5- La secte du Saint-Esprit et les autorités politiques

Les rapports entre les sectes170 et le pouvoir politique au Congo sont, d’une manière générale, marqués par une ’sorte d’athéisme d’Etat’ qui est liée à l’option politique marxiste-léniniste en vigueur. Ils sont définis par l’Article 18 de la Constitution du 8 juillet 1979 selon lequel l’Etat ’.garantit la liberté de conscience et de religion dans le cadre prévu par la loi. Il est interdit d’user de la religion à des fins politiques’171. C’est la loi n° 21/80 du 10 octobre 1980172 relative à l’exécution de cet article 18 de la Constitution qui précisera les modalités de son application et le cadre général de l’exercice de la liberté religieuse. Elle stipule que ’ La liberté de conscience et de religion et de libre exercice de tous les cultes sont expressement garanties en République poulaire du Congo. (Art. 1er ).

Quant aux infractions prévues par la loi, elles sont la non-déclaration, la déclaration incomplète ou inexacte de la secte, de l’association religieuse... auprès du Ministère de l’intérieur, et le non respect des obligations prévues par les articles 3,4,5 dont les buts réels, l’activité ou les agissements se sont révélés contraires à l’ordre public ou la moralité publique (Art.7,8). Et les sanctions correspondantes vont de l’interdiction de la secte, de l’association ou du groupement religieux à ’des peines d’emprisonnement d’un mois ou d’un an (concernant certainement les responsables des mouvements religieux) à des peines d’amende de 100 000 F. CFA (soit 2000 F.F avant la dévaluation) à 1000 000 F. CFA (soit 20 000 F.F) ou une des deux peines seulement’(Art. 8).

Le décret N° 84/154 du 7 février 1984173 portant application de la loi N° 21/80 du 10/10/1980 clarifie la position des pouvoirs publics à l’égard des sectes et des autres mouvements religieux. A partir de ce décret, l’Etat ne reconnaît que’ les 7 associations religieuses ci-après : Eglise Catholique, Eglise Evangelique du Congo, Armée du Salut, Eglise du Christ sur la Terre par Simon Kibangou, Tenrikyo, Comité islamique du Congo (Musulman), Mission prophétique Lassy zéphyrin (Art. 1er). Il s’agit essentiellement des religions universalistes et quelques mouvements religieux les plus importants (par le nombre élevé des adeptes, leur anciennété au Congo, le charisme de leur fondateur...). Tandis que les sectes et les autres mouvements religieux récents, qui sont désignés par sectes religieuses par les pouvoirs publics ne sont pas reconnus. Et ce malgré leur existence tolérée. Cet état de fait est explicitement relevé par l’article 4 du même décret qui stipule que ’ Tous groupements de fait, toutes sectes ou associations religieuses exerçant en République Populaire du Congo depuis la promulgation de la Constitution du 8 juillet 1979, doivent cesser leurs activités sous peine de sanctions prévues à l’article 8 de la loi N° 21/80 du 10/10/1980 s’ils ne se sont pas conformés aux dispositions du présent décret deux (2) mois après sa publication ’(p 2). 

Malgré la promulgation de la loi et du décret sus-cités et le constat fait par le 3è Congrès ordinaire du P.C.T (tenu du 27-31 juillet 1984 à Brazzaville) sur la prolifération des sectes religieuses au Congo, aucune sanction n’a été prise contre une secte ou une association religieuse illicitement établie à Brazzaville. Le statu quo a prévalu et a probablement favorisé leur prolifération. ’ La prolifération des sectes religieuses constatée actuellement, analyse le rapport du 3è Congrès ordinaire du P.C.T, constitue en effet un danger pour le Parti lui-même si elle n’est pas maîtrisée à temps. Il n’est pas exclu qu’elle soit une conséquence de l’insuffisance de la lutte idéologique au sein de notre Parti et l’insuffisance des moyens aloués à cette fin ’. (p  155)

