3.2.1 Les pays industrialisés

Les études de Devaney et Weber (1996) et Wheelock et Wilson (1999) sont appliquées au cas des Etats-Unis d’Amérique. Le secteur des banques rurales américaines a connu d’importantes transformations au début des années 90: des mouvements de concentration mais aussi des déréglementations concernant les barrières à l’entrée et l’activité des banques fédérales. Devaney et Weber (1996) analysent l’évolution de la productivité des banques rurales au cours de cette période (1990-93). Ils estiment la croissance de la productivité sur ces trois ans à 11,5%, soit approximativement 3,6% en moyenne annuelle. Le déplacement de la frontière de production sensée représenter l’effet du progrès technologique explique pour une grande part la croissance de la productivité totale. En effet, l’efficacité technique des banques rurales américaines a baissé au cours de cette période. La rapide évolution de la technologie permet d’expliquer l’amélioration de la productivité des banques. Le tableau 11, tiré de l’étude de Devaney et Weber, montre que ces résultats sont comparables quelle que soit la méthode utilisée (approche de la production ou de l’intermédiation).

Tableau 11. Evolution de la productivité des banques rurales américaines: 1990-93
Approche de la production (%) Approche de l’intermédiation (%)
Productivité 1,115 1,182
Efficacité technique 0,914 0,941
Technologie 1,219 1,257
[Note: Source: Devaney et Weber (1996)]

En retenant l’hypothèse de l’intermédiation, Wheelock et Wilson (1999) estiment que la productivité de l’ensemble des banques américaines s’est dégradée d’environ 15% sur la période 1984-1993. Les banques de petite taille (moins de 300 millions de dollars d’actifs) sont celles qui ont connu la plus forte baisse de la productivité, cette baisse a été surtout concentrée sur la période 1984-89. Ces résultats sont conformes à ceux de Berger et Mester (1997) et peuvent être expliqués, selon ces auteurs, par la hausse des coûts associés à une meilleure qualité des services proposés et entraînés par l’adoption de nouvelles technologies. Les sources de cette baisse de la productivité sont à rechercher dans la forte dégradation de l’efficacité technique des banques. En effet, la hausse de la composante progrès technologique, amélioration de 30 à 40% sur la période 1989-93, a été plus que compensée par la baisse de l’efficacité technique des banques. Il semble que les banques n’ont pas pu s’adapter rapidement à l’évolution de la technologie, aux réglementations et aux conditions de la concurrence.

Ces résultats de dégradation de la productivité des banques américaines, ou de faible croissance, ont été confirmés par des études utilisant des approches paramétriques. L’estimation de fonction de coût ou de profit, permet aussi de décomposer un indice de productivité en ses composantes efficacité technique et progrès technologique.

Bauer, Berger et Humphrey (1993) estiment une fonction de coût à partir d’un panel de 683 banques américaines pour analyser la croissance de la productivité totale. Ils estiment une croissance annuelle moyenne comprise entre 0,16% à 2,28%, en fonction de la méthode d’estimation utilisée (approche stochastique ou frontière épaisse). La faible croissance de la productivité est attribuée à des fonds plus coûteux dus à de forts taux de marché, à l’élimination du plafonnement des taux sur les dépôts, et à l’augmentation de la concurrence provenant des intermédiaires financiers non bancaires (qui a augmenté la demande de fonds et a réduit l’offre de dépôts). Au lieu de compenser cette hausse des prix des inputs en fermant des agences ou en les remplaçant par des guichets automatiques, les banques ont été obligées de fournir de meilleurs services en raison de la concurrence accrue. Ainsi, en plus de payer de plus forts taux sur les dépôts, les banques ont augmenté le nombre de leurs agences au cours des années 80 et ont mis en place des distributeurs de billets plus innovants.

Humphrey (1993) utilise les mêmes données sur la période 1977 à 1988 et constate un déclin de la productivité de 0,8% à 1,4% par an qu’il attribue à la déréglementation des taux sur les dépôts. Comme fondement à cette hypothèse, ses résultats indiquent que pendant la période pré-régulation (1977-80), la productivité a augmenté, tandis que durant la dérégulation (1981-82), la productivité a baissé substantiellement, et pendant la période post déréglementation (1983-88), il y a eu peu de changements. Humphrey et Pulley (1997) et Elyasiani et Mehdian (1995) trouvent des résultats similaires.

