuels et la surveillance du mba-è-ndjobi jusqu’au début de l’odjoho onènè vers 20 h ou 21 h.

L’une des caractéristiques du lèyoho est la dramatisation morbide perceptible à travers la virulence des incantations et la gravité du ton des initiés, la focalisation de leur discours sur la dangerosité du Ndjobi, sa capacité à tuer, sa capacité à neutraliser les forces agressives et à sanctionner sévèrement les déviants. Malgré cela, la qualité du spectacle de danse attire toujours beaucoup de gens.

En effet, le lèyoho commence par la sortie en rang des initiés de leur réclusion (de l’extrémité occidentale du village) fredonnant des chants, accompagnés d’un roulement de tam-tam jusqu’au mba-è-ndjobi où se formera un cercle de danse. Puis s’ensuit une partie de danse où les initiés exécutent à tour rôle des figures chorégraphiques très spectaculaires. A la fin, ils rangeront leur petite branche de kama103 qu’ils détenaient autour du mba-è-ndjobi et à côté ndjobi-à-ntsiana, de l’ossélé, du sama et du mvouli... Le feu du mba-è-ndjobi sera entretenu régulièrement par un initié jusqu’à la reprise de l’odjoho onènè vers 20 h ou 21 h.

Notes
103.

L’arbre kama possède des composants chimiques très toxiques et mortelles. Ces écorces mélangées à d’autres espèces végétales constituent l’onguènèhè (le poison) qui était employé par les Mbéti dans un type de pêche collective. Elle s’effectuait de la manière suivante. Les pêcheurs déversent en amont d’un cours d’eau la mixture très toxique ainsi obtenue ; puis ils la dispersaient en crént des vagues successives. L’eau devenait trouble empêchant les poissons de fuir et de respier normalement. Ceux qui étaient pris dans le piège absorbaient cette eau et succombaient. La pratique de ce tte pêche est interdite depuis des décennies par les pouvoirs publics à cause de ses conséquences sur la reproduction des poissons et d’autres especes aquatiques. Autrefois, les branches de l’arbre kama étaient aussi utilisées pour marquer la solennité d’un événement comme la capture d’un gros gibier (un buffle, un troupeau de sangliers... ) ou la visite d’un chef de village. Sa symbolique est certainenment liée à la taille de l’arbre kama (15 à 30 m de hauteur) et à son poisson.