Le constat alarmant du 3è congrès du P.C.T sur la prolifération des sectes semble être confirmé par les chiffres donnés en février 1988 par ’le Sécrétariat général à l’administration du territoire au Ministère de l’administration du territoire et du pouvoir populaire. 95 associations considérées comme sectes par les pouvoirs publics’ (J. Tonda, p 74) étaient recensées ou avaient déposé leur demande d’officialisation de leurs activités. Ce chiffre peut refléter la réalité sur le terrain d’autant plus que certaines sectes, installées à Brazzaville et Pointe-Noire par exemple, apparaissent dans la plupart des cas comme des entités dépendant d’une Eglise reconnue par les pouvoirs publics. Ce fut le cas de la secte du Saint-Esprit à Brazzaville qui a toujours revendiqué son appartenance à l’Eglise Evangelique du Congo. D’autres n’ont pas de siège social et utilisent souvent les domiciles de leurs adeptes pour leurs activités ; ou existent comme des groupes de prière. Le phénomène de groupe de prière concerne principalement les Eglises catholique et évangelique et semble occulter l’existence des sectes.

Le rapport du 3è congrès ordinaire du P.C.T met en évidence à la fois la reconnaissance de l’échec des politiques socio-économiques (qui auraient pu réduire l’impact des mouvements religieux) et l’influence croissante des sectes au Congo. C’est le second aspect qui a amené les pouvoirs publics à considérer les sectes comme un facteur de ’démobilisation des masses populaires’. Elles semblent constituer une menace affirmée pour l’ordre public. C’est pour cela que le rapport du Congrès recommandait une intensification de la lutte idéologique sur le terrain et une stricte application de la loi N° 21/80 du 10/10/1980 et le décret N° 84/154 du 2/02/1984.

Mais la complexité des rapports entre le pouvoir politique et les religions (bien que l’Etat soit laïc) naît au lendemain de l’indépendance du Congo (le 15 août 1960). Le premier chef de l’Etat congolais ne fut-il pas un Abbé (F. Youlou), ce qui n’éloigne pas l’Eglise chrétienne de l’Etat ou plutôt des cercles du pouvoir. La marxisation du système politique dès le renversement du Régime Youlou par le mouvement syndicaliste des 13, 14, 15 août 1963 aurait pu changer radicalement cette dynamique relationnelle. Puisque l’introduction des cours de philosophie marxiste-léniniste au lycée, la nationalisation de l’enseignement réduisent le champ d’expression de la Religion. Mais ces mêmes religions - bien que limitées dans leur action (prière quotidienne, participation aux cérémonies funéraires...) sont constamment sollicitées à l’occasion des manifestations politiques comme corps constitués. Et à certains moments critiques de la vie politique, elles deviennent des intermédiaires ou des négociateurs précieux pour les dirigeants au pouvoir.

Ainsi les commanditaires de l’assassinat du Président M. Ngouabi (le 18 mars 1977) ont fait exécuter le Cardinal E. Biayenda (dernière personnalité à être reçue par le chef d’Etat le 18 mars 1977) pour éliminer tous les témoins réels ou supposés du drame; prétextant aussi que celui-ci aurait profité de cette entrevue pour neutraliser les amulettes protectrices et la puissance magique de M. Ngouabi. Ce contexte social donne aux relations entre les religions, les sectes et les pouvoirs politiques, une dimension particulière. Il donne une opinion négative des mouvements religieux.

G. E. membre du P.C.T et chef de division à la commission de contrôle et de vérification (C.C.V.) m’expliquait à Brazzaville que ’ le pouvoir politique ne redoutait pas les sectes, ni un soulèvement de leurs adeptes. Il redoutait plûtot les conséquences de leur activisme messianique. Selon lui les sectes -à la différence des Eglises universalistes- s’intéressent et s’impliquent trop dans le vécu de leurs adeptes (la vie familiale ou conjugale, sentimentale, l’activité professionnelle, la santé... ). Le fonctionnement de ses sectes conduit à une sorte de manipulation mentale qui rend les adeptes tributaires de leur mouvement. Il rend aussi difficile une désapprobation par les adeptes d’une décision prise par les responsables ou une dénonciation d’un comportement réprouvé. La tentative de neutralisation du fouoyi de Yaba-Mbéti organisée par le pasteur E. Ambéni en compagnie de quelques-uns des adeptes de la secte en février 1989 est assez révélatrice. Elle  aurait fait deux morts : une sexagenaire et un adolescent. Ces deux morts sont logiques dans l’entendement des Mbéti et par rapport aux sanctions prévues par le Ndjobi en cas de violation du fouoyi.