Cette évolution de la productivité semble aussi être la situation des banques australiennes. En effet, Worthington (1999) montre que ces banques ont connu une baisse de 2,14% de leur productivité sur la période 1993/94 à 1996/97. Cette période est caractérisée par des déréglementations financières. Toutefois, les sources de cette baisse de la productivité sont à chercher du côté d’une dégradation de la technologie de l’ordre de 1,95%; le niveau d’efficacité des banques étant resté quasi constant sur cette période (baisse de 0,0023%). Toutefois, Worthington (1999) précise que ces résultats sont variables en fonction de la taille des banques.

Au Japon, la productivité des banques prises dans leur ensemble a augmenté entre 1989 et 1991. Fukuyama (1995) estime que cette hausse est surtout le résultat d’un progrès technologique important sur la période 1989-90. Entre 1990 et 1991, la productivité totale a faiblement augmenté. L’auteur obtient également des résultats différenciés en fonction du type de banques. Contrairement à Worthington (1999) il ne les distingue pas par leur taille mais par leur type d’organisation (trusts, urbaines, rurales, d’affaires). Les banques régionales sont celles qui ont connu la plus forte hausse de la productivité entre 1989 et 1990 (36%), sur la seconde période (1990-91) ce sont les banques d’affaire.

Berg, Forsund et Jansen (1992) utilisent également la méthode d’enveloppement des données pour analyser l’évolution de la productivité et de l’efficacité des banques norvégiennes au cours de la période de déréglementation (1980-1989). Ils trouvent qu’en moyenne, il y a eu peu de croissance de la productivité sur l’ensemble de cette période. Mais cette période n’est pas homogène, les principales réformes ayant eu lieu en 1984. En fait, ils constatent une baisse du niveau de la productivité moyenne des banques sur la période pré-déréglementation, puis une forte croissance par la suite. La croissance de la productivité a été plus rapide pour les grandes banques, capables de faire face à la concurrence internationale qui s’est faite plus vive. Ils montrent que les niveaux d’efficacité des banques se sont homogénéisés. Ce dernier résultat serait la conséquence de l’augmentation de la concurrence à la suite de la réglementation.

Les banques d’épargne espagnoles ont subi une baisse de leur productivité à la suite de la déréglementation du système financier des années 80. Grifell-Tatjé et Lovell (1996) montrent que cette baisse est de l’ordre de 3,4% à 5,5% en fonction de la période de référence utilisée pour estimer l’indice de productivité de Malmquist. Ces résultats concernent la quasi totalité des banques d’épargne espagnoles (environ soixante dix) sur la période 1986-1991. Sur trois des cinq années et en moyenne sur la période, l’efficacité des banques s’est améliorée. La baisse de la productivité est due au déplacement de la frontière: il y a eu un déclin de la technologie de l’ordre de 5 à 7% par an en moyenne.

Pour analyser l’évolution de la productivité et de l’efficacité de ces mêmes banques espagnoles, Lozano-Vivas (1998) utilise la méthode de la frontière épaisse. L’auteure estime à 40% la part des coûts opératoires sur les coûts totaux des banques espagnoles. Or, dans l’étude de Grifell-Tatjé et Lovell (1996), seuls ces coûts non financiers sont inclus en tant qu’inputs aux côtés du facteur travail (nombre d’employés). Pour sa part, Lozano-Vivas (1998) prend en compte les coûts totaux (coûts financiers et coûts non financiers) pour estimer l’efficacité des banques d’épargne espagnoles ainsi que des banques commerciales. Elle montre que la déréglementation a entraîné une baisse de l’efficacité des banques commerciales et pas d’amélioration pour les banques d’épargne. Comme dans l’étude de Grifell-Tatjé et Lovell (1996), les banques d’épargne ont fait face à une dégradation de la technologie, cette baisse est estimée à 2,7% en moyenne par an.