Chapitre 2 Désengagement de l’Etat et allocation du crédit

Introduction

Jusque dans les années 80, le Maroc a poursuivi une stratégie de développement auto-centrée, mettant l’accent sur le rôle clé du secteur public comme moteur dans la croissance économique. Cet objectif devait en partie être assumé par une allocation administrée des fonds prétables. Cette stratégie a entraîné la création d’organismes financiers spécialisés, qui se justifiait par les crédits à moyen et long terme qu’ils devaient accorder dans des conditions favorables au secteur de l’industrie (Banque Nationale pour le développement Economique), de l’agriculture (Caisse Nationale de Crédit Agricole), de l’immobilier et de l’hôtellerie (Crédit Immobilier et Hôtelier).

Les banques commerciales n’étaient pas laissées de côté: elles devaient également participer au financement des secteurs jugés prioritaires par les pouvoirs publics. Ainsi, les autorités monétaires intervenaient activement pour favoriser le financement de certains secteurs économiques par des mesures incitatives (exemptions aux restrictions et limitations de crédits en période d’encadrement, taux de refinancements intéressants, etc.) et/ou contraignantes (crédits imposés aux banques, financements spécifiques de certaines activités par le truchement des emplois obligatoires, etc.). Ces mesures ont entraîné une forte segmentation du système bancaire avec une concurrence limitée entre banques.

Les effets négatifs de ce type de mécanismes d’allocation ont été largement reconnus. MacKinnon (1973), Shaw (1973) et Fry (1982, 1995) sont les auteurs les plus cités lorsqu’il s’agit de discuter des effets négatifs de ce qui est appelé la répression financière. Selon ces auteurs, les subventions implicites ou explicites et le contrôle de l’allocation du crédit par les pouvoirs publics ne peut que désinciter les banques à sélectionner et superviser les emprunteurs potentiels. De plus, ce sont les grandes entreprises ou celles ayant des liens privilégiés avec le pouvoir politique qui profitent le plus des programmes de crédit subventionné ou accordé de façon administrative. Et ainsi, le démantèlement de ces interventions bureaucratiques ne peut qu’améliorer l’efficience de l’allocation du crédit: les banques vont financer les entreprises les plus efficaces. Nous ne reviendrons pas sur les limites de telles analyses. Il suffit de préciser qu’elles se fondent sur une hypothèse de perfection du marché des capitaux pour en signaler les insuffisances. L’absence d’asymétrie d’information supposée entre le banquier et l’emprunteur est une restriction importante.

Nous nous intéresserons plutôt à la littérature posant la banque en situation d’imperfection d’information avec son client (Stiglitz et Weiss, 1981). Nous verrons ainsi que dans cette situation, les banques ne financent pas systématiquement les entreprises qui sont les plus performantes mais plutôt celles qui auront le plus de chance de pouvoir rembourser. Ce sera donc plutôt les grandes entreprises (Bester, 1985) ou encore celles ayant des liens privilégiés avec la banque (Mishkin, 1992), et pourquoi pas avec les pouvoirs publics ! Nous verrons alors que le débat théorique sur les bienfaits de l’intervention des pouvoirs publics sur le marché des capitaux est plus nuancé dans ces conclusions (Mankiw, 1986, Gale, 1991 et Williamson, 1994). Cette discussion théorique fait l’objet de la première section du chapitre.

Pour analyser si l’allocation du crédit s’est améliorée suite à la libéralisation financière, il faudrait voir si ce sont les entreprises les plus efficaces qui ont profité d’une augmentation des crédits à l’investissement. Nous verrons que la distinction entre efficacité et profitabilité est importante. En effet, l’allocation du capital est efficiente si les marchés financiers mobilisent l’épargne et l’orientent vers les usages qui ont la rentabilité sociale la plus élevée (Aglietta, 1995).

Jaramillo, Schiantarelli et Weiss (1992) ou encore Borensztein et Lee (1999) analysent l’impact de la libéralisation financière sur l’efficience de l’allocation du crédit en Equateur et en Corée du Sud respectivement. Leur test est construit à partir d’une régression de la variation du crédit octroyé aux entreprises sur des variables explicatives appréhendant le comportement de la banque et prenant en compte l’effet de l’action des pouvoirs publics. C’est la démarche adoptée dans la seconde section de ce chapitre. A partir des données de 600 entreprises des industries de transformation au Maroc, observées sur la période 1987 à 1996, nous analysons les changements dans l’efficience de la distribution des crédits. La question posée est de savoir si, plus que par le passé, les entreprises ont un accès au crédit en fonction de leur performance. Pour cela, nous comparons les résultats obtenus sur deux périodes distinctes, une période pré-libéralisation et une période post-libéralisation.