1.3 Libéralisation financière et allocation du crédit dans les pays en développement

La libéralisation financière améliore-t-elle l’efficacité de l’allocation du crédit aux entreprises? Plusieurs auteurs ont tenté de répondre à cette question pour le cas de pays en développement.

Cho (1988) utilise une approche méso-économique pour étudier si la libéralisation financière a amélioré l’efficience de l’allocation du crédit. Sa démarche vise à comparer le rendement marginal de l’investissement entre les différents secteurs industriels en Corée. S’il existe une forte différence sectorielle, cela montre la présence de différents segments du marché des crédits, ce qui permet de conclure à une mauvaise allocation du crédit. Il montre que dans le cas de la Corée, la différence du coût moyen des emprunts entre les différents secteurs a diminué à la suite des déréglementations financières. Cette différence est passée de 43% en 1972 à 6% en 1984. Il conclut donc à l’amélioration de l’efficience de l’allocation du crédit. Cette approche comporte des limites car elle ne prend pas en compte le risque ni les coûts de transaction.

A partir d’un échantillon de 850 entreprises manufacturières équatoriennes, sur la période 1983 à 1988, Jaramillo, Schiantarelli et Weiss (1992) étudient l’impact de la libéralisation financière sur l’efficience de l’allocation du crédit. Leur test est construit à partir d’une régression de la variation du crédit sur des variables d’efficacité et d’autres caractéristiques d’entreprise. La variable dépendante de la régression est message URL FORM61.gif est la variation moyenne du niveau d’endettement rapporté au stock de capital pour chaque entreprise, post, et pre indiquent que la variable est calculée sur la période post libéralisation et avant libéralisation, respectivement. A côté de la variable d’efficacité, la liste des variables explicatives comprend des variables de taille, d’âge, de secteur et d’exportation. Les trois mesures d’efficacité technique utilisées40 ont un effet positif sur la variation de l’allocation du crédit, et deux de ces mesures ont un coefficient estimé significativement différent de zéro: à la suite de la libéralisation financière, le crédit a été alloué à des entreprises plus efficaces.

Harris, Schiantarelli et Siregar (1994) utilisent un panel d’entreprises indonésiennes qui ne comporte pas moins de 2970 établissements de 1981 à 1988. L’analyse des modifications de l’allocation du crédit, à la suite de la libéralisation financière, en fonction des caractéristiques des entreprises est effectuée à partir de statistiques descriptives. Les entreprises de l’échantillon sont classées en fonction de leur taille, de leur appartenance ou non à un conglomérat et à la destination de leur production (exportation ou non). Ils comparent le niveau des dettes totales, des nouvelles dettes, de la valeur ajoutée durant la période précédant les réformes (1981-1984) et durant la période post libéralisation (1985-1988), en liaison avec les caractéristiques précitées des entreprises. Ils montrent que la libéralisation financière a permis aux petites entreprises d’augmenter leur endettement, en particulier domestique.

Borensztein et Lee (1999) analysent l’évolution de l’allocation du crédit en Corée du Sud sur la période 1969 à 1996, à partir d’un panel comportant des données sur 32 secteurs manufacturiers. Selon ces auteurs, l’importance de l’intervention de l’Etat sur le marché du crédit est caractérisée par une forte allocation du crédit à des secteurs jugés prioritaires ou à des entreprises fragilisées. D’autre part, du fait de l’existence de ’chaebol’ (groupes industriels), les grandes entreprises ou celles ayant de forts liens avec le pouvoir ont accès d’une manière disproportionnée au crédit. Même après les réformes financières, ces auteurs estiment que les banques peuvent être incompétentes à évaluer et à contrôler les projets et donc les fortes relations clients/banques restent l’un des déterminants importants dans l’allocation du crédit. Ils utilisent une méthode comparable à celle de Jaramillo, Schiantarelli et Weiss (1992). Leur test est construit sur la régression de flux de dettes rapporté au stock de capital, expliqué par une variable d’efficience (le taux de profit ou alternativement la productivité marginale du capital) et des variables de contrôle: la variable expliquée retardée d’une période, le logarithme du stock de capital, le ratio dette sur capital moyen, les exportations rapportées au chiffre d’affaires et enfin des variables muettes annuelles. Leurs résultats indiquent que sur la période 1970-96, l’efficacité du secteur ne joue pas un rôle important dans les choix de l’allocation du crédit (le coefficient de la variable taux de profit n’est pas significativement différent de zéro) et même a un effet négatif si l’efficacité est mesurée par la productivité marginale du capital: le crédit est alloué de préférence aux secteurs ayant des performances économiques médiocres.

Lorsqu’ils distinguent deux périodes pour prendre en compte l’effet des réformes financières (1970-84 et 1985-96), les résultats sont équivalents: malgré le désengagement de l’Etat, les banques continuent à financer en priorité les secteurs les moins performants. Les auteurs expliquent ce résultat par les liens privilégiés entre clients et banquiers, qui passent avant les questions d’efficacité.

La section suivante propose d’analyser l’impact de la libéralisation financière sur l’efficience allocative des banques marocaines.

Notes
40.

Les efficacités techniques sont calculées à partir de trois estimations différentes: une fonction de production trans-logarithmique avec coûts d’ajustement et effets fixes, la même fonction mais estimée séparément sur chaque secteur industriel et enfin une fonction Cobb-Douglas à rendements constants.