3.2.2 Les pays en développement

Parmi les 130 études citées par Berger et Humphrey (1997), sept concernent les pays en développement, et deux seulement, celle de Bhattachryya, Lovell et Sahay (1997) pour l’Inde et Zaim (1995) pour la Turquie, étudient l’évolution de la performance à la suite des réformes du marché des capitaux. Plus récemment, trois études ont analysé l’évolution de l’efficacité dans le temps: Cook, Hababou et Roberts (2000) pour la Tunisie, Chaffai et Dietsch (1998) dans le cas du Maroc et de la Tunisie et Leightner et Lovell (1998) pour la Thaïlande.

Les problématiques abordées sont quelque peu différentes de celles des pays industrialisés. En particulier, les questions de l’efficacité comparée des banques privées et publiques et le rôle des banques étrangères sont souvent posées.

Bhattachryya, Lovell et Sahay (1997) analysent l’efficacité de soixante dix banques commerciales indiennes sur le début de la période de libéralisation financière (1986-91). Ils utilisent la méthode d’enveloppement des données pour construire une frontière et pour calculer les efficiences techniques et analyser les rendements d’échelle des banques commerciales. Ils différencient l’impact de la dérégulation en fonction du type de banques. Ils trouvent que les banques publiques ont été plus efficaces que les banques privées dans l’utilisation des ressources à leur disposition pour fournir des services aux clients. Les banques publiques ont même connu une baisse de leur efficacité dans le temps, tandis que les banques étrangères ont enregistré une hausse de leur efficacité. Les banques privées nationales ne semblent pas avoir rencontré de changement dans le niveau de leur efficacité.

Leightner et Lovell (1998) trouvent également, dans le cas de la Thaïlande, que l’efficacité des banques étrangères s’est améliorée à la suite des réformes du marché des capitaux mises en place dans ce pays. Ce résultat semble robuste puisque la conclusion est la même, que les scores d’efficacité soient calculés en référence aux objectifs privés de la banque ou aux objectifs de la banque centrale. En effet, comme nous l’avons précisé ci-dessus, ces auteurs considèrent que les banques commerciales et la banque centrale n’ont pas les mêmes objectifs: les banques commerciales maximisent leurs profits, la banque centrale tente d’améliorer la croissance économique. Lorsqu’ils calculent l’efficacité des banques en supposant qu’elles suivent un objectif privé, les grandes banques et les banques étrangères voient leur productivité augmenter. Ils expliquent ces résultats par la facilité d’adaptation des grandes banques et des banques étrangères face aux nouvelles situations de marché. En effet, à cette période, ces deux types de banques avaient des experts connaissant bien les avantages possibles de la libéralisation financière, et particulièrement de l’ouverture à l’extérieur. En revanche, lorsqu’ils calculent l’évolution de la productivité des banques thaïlandaises en accord avec des objectifs de la banque centrale, ils montrent que les banques étrangères ont connu une augmentation de leur productivité tandis que les banques domestiques ont enregistré une baisse de leur productivité.

Contrairement aux résultats à partir des objectifs de la banque centrale, les résultats se basant sur les objectifs des banques commerciales indiquent que la libéralisation financière a fortement amélioré la productivité des banques thaïlandaises. Selon ces auteurs, quatre facteurs ont contribué à ce résultat: (1) la Thaïlande a libéralisé son système financier au moment où la croissance économique était forte, facilitant les possibilités d’adaptation, (2) le système financier était oligopolistique au début de la libéralisation, ce qui a constitué un cadre relativement protégé pour les banques thaïlandaises leur permettant de s’adapter avant que l’augmentation de la concurrence ne fasse baisser leurs profits, (3) beaucoup de banques thaïlandaises détenaient (ou pouvaient facilement acquérir) l’expertise internationale nécessaire pour bien profiter de la libéralisation concomitante du marché international des capitaux, (4) la plupart des banques étrangères disposaient de l’expertise internationale nécessaire. Toutefois, tous ces résultats n’ont pas pris en compte la bulle spéculative de mars 1997.

Zaim (1995) constate que les réformes financières semblent avoir réussi à entraîner les banques commerciales à mettre en place des mesures améliorant autant leur efficacité technique qu’allocative. En effet, le nombre de banques ’efficaces’ a augmenté entre 1981 et 1990. Les banques ont grandement amélioré leur échelle de production entre ces deux dates. Comme Bhattachryya, Lovell et Sahay (1997) dans le cas de l’Inde, ils trouvent que les banques publiques turques sont plus efficaces que les banques privées.

