1.2- Dynamique de la secte du Saint-Esprit

L’installation de ce mouvement religieux dans le village d’Okoba serait un hasard selon le Pasteur Ambéni. En effet, il était venu dans ce village pour rendre visite à sa famille (qu’il n’avait pas revu pendant deux ans de pastorale). Mais au deuxième jour de son séjour, il réalisa qu’un adolescent souffrait d’une hémiplégie pour laquelle les parents désabusés par les multiples échecs des consultations divinatoires et procès thérapeutiques avaient perdu tout espoir de guérison. Ce sera donc le premier test dans son terroir. Le désespoir des parents n’autorisait pas un échec, d’où l’extrême précaution prise pour sa tentative thérapeutique. ’Il vint au chevet de l’enfant, commença à discuter avec lui en présence de sa soeur; marmonna un psaume précis (qui a pour lui certainement une vertu curative). A la fin de ce rite, il demanda de l’eau qu’il bénit discrètement. Le pasteur massa d’abord les membres inférieurs et supérieurs de l’adolescent, puis lui fit avaler quelques gorgées d’eau et lui nettoya le visage. Quelques minutes plus tard, l’adolescent demanda à manger. Constatant le manque d’empressement de sa soeur, il se leva et alla jusqu’à la cuisine pour se servir’157.

Le pasteur venait de signer son premier acte thérapeutique à Okoba dont l’impact fut immédiat dans la contrée. Comme la plupart des devins-guérisseurs avaient échoué, certaines personnes s’interrogèrent sur la pratique du nouveau pasteur. C’est à partir de cet événement que se créa autour du Pasteur, de sa famille et de celle de l’adolescent, l’embryon de la future église de la secte à Okoba. Peu à peu les autres villageois, plus tard ceux des villages voisins s’y associeront. Mais le manque d’adeptes confirmés pour constituer un clergé correspondant aux attentes du milieu rural incita le pasteur à opter pour une évangélisation de masse assez active et rapide.

Cependant sa stratégie d’évangélisation ne procédera pas de la même manière que celle des missionnaires du début du siècle qui devaient effectuer des déplacements dans divers villages pour convertir les nouveaux chrétiens; puis les faire venir à l’église. Pour cela le pasteur s’appuiera sur ses origines et sa connaissance des motivations principales des Mbéti (comme la sécurisation des acteurs économiques, la protection contre le maléfique, la socialisation...) et il confiera cette tâche de sensibilisation aux premiers fidèles surtout aux parents de l’adolescent. C’est aussi sa pratique thérapeutique qui va accroître le nombre d’adhésion. Ainsi, en moins de trois mois, la population du village avait triplé. On y comptait plus de malades que de personnes valides. Cette affluence humaine occasionnera d’énormes problèmes de logement; d’où la construction d’un grand Olébé en forme de chapiteau qui servira à la fois d’église et de dortoir pour certaines personnes.

Malgré le dénuement matériel, l’organisation et le fonctionnement de la secte qui reprennent le modèle du protestantisme ascétique. A cette différence notable que localement le pasteur est considéré comme l’incarnation du pouvoir divin. Mais en raison du manque d’expérience des nouveaux adeptes, le clergé est composé de quatre personnes. Le pasteur coordonne toute l’activité de la secte; secondé par un fidèle chargé des problèmes religieux, un autre du domaine divinatoire, thérapeutique et le dernier s’occupant de l’intendance et de l’organisation. Et cet aspect de l’organisation de la secte fit qu’elle orienta son action sur trois domaines qui touchent directement le vécu des paysans. Il s’agit du traitement de certaines pathologies délicates, la moralisation de la vie publique et la lutte contre les agressions sorcellaires. Le premier domaine attirera beaucoup de personnes. C’est celui auquel toutes les sectes congolaises et zaïroises dans les villes et villages accordent beaucoup d’intérêt dans la mesure où la fiabilité de leurs pratiques devient un des facteurs d’adhésion et de leur crédibilité sociale. Car la vétusté des structures hospitalières au Congo, l’escroquerie ou l’inefficacité des procédés thérapeutiques de certains devins-guérisseurs, la cherté des produits pharmaceutiques, l’absence d’un suivi psychologique des patients... sont autant de facteurs de résignation et de recours aux sectes, même si toutes les sectes ne guérissent pas les diverses pathologies. Si bien qu’il est assez difficile d’estimer le nombre réel d’adhérents et d’établir une distinction entre celui qui adhère par la foi et celui qui y vient par nécessité vitale.

Cependant nous n’analyserons pas le fonctionnement de la secte mais quelques actes de sa pratique thérapeutique qui lui ont permis de marquer l’opinion publique dans le pays Mbéti comme à Brazzaville, et plus tard dans la province du Haut-Ogooué. Lors d’un de nos séjours au Congo, (du 13 avril au 18 août 1989), nous avons assisté à Okoba, à Mbama et à Brazzaville, à plusieurs reprises, aux actes thérapeutiques ayant eu lieu dans l’église ou au domicile du malade.