L’autre sanction est l’initiation obligatoire accompagnée d’une forte amende financière pour celui qui est pris en flagrant délit. Ces sanctions sont connues de tous les Mbéti. Donc organiser une violation du fouoyi au vu et au su de tout le monde et avec des non-initiés : c’est prendre d’énormes risques mortels pour l’ensemble du groupe. C’est aussi faire preuve d’une irresponsabilité notoire. L’affaire du fouoyi de Yaba-Mbéti rappelle, poursuivait-il, celle d’Avouka Abokis à Etoumbi en 1974. Ce dernier, originaire du village d’Olloli à une quarantaine de kms d’Etoumbi, avait tenté de voler le nkobè d’un des fouoyi d’Etoumbi appartenant à son defunt père. Sa tentative fait suite au refus de la direction du fouoyi de lui confier la succession de son père comme Onga-fouoyi. Il fut frappé d’une sorte de démence qui fit de lui successivement devin-guérisseur et prestidigitateur. Il en est mort au Gabon...

Comme les sectes s’intéressent beaucoup au problème récurrent de la sorcellerie, s’interroge-t-il, qu’adviendrait-il d’une personne accusée (sans la moindre preuve de culpabilité) d’attaque en sorcellerie contre un membre de la secte ou un membre de son lignage ? On assisterait probablement à des conflits intralignagers qui pourraient aboutir sur l’assassinat de la personnée accusée ou sur des dislocations de lignages. A partir de ces interrogations sur l’activité des sectes, on comprend pourquoi les pouvoirs publics soient attentifs à la menace que constituent les sectes sur l’ordre public et la moralité publique’.

Cet exposé met en évidence l’influence croissante des sectes au Congo et la perplexité du pouvoir politique face à ce nouveau phénomène qui remet en cause certains aprioris. Les sectes ne se focalisent plus uniquement sur les problèmes religieux au détriment des problèmes sociaux de leurs adeptes ou de la société en général. De ce fait elles éloignent de la doctrine des pères blancs qui n’abordent pas en des termes clairs, par exemple, les problèmes liés à la sorcellerie.

A Brazzaville et à Pointe-Noire, les affaires d’escroquerie, de destabilisation des couples mixtes (entre les adeptes et les non-adeptes des sectes), l’obligation du port d’une tenue vestimentaire spécifique, l’obligation de don pour les adeptes... sont très courants dans les sectes. Les victimes de ce type de comportement (les adeptes et ceux des non-adhérents qui ont été soignés, par exemple) n’osent pas en révéler pour éviter des répresailles. Ces comportements sont tus, concluait-il, à cause du secret imposé aux adeptes, leur solidarité, le culte de la personnalité des adeptes à l’égard des pasteurs174. Certains d’entre eux ont rompu avec le principe de la neutralité observé par les pères Blancs en s’engageant publiquement dans la lutte contre la sorcellerie, dans les pratiques magico-phytotherapeutiques et en se demarquant des positions des hommes politiques sur certains phénomènes sociaux.

Outre l’impact croissant des sectes au niveau national, il faut ajouter un événement qui est créé dans la région : la tentative de rébellion organisée par le Capitaine Anga à Owando et dans la forêt d’Ikonongo dans la Cuvette (du 4 septembre 1987 au 4 juillet 1988). Cet événement va désormais focaliser l’attention du pouvoir politique sur tous les mouvements sociaux dans cette région. Il faut dire que la tentative de P. Anga est très symbolique parce qu’elle a lieu dans la région natale du chef de l’Etat et elle est organisée par un ancien membre du Comité militaire du Parti (qui dirigea le Congo du 18 mars 1977 au 5 février 1979). Durant près de 11 mois de rebellion, la Cuvette est placée en état de guerre. Les parties centrales et occidentales sont quadrillées systématiquement par des unités de l’armée. Des mesures draconniennes sont mises en place pour contrôler la circulation des personnes et des biens à l’intérieur de la région. Notamment la fouille systématique des véhicule de transport et des voyageurs (qui transitaient par Owando pour aller à Makoua, Etoumbi, Mbomo et Kellé par la route d’Owando ou qui empruntaient l’autre route pour Boundji, Lékéti, Okoyo, Ewo et Mbama en passant par Obouya) et l’interdiction aux voyageurs de détenir ou de transposer les produits pharmaceutiques et les cartouches de chasse. L’interdiction concernant les produits pharmaceutiques et les cartouches de chasse avait pour objet de réduire les possibilités d’approvisionnement de la rébellion en ces matières très utiles dans une zone forestière.

