2.1 Le système bancaire marocain: un cartel

A la veille de l’indépendance (1956), le Maroc comptait 69 établissements bancaires (Berrada, 1998). Aujourd’hui, le système bancaire comprend 19 banques sujettes à la loi bancaire de 1993, dont trois organismes financiers spécialisés (CIH, CNCA et BNDE).

Le système bancaire marocain est concentré: les cinq plus grosses banques ont environ 65% des actifs (dans l’ordre décroissant: CPM, BCM, BMCE, CIH et CNCA). Ce taux est de 45% en France et 27% en Allemagne (IMF, 1998). Le tableau 3 montre que cette concentration se retrouve en terme de dépôts et de crédits alloués.

Il s’agit des mêmes banques pour les cinq premières en termes de crédit, en revanche, en termes de dépôts, les deux banques spécialisées (CNCA et CIH) laissent la place à la Wafabank et à la SGMB.

Tableau 3. Concentration des banques marocaines en 1996
Rang Bilan Dépôts Crédits
La plus grande 22% 25% 15%
Les cinq plus grandes 65% 67% 63%
Les dix plus grandes 93% 94% 93%
Total (milliards de dirhams) 251 154 138
[Note: Source: GPBM, 1997]

Les effets bénéfiques de la déréglementation bancaire devaient provenir en partie du développement de la concurrence entre les banques. Toutefois, au Maroc, la situation d’oligopole du système bancaire s’est affirmée. En effet, Fry (1995) cite le cas du Maroc comme un ’exemple type’ (page 304) d’un manque de concurrence au sein du secteur bancaire. Cette situation était prévisible d’après Alaoui (1992): ’la libéralisation du système financier marocain pourrait se traduire par une formation des ententes bancaires qui entraîneraient des hausses de taux d’intérêt’ (page 356).

Jaïdi et Zaïm (1996) notent que quelques années après la promulgation de la nouvelle loi bancaire, la concurrence entre banques sur les taux d’intérêts débiteurs n’est pas effective. En fait, tout se passe comme si les banques ’concoctaient’, à travers leur groupement un taux d’intérêt débiteur ’officieux’ uniforme, le GPBM fonctionnant comme un véritable cartel de banques ’organisant la concurrence’. Le constat de Jaïdi et Zaïm (1996) est sans appel: ’les taux d’intérêt ont rarement été aussi rigides que depuis qu’ils ont été libéralisés’, et d’ajouter ’les profits des banques de dépôts marocaines par rapport aux fonds propres sont nettement plus élevés que dans les pays de l’OCDE [...]. La marge entre le taux de rémunération des dépôts et celui des crédits est souvent abusive’. Ce constat est corroboré par le FMI (1998a) qui estime que les marges sont effectivement élevées, vu que le taux d’intérêt moyen sur les crédits est de 10%, comparé au taux moyen appliqué aux dépôts qui est de 4% (chiffres de 1996). Pour le FMI (1998a), cela reflète certainement une faible concurrence entre les banques16.

Pour la Banque Mondiale également, ce coût élevé du crédit est dû à une insuffisante concurrence au sein du secteur financier. En effet, le Groupement Professionnel des Banques Marocaines (GPBM) semble jouer le rôle d’un forum du cartel bancaire (World Bank, 1998).

Peut-être doit-on suivre Henry (1996) lorsqu’il indique que la libéralisation financière a été graduelle davantage pour donner le temps au makhzen17 de consolider ses positions que pour des raisons de bonne gouvernance financière. En effet, le makhzen a acquis en 1980 l’Omnium Nord Africain18. Ce holding financier est très important au Maroc; son chiffre d’affaire compte pour près de 5,5% du PNB marocain (Henry, 1996). En 1988, ce holding a ajouté à son portefeuille le contrôle de l’une des banques les plus importantes au Maroc. En effet, ’ l’ONA a racheté au CIC français 25% des parts qu’il détenait dans le capital de la BCM; en décembre 1991, la BCM a absorbé la Société de Banque et de Crédit; en mai 1992, l’ONA a acheté les parts de Paribas et Worms dans le capital de la SMDC’ (Jaïdi, 1994, page 16). L’importance de l’implantation de la bourgeoisie de Fès19 dans le secteur bancaire est aussi relevée par Tangeaoui (1993) qui en fait une énumération quasi exhaustive: BMCE, Citybank Maghreb, UMB, Arab Bank, BCP, SBC, Wafabank (page 141).

Parallèlement à cette situation de monopole des banques, et peut-être en conséquence, le marché bancaire est caractérisé par l’importance du financement de l’Etat et des grandes entreprises.

Notes
16.

Cette faible concurrence est aussi sauvegardée. En effet, les banques commerciales font parti du Comité des Etablissements de Crédit (CEC). Or, c’est cet organisme qui accepte ou refuse l’entrée ou la liquidation des banques (en accord avec Bank Al Maghrib et le Ministre des Finances).

17.

Le pouvoir central au Maroc. Voir El Yaâgoubi (1999) pour une définition critique de ce concept.

18.

Fouad Filali, gendre de feu Hassan II, dirige cet holding financier depuis 1986 (Hennion, 1996).

19.

Voir Berrada et Saïd Saadi (1992) pour le rôle joué par la bourgeoisie ’fassie’ au Maroc.