I-LA SOCIALISATION PAR LES CHANTS, LES PROVERBES ET LES LEGENDES.

J’ai souligné dans l’analyse de l’Okwandji que la socialisation collective est l’une de ses fonctions principales dans la mesure où elle définit les grandes lignes de la philosophie du Ndjobi, la déviance, la normalité, les catégories normatives... et les vulgarise dans un contexte social bien précis, devant plus d’une centaine de personnes (appartenant à plusieurs villages de la contrée), durant un à deux jours; et par des moyens bien spécifiques à la culture ethnique. Elle est aussi importante parce que les autres fonctions répondent souvent à la déviance; donc à son échec. Les moyens utilisés sont les chants, les proverbes et les légendes.

Malgré, leur concision, leur caractère diffus, la complexité de leur philosophie et de la diversité des sujets qu’ils abordent, les chants, les proverbes et les légendes sont, dans les sociétés de tradition orale, un des supports importants de la mémoire collective et un moyen de transmission du savoir qui, d’une génération à une autre, permet de pérenniser soit l’ethos, soit des connaissances diversifiées. Ils sont surtout un moyen de socialisation qui est utilisé pour illustrer un phénomène et structurer le comportement humain. Et les conteurs comme les griots en Afrique Occidentale sont de véritables bibliothèques dont la capacité de mémorisation est impressionnante. Dans le Ndjobi, ce travail revient aux initiés d’un âge assez avancé. Ces derniers traduisent les chants en des termes intelligibles pour les non-initiés et des jeunes initiés pendant l’Okwandji. Cet exercice est étayé par la narration d’un fait du vécu quotidien qui illustrera une finalité précise, la projection de ses conséquences sociales et l’impact individuel et collectif.

Le répertoire du Ndjobi comporte plus d’une centaine de chants, répartis en trois catégories: les chants sacrés, éducatifs et distractifs. Lesquelles correspondent à leur tour à la segmentation par phases de l’Okwandji. Les chants sacrés réservés à la première phase reviennent sur le pouvoir magique et la clairvoyance des ancêtres-fondateurs du groupe ethnique, sur les esprits cosmiques116, sur l’histoire, sur les mythes et les différentes pratiques magico-cultuelles (Ngo, Lésombo, Andoukou, nkoula, Onkéra, onkani, ngoya...). Ils visent exclusivement la pérennisation de l’identité Mbéti et la vulgarisation de ses principes de base.

Nombre de ces chants ont aussi pour objet une réflexion philosophique sur la place de l’homme dans l’univers, sur les aléas des entreprises humaines, sur la nécessité d’une cohésion sociale, sur les origines de la vie et l’expression des mythes. Dans ces chants apparaît, entre autres aspects, le caractère indivis du legs ancestral. Le magico-religieux représente à la fois une force et une valeur, un support de l’existence humaine dans la mesure où il définit, organise et structure un code moral. Il révèle les forces et les faiblesses du comportement humain et trace quelques perspectives à travers quelques faits marquants, dans lesquels on retrouve de manière diffuse une codification du comportement humain. Ainsi les chants liés au Ngo, à l’Onkéra ou l’Andounkou, valorisant leur rôle dans l’organisation sociale, sont une sorte de glorification du travail des ancêtres. Ils montrent comment au fil des siècles la société a conçu des mécanismes de régulation de l’ordre social.

Tandis que les chants éducatifs qui, englobent souvent les aspects sacré, éducatif et distractif, insistent surtout sur la philosophie des catégories normatives, la normalité, la déviance, l’esprit de l’organisation sociale, des agencements qui définissent les rapports sociaux. Ils offrent surtout une perspective d’exemplarité.

Notes
116.

Les esprits cosmiques sont ici des forces anonymes constitués par les esprits de la terre, du ciel, de l’eau, les forces totémiques, les animaux symboliques, les ancêtres lointains inconnus, les défunts non-ancestralisés...