La frustration des voyageurs face aux militaires est telle qu’on assiste au lieu d’embarcation des voyageurs ou au poste de contrôle militaire à des scènes stupéfiantes. Il m’a été rapporté par un chauffeur routier ce fait qui s’est produit en décembre 1988 au poste de contrôle militaire de Ta Nkombo175. Un jeune homme (A. O), qui allait à Kellé, avait enfoui une dizaine de cartouches de chasse dans une flute de pain. Son stratagème fut découvert lors de la fouille de leur véhicule. Le pain était tellement lourd que les militaires n’eurent aucune à découvrir son stratagème. Il était arrêté et battu. Sa flute de pain fut confisquée.

Cette affaire militaro-politique n’aurait pas concerné les sectes du Salut et du Saint-Esprit n’eut été l’implication de l’Abbé N.176 de l’Eglise catholique (officiant dans la zone de la rébellion) affirmée par les autorités locales. L’écclésiastique a, selon les autorités de la région, servi d’intermédiaire entre le rebel et certaines personnalités résidant en dehors de la région et succeptibles de lui fournir une assistance matérielle. Il est aussi considéré comme la caution morale au rebel. Or l’implication dans une affaire concernant l’intégrité de l’Etat et une tentative de renversement des institutions est suffisamment grave pour qu’elle rouvre une nouvelle brèche dans les relations déjà ambiguës entre le pouvoir politique et les écclésiastiques au Congo. Sur ces derniers pèse toujours le soupçon de complicité avec les ennemis de la révolution congolaise et ils sont considérés comme les ’valets de l’impérialisme’.

C’est donc au moment où les conséquences de l’affaire P. Anga sont encore vivaces que les sectes du Saint-Esprit et du Salut commencèrent à se développer dans le pays Mbéti. Le contexte sociopolitique n’est donc pas favorable aux sectes. Tous ces éléments, c’est-à-dire le constat fait le rapport du 3è Congrès du P.C.T et la recommandation sur l’application des dispositions prévues par les textes en vigueur, l’affaire de P. Anga et l’implication affirmée de l’Abbé N. renforcent la méfiance des hommes politiques envers les religieux et certains mouvements religieux. La situation est plus complexe pour les sectes qui n’ont d’existence légale. Elle est d’autant plus complexe pour les sectes du Salut et du Saint-Esprit (dont l’existence est illégale) que pour les autorités politiques des préfectures d’Etoumbi, d’Ewo et Mbama qui, depuis leur création et leur installation, avaient laissé faire. Au début de l’installation de la secte du Saint-Esprit, leurs relations sont caractérisées par, une sorte de méfiance réciproque.

‘’Le comportement des hommes politiques locaux était lié, comme l’a expliqué un membre du Comité du P.C.T. d’Ewo, à l’échec des Témoins de Jéhovah, du devin Oto dans les années 70, à la stagnation des activités des Eglises catholique et évangelique et à la prédominance du Ndjobi dans notre milieu. Ils sont considérés par les membres de comité du P.C.T. comme des obstacles au dévéloppement des sectes religieuses. Ils ont pensé que notre milieu est une terre hostile ou difficile à conquérir pour les religions ou les sectes religieux qui s’inspirent du christianisme. Donc les sectes du Salut et du Saint-Esprit seront des phénomènes éphémères disent-ils. Mais j’ai l’impression que les membres du parti dans nos localités ont ignoré les créneaux vers lesquels allait se focaliser leur activité. Tant que leur activité ne concernait pas le domaine politique et qu’elles orientaient leurs adeptes vers les enjeux liés à leur quotidiennété. C’est pourquoi les sectes religieuses ont été toujours considérées comme l’opium du peuple favorable aux hommes politiques. Mais ils n’ont pas tenu compte des problèmes comme le conflit récurrent de générations, la suspiçion de sorcellerie pesant sur certains initiés du Ndjobi, la réapparition de certaines maladies attribuées aux sorciers... qui sont habilement exploités par les sectes’.’