Chaffai et Dietsch (1998) montrent que les banques commerciales sont plus efficaces que les banques de développement en Tunisie. En revanche, ces deux types de banques ont suivi une évolution similaire du niveau de leur efficacité technique sur la période 1989-1993: une baisse de l’efficacité entre 1989 et 1993 puis une augmentation en fin de période (1994-1995). Ils concluent donc qu’il n’y a pas de tendance nette de l’évolution de l’efficacité sur cette période, mais des fluctuations à la hausse et à la baisse. Ils estiment que ce résultat n’est pas surprenant étant donnée l’absence de concurrence au sein du secteur bancaire. Malgré les réformes financières entreprises, les banques ne sont pas incitées à améliorer leur efficacité technique.

Toujours dans le cas de la Tunisie, Cook, Hababou et Roberts (2000) trouvent des résultats identiques à partir de la méthode d’enveloppement des données. La période d’étude est plus récente (1992 à 1998), mais la conclusion est la même: l’efficacité des banques commerciales tunisienne est fluctuante.

L’estimation d’une fonction de coût a permis à Chaffai et Dietsch (1998) d’observer une amélioration de l’efficacité technique des banques marocaines sur la période 1990-1995. Cette croissance est de l’ordre de 7%. Ce résultat suggère que les banques commerciales marocaines, contrairement aux banques tunisiennes, ont réalisé des efforts pour améliorer leur efficacité.

Les travaux réalisés analysant les effets de la déréglementation sur l’efficience des banques mettent en évidence des résultats ambigus (le tableau 12 classe les études citées concernant les pays en développement en fonction de l’effet global sur la performance des banques). Les banques norvégiennes ont connu une augmentation de leur efficience et de leur productivité après la dérégulation (Berg, Forsund et Jansen, 1992), il en est de même pour les banques turques (Zaim, 1995) et les banques marocaines (Chaffai et Dietsch, 1998). Au contraire, l’efficience bancaire aux USA est restée relativement stable après la dérégulation des années 80 (Bauer, Berger et Humphrey, 1993 ; Elyasiani et Mehdian, 1995). Aux USA encore, la dérégulation des taux a entraîné les banques dans un jeu compétitif les incitant à payer de forts taux d’intérêt aux dépôts. Cela ne s’est pas accompagné d’une réduction correspondante des services bancaires ni d’une hausse immédiate du niveau des dépôts. Ainsi, les bénéfices de productivité qui auraient pu être destinés à la banque ont profité aux déposants, entraînant donc une baisse de la productivité bancaire (Humphrey, 1993 ; Humphrey et Pulley, 1997 ; Wheelock et Wilson, 1999). L’Espagne a connu des résultats similaires à ceux des USA (Grifell-Tatjé et Lovell, 1996). Enfin, pour l’Inde, l’étude de Bhattacharrya, Lovell et Sahay (1997) différencie l’impact de la dérégulation en fonction du type de banques. Ils montrent en effet que l’efficacité s’est améliorée pour les banques étrangères, ne s’est pas modifiée pour les banques privées nationales et a diminué pour les banques publiques. Il semble donc que les conséquences de la dérégulation diffèrent selon les pays, les types de banques et les méthodes utilisées.

Tableau 12 Impact de la déréglementation sur la performance des banques dans les pays en développement
Effet global sur la performance Auteur(e,s) Méthode Estimations Pays Type de banques (nombre) Période
Baisse Bhattacharyya et al. (1997) MEDa Effi technique
Effi d’échelle
Inde Publiques (28) 1986-91
Leightner et Lovell (1998) MED Banque centrale PTFb Thaïlande Domestiques (16) 1992-94
Stabilité Bhattacharyya et al. (1997) MED Effi technique
Effi d’échelle
Inde Privées (21) 1986-91
Chaffai et Dietsch, 1998 FPSc coût Effi technique Tunisie Commerciales (9) et
de développement (6)
1986-95
Cook et al. (2000) MED Effi technique Tunisie Publiques et privées (10) 1992-98
Augmentation Bhattacharyya et al. (1997) MED Effi technique
Effi d’échelle
Inde Etrangères (20) 1986-91
Chaffai et Dietsch (1998) FPS coût Effi technique Maroc Commerciales (7) 1990-95
Leightner et Lovell (1998) MED Banque centrale PTF Thaïlande Etrangères (15) 1992-94
Leightner et Lovell (1998) MED Objectif privé PTF Thaïlande Domestique (16) et étrangères (15) 1990-94
Zaim (1995) MED Effi technique
Effi allocative
Effi d’échelle
Turquie Commerciales (42 en 1981 et 56 en 1990) 1981 et 90
[Note: Notes: a MED: méthode d’enveloppement des données - b PTF: productivité totale des facteurs - c FPS: frontière paramétrique stochastique]