L’acte thérapeutique se subdivise en trois phases: la prière, la transe divinatoire et la phytothérapie158. La prière collective est un des moments déterminants de l’acte thérapeutique - selon le Pasteur- parce qu’elle permet de concentrer, de juguler toutes les énergies et de faire participer Dieu, le Christ et les Anges à l’acte salutaire. Elle est une mise en condition pour les autres moments. C’est au cours de celle-ci qu’ont lieu les révélations et les transes divinatoires. Celles-ci prennent un relief particulier, non pas par leur caractère spectaculaire ou événementiel, tantôt collectif, tantôt individuel; mais parce qu’elles constituent en elles-mêmes un mécanisme singulier dans les rapports entre l’acteur social et la puissance divine, par lequel le premier ne contrôle aucun acte de son comportement durant un temps donné et est guidé par ce pouvoir divin. En réalité, il interprète les données divines. Dans ce cas, l’adepte choisi établira un diagnostic de la pathologie ou indiquera la thérapie adéquate et souvent désignera l’auteur de l’acte maléfique. Au clergé reviendra la responsabilité de traduire en acte ces indications.

Il faut souligner que la secte utilise aussi des éléments de la pharmacopée Mbéti comme l’huile de palme, le sel, les écorces, les racines et des feuilles d’arbres ou d’arbustes, les herbes et les lianes159 qu’elles associe à de l’eau bénite, aux bougies et à la prière. A cela s’ajoute le massage des membres et de certains organes censés contenir des toxines. En outre tout acte thérapeutique commence et s’achève par une prière collective qui a la vocation d’associer la puissance divine aux efforts humains.

Voici deux exemples qui ont révélé la capacité thérapeutique de la secte et ont contribué à son essor dans le pays Mbéti et dans le Haut-Ogooué.

C’est au cours d’un séjour dans la province du Haut-Ogooué (Gabon) en mars 1988 (entre le 18-25 mars), que le Pasteur reçut en consultation divinatoire un commerçant gabonais qui souffrait d’une maladie pernicieuse depuis plus de six mois. Il avait été hospitalisé dans des cliniques, avait consulté des guérisseurs sans succès. La consultation du Pasteur révélera un empoisonnement mystérieux dont l’auteur était un concurrent jaloux de sa réussite professionnelle. La secte réussira à neutraliser l’évolution du poison et à l’éradiquer complètement. En reconnaissance de cet acte salutaire, le commerçant offrira un véhicule tout terrain de marque Toyota au Pasteur Ambéni.

Comme pour le premier cas, M. B. (transporteur routier) à Brazzaville souffrait d’énormes douleurs lombaires depuis quelques mois. Les examens radiologiques effectués au C. H. U de Brazzaville ne décélèrent aucune lésion capable de déclencher un malaise d’une telle ampleur; d’où l’approximation des diagnostics, des traitements et leur inefficacité. Et son état se détériorait au fil des jours. C’est sur la pression de sa soeur aînée qu’il acceptera la consultation divinatoire dans la secte du Saint-Esprit. Le Pasteur Ambéni révéla la nature et les causes du mal qui le rongeait. Il souffrait du mombandzi 160 orchestré par un concurrent transporteur-routier. M. B. recouvrera la santé au bout de quelques séances thérapeutiques. Au sortir de cette dure épreuve, il offrira à la secte en guise de récompense la moitié de sa parcelle qui sera désormais le siège officiel de la secte à Brazzaville.

J’ai choisi ces deux exemples (du Gabon et du Congo) par leur symbolique tant par la personnalité des consultants que par la nature de leurs dons. Le véhicule Toyota valait en 1989 près de 100 000 FF (au Gabon), et une demi-parcelle en plein Brazzaville avoisinerait sensiblement 30 000 FF à 40 000FF.

Outre ces deux faits, j’ai assisté entre le 1er avril et le 18 août 1989 à plusieurs séances publiques de désenvoûtement ou de thérapie de groupe par la secte. La simplicité du rituel thérapeutique frise l’amateurisme. Et en observant les transes, on est amené à s’interroger sur la fiabilité des révélations divinatoires. Mais la spontanéité, l’incontrôlabilité de leurs faits et leurs gestes durant les transes, la jeunesse et la crédulité de certains acteurs dissipent tout soupçon de manipulation ou de préméditation. Leur état au sortir de ces transes, leur fragilité poussent aussi à s’interroger sur leur état physique et moral. Car certaines transes durent plus d’une trentaine de minutes. Les contorsions et les chutes brutales sont tellement spectaculaires qu’on peut s’attendre parfois à des fractures des membres. Ce qui n’arrive jamais; sauf s’il s’agissait d’un acte simulé. Et cette endurance des adeptes résulterait, semble-t-il, de leur profonde foi en ce qu’ils font et de la puissance divine selon le Pasteur Ambéni qui les protège efficacement de tout accident corporel.

Enfin, les transes divinatoires et les révélations oniriques qui sont devenues un des moyens privilégiés dans l’activité des sectes d’obédience chrétienne en Afrique Centrale comportent en réalité un syncrétisme qui leur donne un visage africain.

Notes
157.

Ce récit a été raconté par le Pasteur Ambéni lors d’un entretien le 10 avril 1989.

158.

Il ne s’agit pas de faire ici une description détaillée de ces trois phases, mais de donner quelques élément qui permettront de saisir la portée des actes thérapeutiques dans la dynamique des sectes.

159.

Les écorces, les feuilles et les herbes servent à la composition de mixtures et de breuvages. On les utilise pour le massage, les ablutions. La manière de composer ces décoctions, le nom des herbes, feuilles et écorces demeurent protégés par le secret.

160.

La mort du malade intervient lorsqu’une côte est cassée par des procédés magiques. Le mombandzi est une sorte d’empoisonnement maléfique qui s’effectue à travers des objets symboliques utilisés par le malfaiteur pour atteindre sa victime (une poudre éparpillée devant l’entrée d’une demeure familiale... et le simple contact suffit pour déclencher la réaction maléfique).