C’est à partir du moment où les deux sectes connaissent un essor considérable en quelques mois d’activité dans le pays Mbéti que les relations entre certains hommes politiques et la secte du Saint-esprit deviennent conflictuelles. Les causes de cette déterrioration des relations sont les incidents provoqués par le pasteur Ambéni. Il a mis en cause les pères blancs de la paroisse d’Ewo et les hommes politiques de Mbama et d’Ewo au début de 1989 dans des affaires de sorcellerie. Ainsi, lors d’un de ses séjours à Ewo au mois de février 1989, le pasteur a accusé publiquement certains notables locaux ; notamment l’unique artisan menuisier, certains commerçants du marché d’Ewo et le chef du P.C.A. de Mbama177. Ils sont pour lui des sorciers et des écueils au développement des deux communes et de l’évolution scolaire des jeunes. Les accusations du pasteur suscitent immédiatement une réaction des personnes visées. 

‘’ En focalisant ses arguments sur le phénomène récurrent et nuisible de la sorcellerie, me disaient un membre du P.C.T. à Ewo et O. E une des personnes accusées, E. Ambéni cherche à attirer les jeunes, les femmes et certains hommes vers son mouvement. Il tente de créer une tension entre les jeunes et nous, entre les victimes et les soi-disant sorciers ; et salir l’honneur des commerçants et certains menuisiers, maçons, tailleurs... dont la richesse proviendrait de la sorcellerie. Le pasteur E. Ambéni ira-t-il jusqu’à dire, s’émeut O. E, que la réussite scolaire et professionnelle de mes enfants est le fruit de mes fétiches ’178.’

Il faut dire que les accusations du pasteur reposent sur des cas de maladie dont il attribue la responsabilité aux sorciers. Il s’agit d’une sorte d’épidémie de céphalées touchant généralement les élèves du collège et de l’école primaire centrale d’Ewo entre 1987 et 1989. Certains élèves ont, à certains moments, dévéloppé des troubles mentaux qui les ont éloignés définitivement du milieu scolaire. D’autres ont été soignés par le pasteur179.

En outre l’affluence de la population des villages ou des communes d’Ewo et de Mbama aux messes publiques est un atout considérable pour la secte du Saint-Esprit. Les messes diurnes et nocturnes sont tranformées en de véritables sermons contre les structures lignagères, le Parti, les Eglises universalistes... C’est pour cela que le comportement du pasteur est considéré comme ’séditieux’ par les autorités locales. Il est susceptible de troubler l’ordre public dans le district d’Ewo et le P.C.A. de Mbama à partir du moment il démobilise ’les forces vives de la région au profit d’un lugubre message libérateur du joug satanique’180. La secte du Saint-Esprit constitue donc une réelle ménace pour le pouvoir. Et le pasteur Ambéni apparaît de plus en plus comme un messie puisqu’il intéresse clairement aux affaires politiques à travers le sort des jeunes et des paysans.

La popularité croissante du pasteur et de la secte, et l’éventualité d’une instabilité politique au niveau local poussent les chefs de district d’Ewo et de P.C.A. de Mbama en avril 1989 à solliciter l’intervention personnelle de A. N., Commissariat politique de la Cuvette (le chef de l’exécutif régional). Pour convaincre ce dernier de faire le déplacement d’Ewo, il a fallu que les deux responsables locaux démontrent la dangerosité de la secte et les infractions aux dispositions prévues la loi N° 20 /80 du 10/10/1980 et le décret N° 84/154 du 702/84 et relatives à la déclaration de leur existence, à l’ordre public et la moralité publique ou à leur utilisation à des fins politiques... Il leur a fallu aussi montrer qu’il est aussi dangereux que l’Abbé N. dans l’affaire Anga. C’est ainsi que les deux responsables politiques vont exploiter un incident qui s’était produit quelques mois auparavant dans la province du Haut-Ogooué au Gabon. Il s’agit d’une réaction violente d’une personne (initié au Ndjobi) mise en cause par le pasteur pour une affaire d’attaque en sorcellerie concernant un homme d’affaire gabonnais. A travers cette personne, c’était une remise en cause du Ndjobi. C’est à la suite de cette affaire que le pasteur Ambéni fut expulsé par la gendarmerie et interdit de séjour au Gabon. ’Son archarnement sur le Ndjobi au Gabon n’a pas du tout plu aux autorités du pays lorsqu’on sait leur attachement au Ndjobi. Et si nous ne prenons pas de précaution, cela risque déboucher sur un incident diplomatique entre les deux pays, commentait l’un des responsables locaux du P.C.T. ’

