Sectiion 1 Le désengagement progressif de l’Etat sur le marché du crédit

Jusqu’au milieu des années 80, le Maroc a poursuivi une stratégie de développement où l’Etat jouait un rôle central. Officiellement, une des fonctions du secteur financier était de collecter une épargne à faible coût et de l’allouer au gouvernement, aux entreprises publiques et à des secteurs jugés prioritaires. Avec la mise en place du programme d’ajustement structurel en 1983, la libéralisation financière apparaît comme un élément central de la réussite de ce programme. Cette volonté de réduire l’intervention de l’Etat était motivée par l’inefficacité supposée du système financier administré à assurer une croissance durable. En 1990, à la veille de nombreuses réformes financières, trois éléments clés sont à noter.

Premièrement, la structure par termes des crédits était largement en faveur du court terme. En effet, 77% des crédits alloués par les banques (commerciales et institutions financières) sont à court terme, 17% à moyen terme et seulement 5% à long terme3. Ce financement à court terme de l’économie marocaine est vu comme une faible prise de risque de la part des banques alors contrôlées. Pour les consultants d’Ernst & Young (1989), cette préférence pour les crédits à court terme s’explique par les réglementations qui empêchent les banques de fixer une prime de risque suffisante pour pouvoir prêter à des taux à moyen ou long terme. Comme le note pertinemment El Bakkali (1995), c’est le système productif qui joue le rôle de transformation traditionnellement dévolu aux banques. En effet, les entreprises financent des investissements de long terme à partir de ressources bancaires de court terme.

Deuxièmement, comme le constate un rapport de la Banque Mondiale (1994), bien que les archives bancaires indiquent que la plupart des emprunteurs sont généralement surendettés comparés aux directives internationales (ratios d’endettement de 5 ou plus), les données macro-économiques suggèrent que l’économie marocaine dans son ensemble est loin d’être surendettée (le crédit total à l’économie était de 20,5% du PIB en 1990). Ces scénarii mettent en évidence la nécessité d’élargir l’accès au crédit pour les entreprises auxquelles les banques ne prêtent pas. La Banque Mondiale (1994) constate ainsi que la plupart des grandes entreprises bien implantées empruntent trop, par rapport à leur fonds propres, alors que les petites entreprises, en particulier celles nouvellement créées, présentent l’accès au financement bancaire comme un obstacle majeur. Cette concentration des crédits est aussi mise en avant par Darouich, Chiguer et Berrada (1988) qui remarquent ’que l’essentiel des prêts octroyés profite à un nombre limité d’entreprises privées’ (page 55). Ils précisent qu’entre 1974 et 1984, ’11 groupes privés distincts ont bénéficié d’un volume de prêt équivalant à 16,4% du total des crédits d’investissements accordés par la BNDE et les banques commerciales’ (page 58). Cette pratique de BNDE est confirmée par les experts d’Ernst & Young (1989, page 30).

Troisièmement, le coût élevé du capital est souvent relevé4. Il serait dû d’une part aux fortes marges bancaires résultant d’une faible concurrence au sein du système bancaire et d’autre part au fait que les investisseurs exigent une forte rémunération des fonds propres.

Face à ces limites du système financier marocain des réformes s’imposaient. C’est à la fin de l’année 1990 que le Conseil du Crédit et du Marché Financier s’est réuni et a pris comme décision de désencadrer le crédit, de libéraliser la plupart des taux d’intérêts sur les dépôts, de mettre en place une libéralisation progressive des taux sur les crédits et d’éliminer progressivement les emplois obligatoires des fonds par les banques5. Cette période de réformes a été régulière et en 1996, le marché financier marocain était en grande partie libéralisé.

Cette section a pour objectif de décrire les différentes étapes de la libéralisation financière, en s’intéressant plus particulièrement aux politiques du crédit6. Deux types de contrôles du crédit sont distingués: un contrôle quantitatif basé sur l’encadrement du crédit et sur des mesures visant à diriger les crédits alloués par les banques et un contrôle par les prix à partir de l’administration des taux d’intérêts. C’est le démantèlement progressif de ces deux contrôles qui est présenté dans cette section.

Notes
3.

Les données qui figurent dans ce chapitre, dont la source n’est pas explicitement indiquée, proviennent de statistiques obtenues auprès de l’administration des finances. Nous remercions particulièrement Madame Khamlichi pour son aide dans ce travail de collecte.

4.

Davanne et Mourji (1992) ont évalué ce coût dans le cas du Maroc.

5.

Cherkaoui (1992). Les réformes indiquées sans mention de sources proviennent de l’excellent inventaire dirigé par Madame Cherkaoui ou de documents insérés en annexe de l’ouvrage de Berrada (1998).

6.

Voir Jbili, Enders et Treichel (1997) ou le rapport de la Banque Mondiale (1994) pour d’autres aspects.