1. Caractéristiques

Afin que l’activité de veille débouche sur une véritable participation au processus décisionnel, les informations recueillies [BOUC00] :

  • doivent permettre d’anticiper ce que l’on pourrait faire avec les technologies actuelles ou émergentes et donc déboucher sur une innovation (par exemple de nouvelles études) ;

  • doivent répondre rapidement à des besoins ponctuels et immédiats (des questions de la direction par exemple).

Les différents scénarios de l’activité d’intelligence stratégique, qu’ils correspondent à des besoins ou à des ’situations’ de veille, requièrent une alternance entre coordination et autonomie.

A chacun correspondra un ’produit de veille’ spécifique : dossier complet, veille récurrente, alertes, etc., qui bien sûr peuvent coexister. Dans tous les cas, ne perdons pas de vue que la mise en perspective de l’information interne et externe est indispensable.

Nous définissons trois grandes familles de scénarios qui correspondent à ce que nous avons retenu de nos entretiens et des observations empiriques (annexes 4 et 8). Pour chacun d’eux, différents types d’acteurs vont intervenir de façon plus ou moins naturelle ou par sollicitation. Ces scénarios sont complémentaires, l’un pouvant même engendrer le déclenchement de l’autre.

  • veille technique et état de l’art : c’est ce qu’on pourrait appeler la veille ’classique’, qui met en oeuvre la quasi-totalité des étapes du processus. La norme AFNOR [AFNO98] la décrit comme une activité continue et en grande partie itérative. Son objectif est soit de suivre dans le temps l’évolution d’un domaine en complétant un ’dossier’ plus ou moins synthétique, soit de réaliser un état de l’art pour démarrer une nouvelle recherche36. Les principaux client de ce type de veille sont à la fois les décideurs et les experts, demandeurs de synthèses sur des domaines spécifiques.
    Ce type de travail est souvent du ressort de services ’information et documentation’, qui évoluent vers des activités de veille, et sont compétents pour choisir des sources et des outils, les manipuler et participer à la production des documents de synthèse. Mais il peut aussi être animé par un correspondant spécifique qui gère un réseau de veilleurs. Son rôle est de s’assurer de la cohérence du suivi par rapport à la stratégie de départ, c’est-à-dire le ciblage défini avec les décideurs, et de faire le lien avec le reste du réseau d’intelligence technique et stratégique. Quant à l’équipe d’animation, elle gère non pas directement ces actions de veille, mais l’homogénéité en terme d’organisation, de méthode et d’outils qu’elle propose. Les veilleurs, s’ils ne sont pas des professionnels de l’information, sont des spécialistes métiers qui traquent et collectent l’information en choisissant leurs outils et surtout leurs sources.

  • surveillance et alerte : C’est ce que appelle Hermel la ’veille passive’ [HERM01], qui, comme son nom ne l’indique pas, s’effectue au quotidien de façon dynamique et continue, et implique la quasi totalité des acteurs de l’entreprise. Elle met en oeuvre une collecte systématique d’informations en rapport avec les axes stratégiques et les priorités de l’entreprise. L’alerte, quant à elle, correspond à une information à caractère spécial, voire inquiétante, qui doit très rapidement être validée et remonter vers les décideurs pour une (ré)action rapide. L’alerte peut être captée fortuitement, ou être le fruit d’un puzzle, donc ’découverte’ après réflexion. L’équipe d’animation du réseau d’intelligence est particulièrement centrale dans le processus de traitement de ces alertes, puisque c’est à elle de les faire valider et remonter. Ce scénario se matérialise par une analyse systématique d’informations simples (un communiqué par exemple) ou élaborées (la mise en relation d’informations éparses). Ces informations sont souvent recueillies par les correspondants du réseau, ou parfois soumises par d’autres sources. Elles doivent être soigneusement analysées par plusieurs personnes pour être sûres de leur validité. Leur remontée doit se faire sous une forme concise, percutante, sans détails inutiles, mais pointant les risques et opportunités du sujet, positionnant l’organisme et questionnant sur les réactions souhaitables.

  • question / réponse : les décideurs peuvent avoir des besoins ponctuels qui vont au-delà de la simple recherche documentaire. Ils recherchent une réponse d’expert, un point sur un sujet faisant l’objet d’un projet en interne (’Où en est-on sur...’), ou encore le niveau de connaissance sur un autre domaine (’Que sait-on de...’). Ils doivent pouvoir s’appuyer sur le réseau, qui lui va se charger de trouver et solliciter les personnes qui sauront répondre rapidement, des experts ou des veilleurs. Les réponses apportées, souvent sous forme de courtes synthèses, pourront bénéficier tant au(x) demandeur(s) qu’à d’autres personnes de l’organisme. Il est donc important de penser à la façon dont elles sont stockées et mise à la disposition d’éventuels lecteurs.

Rôles des acteurs par scénario :

Les différentes catégories d’acteurs concernés sont amenés à être plus ou moins actives suivant les scénarios. Le tableau suivant propose un exemple de description de ces rôles tenus tour à tour par les correspondants, l’équipe animatrice, les veilleurs, les experts, les décideurs et les professionnels de l’information. On notera en particulier que le terme ’gestion’ est très adapté au rôle de l’équipe animatrice.

Scénarios
Acteurs
Veille
technique
Etat de l’art
Alerte Question /
Réponse
Correspondants - animateurs
- fournissent le ciblage
- font le lien avec l’intelligence stratégique
- sélectionnent et partagent l’information
- la soumettent aux experts
- répondent ou trouvent l’expert qui peut répondre
Equipe animatrice - gère l’homogénéité des actions de veille
- propose méthodes et outils
- gère et pilote le processus de remontée - Gère la demande et les réponses
Veilleurs - traquent et collectent
- choisissent les sources et les outils
- peuvent être à la source de l’information - peuvent être sollicités pour la réponse
Experts - à la fois auteurs et demandeurs de synthèses et recommandations - peuvent être à la source de l’information
- analysent, valident
- recommandations
- sollicités pour la réponse
Décideurs - demandeurs de synthèses et de recommandations - principaux destinataires - à l’origine de la demande (ou relais)
Professionnels de l’information - achat, repérage et choix de sources
- techniques de recherche d’information
- dossiers de veille
- gestion des outils et produits
- sollicités pour un complément d’information - fourniture d’une source
- utilisation d’outils spécifiques.

Il n’y a donc pas un seul processus rigide, mais différentes situations de veille et de besoins en intelligence stratégique. Ces scénarios font intervenir des acteurs, des méthodes et des outils propres à leur contexte. Par exemple, une analyse ne peut être le fruit du travail d’une seule personne. Pour éviter les biais et la subjectivité des recommandations, il est préférable de confronter plusieurs avis [BOUC00]. Cependant faire circuler trop longtemps et trop loin l’information ne serait pas non plus une bonne solution. D’où l’importance de l’action de l’animateur qui doit s’assurer de la validité et du respect des délais pour cette analyse.

Dans ces trois cas, on distinguera ce qui est du ressort d’une stratégie ’push’ (poussée), qui laisse l’information venir à nous (par un système d’abonnement par profil par exemple, ou tout simplement pour les besoins de notre travail) de ce qui dépend d’une stratégie ’pull’ (tirée), où l’on active des outils et un réseau pour un besoin précis. Le premier cas est plus utile dans la durée, le second ponctuel [MARC00].

Notes
36.

Il est à noter que dans les centres de R&D, cette dernière situation se rencontre finalement moins souvent qu’on pourrait le penser, car l’on construit surtout sur l’existant, rarement en partant de zéro.