A cette affaire s’ajoute le caractère démoblisateur de la secte. L’un des deux responsables politiques constatait en ces termes l’évolution dangereuse de la secte du Saint-esprit. ’Les jeunes gens ne veulent plus aller à l’école. Les femmes passent leur journée non pas dans les champs ou à s’occuper de leur famille, mais à être au service de la secte. Ils vouent une adoration incroyable au papa Emile. Tout ce qu’il dit est une vérité divine. La volonté de détruire le fouoyi de Yaba-Mbéti ne nous étonne pas. Il veut prouver qu’il est plus puissant que le Ndjobi.. Il est imprévisible. Aujourd’hui, il va déterrer les fétiches dans le fleuve kouyou à Ewo ; demain il sera entrain de dire que les gens du Ndjobi sont des sorciers. Il amène les pauvres femmes et enfants là où il veut. Il n’est pas dangereux pour nous mais pour les masses paysannes. Il est de notre devoir en tant que responsable politique de prendre des décisions pour l’intérêt national. C’est pourquoi nous avons fait appel au caramarade A. N, Commissaire politique pour constater avec nous le danger qu’il représente. Nous avons choisi le jour de l’arrivée du pasteur Zaïrois pour son investure à Ewo en connaissance de cause. Le meeting que nous avons organisé le 10 mars 1989 a étéun piège’.

Les propos de l’homme politique montrent la tension qui existe entre la secte du Saint-Esprit et le pouvoir politique local. On peut multiplier les exemples pour illustrer la dégradation progressive de leurs rapports. Le plus intéressant est l’affront public organisé qu’a subi le Commissaire Politique de la région de la Cuvette à Ewo. En effet lors du meeting politique auquel cette autorité nationale et régionale prenait part, la population quita subitement la place publique d’Ewo lorsque l’avion à bord duquel voyageait le pasteur Zola survolait Ewo. Bien que le meeting fut organisé à cet effet, cet incident lui montrait l’importance du pasteur Ambéni et de sa secte dans cette partie de sa région. Tous les jeunes, les femmes et certains hommes (adepteset non-adeptes de la secte)sont allés pour voir et recevoir le mythique pasteur Papa Zola.

L’affront infligé au Commissaire politique de la Cuvette fut considéré comme grave pour que l’avion transportant le pasteur Zola soit interdit d’atterrir à Ewo et détourné sur Kellé (près de 200 km plus loin). Cet événement fût la preuve de la dangerosité du pasteur E. Ambéni pour le système politique. Les deux pasteurs seront arrêtés quelques heures plus tard à Kellé et transférés à Brazzaville où ils seront incarcérés pendant plus d’un mois. La sanction sera l’interdiction d’activité de la secte du Saint-Esprit dans la Cuvette et non pas à Brazzaville ; comme si dans sa dangerosité affichée se limitait aux circonscriptions administratives de d’Ewo, de Kellé et de Mbama. Certains fidèles sont poussés à l’exode ou subissent des pressions au niveau scolaire ou dans leur village. La fermeté du pouvoir régional face à la secte du Saint-Esprit traduit l’exaspération des autorités locales devant l’influence grandissante de la secte du Saint-Esprit dans le district d’Ewo et le P.C.A. Mbama.

