4- Les sectes et les Eglises catholique et évangelique dans le pays Mbéti

Comme il n’y a jamais de relations officielles entre la Prophétesse Otokowa et le Pasteur Ambiéni, ni entre leurs représentants respectifs à un moment donné, ni de différend qui les ait opposés publiquement, on ne peut parler que d’une méfiance et d’une observation réciproques. Mais, il y a en réalité une conflictualité diffuse inhérente à la lutte pour l’hégémonie territoriale qui est, d’ailleurs, très lisible à travers le comportement de leurs adeptes. Les invectives et la stigmatisation de l’action de la secte du Saint-Esprit par les partisans de la Prophétesse en sont une illustration. Tandis que les partisans du Pasteur considèrent le groupe de celle-ci comme un épiphénomène. Cependant, sur le plan de l’hégémonie territoriale, la secte du Saint-Esprit est plus avantagée parce qu’elle fut la première à s’installée dans le pays et a pu convertir beaucoup de jeunes gens et de femmes. Et son action sur le plan thérapeutique et la lutte contre la sorcellerie fut très efficace, au point qu’elle attira dans son siège d’Okoba plusieurs milliers de personnes de diverses origines ethniques et même du Gabon. D’ailleurs sa notoriété croissante lui valut l’expulsion et l’interdiction de séjour au Gabon pour activité séditieuse, lors de son passage dans ce pays pour soigner un homme d’affaire.

Par contre les rapports entre les sectes et les Eglises reflètent la traditionnelle conflictualité entre elles fondée sur la dissidence des premières. Mais elle est plus intéressante à analyser au Congo parce que les sectes n’y ont pas d’existence légale. Ce sont des situations de fait et l’ambiguïté de la position officielle des pouvoirs publics qui les font proliférer. Dans ce sens, il faut rappeler que seuls quelques religions universalistes et mouvements religieux sont reconnus par l’Etat congolais notamment les Eglises catholique et Evangélique, l’Islam, l’Armée du Salut... Les sectes souffrent donc d’une sorte d’ostracisme voilé et de déconsidération qui ternit leur image et les discrédite. Ces considérations entravent leur expansion territoriale, d’où leur confinement dans des zones géographiques (surtout urbaines) précises. Cela limite aussi leur influence territoriale et sociale laissant parfois apparaître leur sectarisme. Ainsi beaucoup de sectes, au Congo n’ont jamais franchi les limites de Brazzaville, de Pointe Noire ou des régions dans lesquelles elles furent créées. C’est ainsi que les sectes d’Ebouloumoukoué et de Yaucat Nguendi William se cantonnent à Mikalou (6è arrondissement de Brazzaville)et les Ngounza à Bacongo (2è arrondissement). Celles qui tentent le pari de l’expansion au-delà de Brazzaville doivent choisir souvent la Région d’origine du Pasteur, misant essentiellement sur l’appartenance ethnique. C’est le cas du Pasteur Ambéni Emile.

Cette ébauche met en évidence un double enjeu politique et confessionnel. Dans le second cas les Eglises chrétiennes doivent prendre en compte la position officielle de leur direction pour essayer de juguler le mouvement sur le terrain. Car reconnaître officiellement une secte, pour une Eglise, c’est avouer son échec sur le terrain. C’est remettre en cause le travail effectué durant près d’un siècle. D’ailleurs la position de l’Eglise catholique est très claire. Les sectes sont des épiphénomènes qui disparaîtront une fois passé le temps de l’euphorie, d’autant plus qu’aucune secte, ni un autre mouvement religieux d’obédience chrétienne n’a jamais connu d’expansion dans le pays Mbéti. Les Témoins de Jéhovah et le Matsouanisme sont cités en exemple.

