Chapitre 1 : Efficacité et progrès technologique dans la productivité des banques

Introduction

Au Maroc, comme dans de nombreux pays en développement dans les années 80, la crise de l’endettement externe a montré l’importance d’un système financier capable de mobiliser au mieux des ressources internes en vue de financer le développement économique. L’importance du rôle des banques dans le financement de l’économie marocaine nous a incité à concentrer notre analyse sur le système bancaire. Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre précédent, les réformes du marché des capitaux marocain se sont intensifiées dès le début des années quatre-vingt-dix, avec en particulier, le désencadrement du crédit, l’assouplissement progressif des emplois obligatoires des banques, la libéralisation des taux créditeurs et débiteurs et enfin la nouvelle loi bancaire de mars 1993. Toutes ces mesures ont radicalement transformé l’environnement des banques marocaines : la concurrence pour l’obtention de fonds et l’octroi de crédits peut en théorie se développer, si ce n’est le comportement oligopolistique des banques marocaines. De même, la possibilité donnée aux banques étrangères de s’installer sur le marché de l’activité bancaire peut augmenter la contestabilité de ce marché.

La mise en place de ces réformes permettant un développement du marché financier a été entraînée par un courant de pensée dominant relayé par les institutions de Bretton Woods (Banque Mondiale, 1989). En effet, pour McKinnon (1973), l’essor des marchés financiers et l’approfondissement de l’intermédiation favorisent le développement économique. L’offre d’épargne, sous forme de dépôts bancaires, croît avec sa rémunération, le taux d’intérêt. Shaw (1973) considère également que la hausse du taux d’intérêt conduit à celle des dépôts et par conséquent à un accroissement de la capacité de crédit des banques. Ces deux auteurs préconisent la libéralisation financière des systèmes bancaires réprimés, libéralisation qui doit conduire à une hausse de l’épargne et à une utilisation plus efficace des ressources disponibles pour l’investissement. Fry (1995) présente les nombreux travaux théoriques et empiriques analysant les relations entre développement de la sphère financière et croissance économique. L’effet de l’expansion d’un secteur financier sur le développement économique est souvent analysé à travers le lien entre l’épargne et l’investissement. Toutefois, l’activité d’intermédiation est rarement prise en compte de manière spécifique.

L’efficacité de l’intermédiation est cependant un élément déterminant de la réussite des libéralisations financières. Aussi, convient-il dans ce chapitre de s’intéresser à l’impact des réformes financières sur le comportement spécifique des banques et notamment de se concentrer sur l’évolution de leur efficacité et de leur productivité. En effet, bien que la correction des distorsions des niveaux des taux d’intérêt soit supposée réduire les problèmes d’inefficacité de l’allocation des fonds prétables, Plane (1997) indique, dans l’introduction d’un numéro de la Revue d’Economie du Développement consacré au thème des liens entre efficience technique et développement, que ’dans un monde où une part significative des activités est intermédiée par des organisations, un bon fonctionnement de l’économie implique de relayer les marchés par des organisations efficaces, capables de susciter l’innovation et, bien sûr, de mobiliser les quantités minimales de facteurs pour la réalisation d’une quantité donnée de production’ (page 3). Ainsi, comme les banques sont les institutions principales du processus de financement de l’économie marocaine, l’analyse de l’impact des réformes financières sur leur efficacité est une étape incontournable de l’étude du financement des entreprises manufacturières marocaines. D’autre part, comme l’indiquent Lesueur et Plane (1997), ’dans un contexte où la libéralisation des économies a élargi le champ et les manifestations de la concurrence, les firmes [bancaires] sont de plus en plus soumises à une exigence d’amélioration de leur comportement productif’ (page 27).

Dans une première section, ce chapitre commence par présenter deux modèles de comportement de la banque à partir desquelles nous tentons de déterminer les effets attendus des politiques de libéralisation financière sur l’efficacité des banques. Le premier modèle retient l’hypothèse d’un comportement de gestion de portefeuille de la part des banques. Il montre que les effets sur le niveau d’allocation de crédits et le niveau de la prise de risque dépendent de la situation initiale de la banque et du type de mesures mises en place (désencadrement du crédit, règles prudentielles, etc.). Le second modèle, connu sous le nom de modèle de Monti-Klein s’inscrit dans le cadre de l’approche industrielle de la banque. Nous analysons à partir de ce modèle l’impact de la libéralisation des taux d’intérêt débiteurs sur la productivité des banques, approchée par le ratio crédits sur dépôts. Les conclusions là encore ne sont pas univoques et dépendent de l’hypothèse faite sur la nature des économies d’envergure.

Cette analyse théorique n’aboutissant pas à une conclusion nette, nous proposons, dans la deuxième section, l’utilisation de la méthode d’enveloppement des données qui permet de mesurer l’évolution de la performance des banques. Cette méthode permet en particulier de distinguer dans l’évolution de leur productivité la part provenant du progrès technologique et celle résultant de l’amélioration de leur efficacité technique. Cette seconde section présente ces différents concepts et les méthodes permettant de les estimer. La performance des banques est en effet appréhendée par le concept d’efficience, i.e. l’habileté à transformer des ressources multiples en services financiers divers (voir Lesueur et Plane (1997) pour une discussion du concept d’efficience technique). L’utilisation de la méthode d’enveloppement des données (Charnes, Cooper, Lewin et Seiford, 1995) pour le calcul des efficacités techniques des banques permet de prendre en compte de manière adéquate cette situation d’inputs et d’outputs multiples et de considérer autant l’évolution de la productivité du secteur dans son ensemble, que les niveaux d’efficacité. La décomposition de la productivité des banques en ses composantes efficacité technique et progrès technologique est rendue possible par l’utilisation de l’indice de Malmquist.

Après avoir présenté les concepts et méthodes permettant d’appréhender la productivité et l’efficacité des banques, la troisième section insiste sur la spécificité de la production bancaire et présente certains des travaux appliqués à l’étude de l’efficacité des banques en période de déréglementation bancaire. Enfin, la quatrième section présente les résultats de l’estimation de la productivité et de l’efficacité des banques commerciales marocaines sur la période récente de libéralisation financière. Il ressort de cette analyse que l’évolution de la productivité des banques marocaines est expliquée en grande partie par les mouvements de la technologie et de l’environnement macro-économique, bien plus que par une amélioration de l’efficacité technique.