1.1.1 La politique d’encadrement du crédit

Le débat sur les avantages et limites de l’encadrement du crédit va en défaveur de ses avantages (De Mourgues, 1988). L’avantage principal de l’encadrement est son efficacité quant au contrôle de la masse monétaire. Toutefois, les inconvénients sont très importants: le taux de croissance des encours de crédits ne tient pas vraiment compte des besoins de financement de l’économie; ce système pénalise les banques les plus dynamiques et fige les positions acquises; enfin, en fixant des normes par secteur d’activité, l’encadrement ôte toute initiative au banquier.

Au Maroc, l’encadrement du crédit a été mis en place en 1969. A la veille du désencadrement (janvier 1991), 73% des crédits accordés par les banques commerciales étaient encadrés (Centre Marocain de Conjoncture, 1991). Les crédits non encadrés sont ceux qui sont destinés au financement des activités dont le développement est jugé prioritaire par les pouvoirs publics. Il s’agit en particulier des crédits destinés au financement des exportations et certains crédits à moyen terme (crédits d’équipement). Les crédits libéralisés sont surtout des crédits à court terme (63% des crédits distribués sont des crédits à court terme encadrés). Une autre caractéristique des crédits désencadrés tient à leur rythme d’évolution: le total des crédits a connu un taux de croissance annuel moyen de 11% sur la période 1988 à 1990, alors que sur cette même période, ce taux est de 30% pour les crédits désencadrés.

Ainsi, à la lumière de cette évolution, le Centre Marocain de Conjoncture (1991) prévoyait avec bon sens que ’l’évolution des crédits actuellement soumis à encadrement risque de s’aligner sur celle des crédits hors encadrement, et d’enregistrer une forte progression’ (page 34). En effet, Berrada (1998) note que ’la suppression de l’encadrement du crédit en 1991, s’est traduite par une expansion importante des concours bancaires en 1991 et 1992 [34% et 13% respectivement]’ (page 80). En réaction, Bank Al Maghrib, la banque centrale du Maroc, a relevé le taux de la réserve monétaire de 15% en janvier 1991 à 25% en octobre 1992.

La levée de l’encadrement était également motivée par un essoufflement de l’efficacité de cet instrument. En effet, plusieurs éléments sont à noter:

L’importance des éléments hors bilan des banques correspond à un financement hors encadrement. L’élimination de l’encadrement n’aura qu’un effet de rebilantialisation de ces éléments (Centre Marocain de Conjoncture, 1991). Les chiffres donnent raison à cette prévision: le ratio ’engagements par signature’ sur ’crédits à la clientèle’ est de 108% en 1990, de 75% en 1991 et n’est plus que de 52% en 1995.

Le développement des billets de trésorerie s’est effectué ’à l’ombre’ de l’encadrement du crédit8. En effet, Berrada (1998) constate que ces moyens de financement, ’après avoir augmenté fortement en période d’encadrement en passant de 840 millions de dirhams en 1986 à 6139 millions de dirhams en 1990, ont diminué très sensiblement depuis’. En 1995 ils ne dépassaient pas les 62 millions de dirhams !

La majorité des crédits touchés par la libéralisation sont des crédits de trésorerie qui concernent le financement de l’exploitation courante des entreprises (les crédits de long terme ne représentent que 5% des crédits distribués fin 1990).

Enfin, on peut ajouter que les banques devaient allouer des crédits non encadrés en place de crédits encadrés. En effet, on constate à partir des données du tableau 1 que certains crédits de court terme encadrés (créances nées et préfinancement à l’exportation) ont connu une baisse de leur niveau, en effet, les banques peuvent désormais allouer du crédit à leur guise, et n’ont plus besoin de contourner les règles.

Tableau 1. Evolution des crédits distribués par les banques
1988 1989 1990 1991 1992
Court terme 8,8% 8,1% 9,3% 37,0% 10,8%
Dont Créances nées 16,5% 21,6% 25,6% -16,2% -12,4%
Préf à l’exp 9,1% 25,4% 13,8% -0,5% -14,9%
Autres crédits 7,8% 5,0% 6,3% 50,8% 14,9%
Moyen terme 36,2% 36,8% 40,0% 27,4% 20,9%
Long terme 13,6% 19,4% 22,7% 24,2% 20,2%
Total 11,6% 12,0% 14,3% 34,7% 12,9%
[Note: Source: Bank Al Maghrib, Rapports Annuels, divers numéros]

Dès 1991, le mode de régulation est un contrôle indirect à partir des réserves monétaires ainsi que la politique d’open market. Cette politique a montré son efficacité à la suite de l’emballement du crédit en 1991: 34% à cette date et 6,5% fin 1993.

Notes
8.

Pour Madame Zizi, Chef du Service des Banques au Ministère des Finances, la création du marché de billets de trésorerie en 1986 était justement destinée à limiter l’effet de l’encadrement du crédit (Zizi, 1990).