La conflictualité est très vive entre la secte du Saint-Esprit et l’Eglise catholique dans le district d’Ewo. D’ailleurs les deux incidents169 qui ont eu lieu (le 25 décembre 1987 et le 15 mars 1988) dans cette commune et l’agressivité du pasteur à l’égard du clergé de cette paroisse l’illustrent fort bien. Le pasteur l’accuse d’être de connivence avec les sorciers (qui sont souvent des chrétiens) et d’avoir été l’auxiliaire de l’infâme colonisation de l’Afrique Noire. Et le mutisme du clergé catholique sur ce dernier point reflète toujoursles effets de la stratégie hégémonique et expansionniste de la culture européenne sur celle des Africains. Cette stratégie est toujours présente par le comportement des ecclésiastiques à l’égard des sectes. L’arrestation du pasteur Ambéni en avril 1989 à Ewo par la police politique serait l’oeuvre conjointe de l’autorité politique locale et du curé de la paroisse de cette commune.

Cependant les relations entre l’Eglise évangélique et la secte du Salut de la prophétesse Otokawa sont qualifiées d’excellentes par les deux parties malgré la suspicion qui a émaillé les deux premières rencontres entre le pasteur Essié et la direction de cette dernière. Il faut reconnaître que la tentative de rapprochement de la secte par la paroisse d’Etoumbi fut maladroitement organisée, négligeant, par exemple, certains aspects culturels Mbéti dans le domaine mystique notamment le port d’un vêtement de couleur blanche. Une fois ces incidents résolus, la reconnaissance officielle du mouvement d’Otokawa comme faisant partie de l’Eglise évangélique fut déterminante pour la pacification des rapports entre les structures. D’ailleurs, la prophétesse revendique son appartenance à cette église, reconnaît Dieu comme l’unique puissance et pourvoyeur de son énergie, utilise la bible et divers autres objets religieux pour son action et s’est débarrassée de ses amulettes individuelles et lignagères. Ce qui constitue un gage pour l’église évangélique. Il n’y a ni dissidence, ni volonté de combattre cette dernière. D’ailleurs la Prophétesse est considérée comme une sorte de messie.

Mais les attitudes contradictoires des Eglises à l’égard des sectes traduit non seulement leurs divergences classiques mais surtout leur crainte de les voir devenir à long terme des facteurs de déstabilisation et de perte d’influence dans une région où leur impact va décroissant depuis plusieurs décennies. D’autant plus que ces sectes sont créées et dirigées par des autochtones qui n’hésitent pas à recourir à certaines pratiques traditionnelles pour atteindre des objectifs précis. Notamment dans le domaine thérapeutique où elles ont recours à certains procédés du système phytothérapeutique Mbéti. En sus elles reconnaissent la dangerosité de la sorcellerie sur l’organisation des activités économiques et en font l’un des axes de leur action correspondant ainsi à la réalité ethnique. Ce sujet est rarement abordé par les Eglises. Et si elles l’abordent, les arguties idéologiques les éloignent des attentes de leurs adeptes et de la perception locale des faits.

Cette différence pratique rappelle un aspect sous-jacent du rapport entre la philosophie des Eglises et la civilisation des communautés à convertir au catholicisme: l’inadéquation totale avec la culture locale. Cela aboutit souvent à un conflit culturel et générationnel qui, bien que circonscrit dans le temps, entretient l’extériorité structurelle de ces Eglises. Elles existent sans avoir l’impact qu’elles voudraient sur les membres des sociétés qu’elles sont censées convertir. C’est probablement pour ces raisons que les Eglises diversifient leurs actions dans des domaines touchant réellement la vie des populations locales.

Notes
169.

Lors de son transit à Ewo, le Pasteur Ambéni assista à la messe diurne du 25 décembre 1987. Au cours de celle-ci il entra en transe et révéla la présence d’un esprit satanique. La messe fut interrompue par le prêtre blanc qui officiait à cause du désordre qu’il occasionna. Selon lui le mutisme des curés de l’église catholique est un signe de leur collusion avec les sorciers d’Ewo. Au cours d’un autre séjour dans la même commune où il répondait à l’invitation d’une famille dont l’enfant était gravement malade, il découvrit une cache d’objets maléfiques dans le fleuve Kouyou. Il la détruisit, révéla et démentela un réseau de sorciers dont les plus importants étaient les artisans de la place. Ils étaient tous des chrétiens confirmant ainsi, selon lui, son hypothèse de la collusion entre ces derniers et le clergé local.