Il est intéressant de constater l’importance démesurément accordée à la secte du Saint-Esprit par les pouvoirs public locaux comme si elle constituait un enjeu considérable sur le plan politoique, économique, culturel ou un écueil à la réalisation du projet social du gouvernement. Ce comportement politique peut être perçu à la fois comme un aveu d’impuissance face à l’essor des sectes que les hommes politiques avient sousestimé au début de leur installation et une démonstration de la puissance de l’Etat. Ce contraste et la démesure donnée à certains évènements ne sont-ils pas des indicateurs de la fragilité des pouvoirs locaux ? Et l’intervention d’un membre du Comité Central du P.C.T.et Commissaire politique de la Cuvette qui donne une importance nationale à un événement local sans grande portée nationale met en évidence les limites des compétences des autorités et leur concentration au niveau du Commissariat politique de la région. Enfin l’essor du Ndjobi et des sectes à produit quasiment les mêmes les conséquences chez les autorités locales. Elles les ont, au début, sousestimées, puis sont obligées de subir les conséquences de leur essor en ajustant leur comportement au gré des événements. Cette sorte d’aveuglement politique ou l’absence de stratégie d’action des hommes ploitiques est liée à l’acculturation idéologique consécutive à l’adoption du marxisme-léninisme et à la méconnaissance de l’importance des systèmes magico-religieux, des rituels et des religions dans l’histoire et l’existence des populations. Cet aveuglement est caractéristique de l’absence de projet de société qui est ressentie dans divers domaines au Congo. C’est pourquoi les sectes et les associations tentent d’occuper ce terrain laisser vaquant par les hommes politiques ; et leur influence va croissant dans les villes du Congo.

Notes
170.

Je focaliserai l’analyse des rapports entre les sectes et les pouvoirs politiques uniquement sur la secte du Saint-esprit car la secte du Salut a eu des relations normales avec les autorités locales.

171.

Constitution du Congo, Brazzaville, 1992

172.

Journal officiel du Congo, Brazzaville, 1980, p.8

173.

Journal officiel, Brazzaville, 1980, p 8

174.

Il ne s’agit pas d’une simple identifcation du père en la personne du pasteur. Elle signifie surtout d’un réel transfert de rôle social du père de famille vers le pasteur de la secte. Ce phénomène montre la perte progressive de l’importaznce des structures lignagères dans le milieu urbain au profit des structures spécifiques à cet environnement comme les sectes, les associations professionnelles...

175.

Ta Nkombo est un quartier du 6è Arrondissement de Brazzaville. Les militaires du poste de contrôle étaient réputés ciniques.

176.

L’Abbé N. fut arrêté à Owando et transféré à Brazzaville. Il sera incarcéré dans les geôles de la Sécurité d’Etat à Brazzaville et relaxé sans procès. Il fut contraint à l’exil et vit actuellemnt dans une abbaye dans le sud de la France.

177.

M. O, chef du P. C. A de Mbama (entre 1985-1989) fut soupçonné d’avoir sacrifié par des procédés sorcellaires ses neveux pour sa promotion politique. Le soupçon est né d’une rumeur à la suite du décès d’un des neveux de cette personnalité. Son comportement pendant les obsèques d’une de ses victimes supposées aurait choqué certaines personnes qui ont lancé une rumeur malveillante. Ce soupçon n’a jamais été corroboré par des preuves objectives. Or le soupçon est ici un acte d’accusation et parfois de condamnation qui jette le discrédit sur la personne visée. Ce qui pousse dans certains cas, les personnes visées à se soumettre à des épreuves ordaliques pour prouver leur innocence. Ainsi porter une telle accusation sur un homme politique, c’est faire outrage au parti, donc à l’Etat (souvent par extrapolation au chef du parti qui est le chef l’Etat) d’où la tentation de sanctionner démesurément le déviant.

178.

O. E. est l’unique artisan menuisier d’Ewo. L’une de ses filles est enseignante de collège et l’un des fils est lieutenant de la police. D’ailleurs certains adeptes de la secte soupçonnent ce lieutenant d’être l’organisateur des violences sur eux.

179.

L’existence de cette sorte d’épidémie m’a été confirmée par M. A. médecin-chef du dispensaire d’Ewo. Il évoque l’effet additionnel du paludisme, des migraines et d’autres facteurs psychiques. Tandis que le pasteur maintiend sa version basée sur la sorcellerie.

180.

Il s’agit d’une des expressions employées par les responsables politiques congolais pour désigner certaines organisations censées représenter une force d’opposition à l’idéologie officielle. C’est ainsi que F. N, membre du Comité central du P.C.T. et du gouvernement dans les années 80 a été exclu de la première instance pour ’inconséquence idéologique’ ; c’est-à-dire pour l’usage des amulettes ou des objets magiques