Chant 1 : Texte en Mbéti

  • Koyihi léla homèni!

  • /Ne viens pas/ l’espoir/ sur moi/

  • Ndjobi mava okama!

  • /Ndjobi/ on tombe/ malgré soi/

  • Koyihi léla homèni!

  • / Ne viens pas/ l’espoir/ sur moi/

  • Ndjobi nga mbé!

  • /Ndjobi/ la maladie / mauvaise/

  • Koyihi léla homèni!

  • / Ne viens pas/ l’espoir / sur moi/

  • Koua tara kalé, okouoro kalé, okolo kalé !

  • /Là-bas/ le père/ pas/ L’oncle/ pas/ le grand-frère/ pas.

  • koyihi léla homéni !

  • /ne viens pas/ l’espoir/ sur moi/

Traduction

  • Ne viens pas ici en comptant sur moi!

  • On est initié par nécessité!

  • Ne viens pas ici en comptant sur moi!

  • Ndjobi est une société initiatique dangereuse!

  • Ne viens pas ici en comptant sur moi de frère!

  • Là bas, il n’y a pas de père, ni d’oncle, ni

  • Ne viens pas ici en comptant sur moi!

Le chant ’Koyigui léla ho mèni117 met en évidence la nature du lien entre aîné et cadet, la portée du soutien moral ou matériel de l’aîné envers le cadet, le sens de l’autonomie. En faisant allusion à l’initiation qui est émaillée d’écueils, le chant met en garde les nouveaux adeptes qui ont un parent, un oncle ou un grand-parent initié sur la non-influence de ces derniers sur le cours et les aboutissements du rituel. Le Ndjobi n’offre aucun avantage, ni privilège, ni protection circonstancielle à quelque individu du fait de l’initiation des siens. L’égalité de tous devant la puissance magique du Ndjobi, ce principe de base, responsabilise l’individu. Sa finalité sera de permettre à l’individu d’intérioriser ce corpus normatif et de lui donner sa capacité de réflexion et d’application. On revient souvent à travers ces chants sur la cupidité, l’immoralité, le respect de l’ordre lignager ou communautaire ou du bien d’autrui et de l’être. On incite l’homme à surmonter les moments difficiles de son vécu sans avoir recours auxobjets maléfiques.

L’argumentation qui sous-tend tous ces aspects reposera essentiellement sur les Akayi à ndjobi, c’est-à-dire les contes et les légendes; lesquels corroborent non seulement l’esprit des normes mais aussi signalent les dangers de la vie et de l’environnement; visent à développer la sensibilité à l’égard d’autrui, stimulent et orientent la conduite. De cela, découle clairement une dimension pédagogique et socialisatrice qui ne restreint pas la liberté individuelle. La finalité de cette démarche n’étant pas d’inculquer aux personnes destinataires un message truffé des a prioris idéologiques mais plutôt de promouvoir une liberté d’analyse des faits avec plus de réalisme. Aussi le chant, comme le conte, le proverbe ou la légende se termine par une morale (leçon) destinée à formaliser un comportement idéal. Souvent cette exégèse est aussi étayée par des affaires ayant marqué l’opinion publique.

Ainsi, l’un des initié-officiants du sanctuaire de Tsama avait pris l’exemple d’un producteur de café qui ’sacrifiait de manière mystérieuse’ son neveu pour accroître sa production. Il s’agit d’une faute grave, parce que l’homicide est proscrit d’une part, et parce que cet objectif peut être atteint par une nouvelle organisation du travail (coopérative familiale ou villageoise, entraide réciproque entre les producteurs locaux), par l’utilisation d’outils de travail performants tels que la tronçonneuse, la charrue, la motoculture et par d’autres modes d’enrichissement du sol, la jachère, les engrais. On illustre cette argumentation par l’essor du modeste élevage de volaille de la mission catholique d’Ewo qui, dans un petit espace, par une organisation rigoureuse du travail, avec des instruments de travail rudimentaires et une maîtrise des paramètres de production, augmentait sans cesse sa production au fil des années et couvrait les besoins de la totalité de la demande du marché régional. Elle n’avait recours ni aux fétiches, ni aux sacrifices humains.

L’autre fait souvent cité est l’utilisation des talismans importés de France118 entre 1970 et 1973 par un groupe d’élèves de la classe de 3ème du Collège d’Ewo (qui allaient présenter le BEMG119 en fin d’année scolaire) qui reflètait la sous-estimation de leurs capacités intellectuelles. L’examen était reputé difficile d’où le recours systématique aux talismans ou aux amulettes pour accroître les chances de succès. Ce comportement concernait des élèves moyens.

En somme, les chants essaient d’instituer une cohérence dans le désordre de la vie quotidienne en lui donnant des moyens philosophiques et normatifs; en le codifiant et le structurant par rapport à une certaine éthique communautaire. En ce sens, ils circonscrivent le champ de l’expression humaine en dehors duquel elle devient une déviance. Et l’Okwandji, à travers ses chants, ses prières et l’évocation de l’oeuvre ancestrale participe à ce processus de maintien de la cohésion sociale et de la reproduction d’un corpus de normes. En réalité, il s’agit de formaliser une expérience subjective et individuelle renvoyant toujours à des schèmes éducatifs identifiables. De la même manière, les chants forment, déforment et marquent en construisant un corpus philosophique qui devient le support du vécu communautaire.

Ainsi le proverbe suivant appelle à la réflexion et à la retenue pour éviter des jugements de valeurs qui, très souvent, fausse l’analyse objective de la réalité.

Notes
117.

Traduction : Ne compte pas sur moi en cas de difficulté (sous-entendu.)

118.

J’ai pu rencontrer en France deux anciens utilisateurs (alors qu’ils furent élèves au collège d’Ewo) de ces talismans de la société ’Madame Milla’. Selon eux elle était domiciliée dans le 18ème Arrondissement de Paris. Ils reconnaissent, avec le recul et quelques décennies après, que les talismans de Mme Milla étaient simplement un support psychologique et n’avaient aucun effet réel sur eux ; puisque certains possesseurs avaient échoué à l’examen du B.E.M.G.

119.

BEMG : Brevet d’études moyennes et générales. Il est l’équivalent du B.E.P.C en France.