A côté d’une vision de court terme prise en compte par la variable profitabilité, une allocation du crédit efficiente devrait être caractérisée par l’octroi de fonds prétables aux entreprises les plus efficaces.
Pour mesurer cette performance, nous avons opté pour l’efficacité technique individuelle (EFI), car une entreprise ayant une forte efficacité technique sera probablement plus apte à faire face à des chocs de court terme. En effet, si l’on reprend la définition proposée par Lesueur et Plane (1995, p. 75), «on dit d’une entreprise qu’elle est techniquement efficace lorsqu’elle se situe sur la frontière des possibilités de production; c’est à dire qu’avec une quantité déterminée de facteurs, elle obtient le plus haut niveau d’output réalisable », ce qui est un gage d’une gestion efficace de l’entreprise.
La mesure des EFI est basée sur l’estimation d’une frontière de production. On suppose que l’entreprise la plus efficace techniquement se situe sur la frontière. Pour les autres entreprises, la différence entre l’observation et la frontière de production correspond à son inefficacité technique. Nous utilisons une fonction de production de type Cobb-Douglas. Tybout (1992) indique en effet que l’utilisation de cette forme fonctionnelle pour la fonction de production est la plus adaptée en présence d’imperfections dans les données, ce qui est souvent le cas lorsque l’on utilise des données d’enquêtes provenant de pays en développement.
La fonction de production stochastique s’écrit:
Nous utilisons le modèle proposé par Battese et Coelli (1992) (Cf. encadré sur l’estimation de frontières de production stochastiques et d’efficiences variables dans le temps): l’effet spécifique à l’entreprise - l’efficience - varie de façon exponentielle avec le temps. On suppose que:
Encadré 3. Frontières de production et efficiences variables dans le temps
Nous avons estimé cinq modèles différents pour pouvoir tester diverses hypothèses:
Modèle 1. Modèle le plus général, il correspond à l’estimation des six paramètres de l’équation (14)47.
Modèle 2. Le paramètre mu est contraint à être nul (μ=0): les uitsuivent une loi semi-normale.
Modèle 3. Le paramètre éta est contraint à être nul (η=0): l’efficience technique est constante dans le temps.
Modèle 4. Mu et éta sont nuls (μ=η=0).
Modèle 5. μ=η=γ=0: Les entreprises sont toutes supposées efficientes. Le terme d’erreur εit n’a qu’un seul composant, νit. Dans ce cas, l’estimation est menée par les moindres carrés ordinaires.
L’estimation de ces cinq modèles nous permet de tester ces modèles deux à deux.
La fonction de production estime la valeur ajoutée comme fonction des facteurs travail et capital48. Les valeurs monétaires (valeur ajoutée et capital) ont été déflatées par l’indice des prix industriels, donné par les Statistiques Financières Internationales du Fonds Monétaire International (ligne 66ey).
Le tableau 21 présente les résultats de l’estimation de la fonction de production sur l’échantillon total en spécifiant les cinq modèles définis plus haut. Les tests du ratio de vraisemblance présentés dans le tableau 22 indiquent que le premier modèle est préféré. Les estimations de ce modèle montrent que l’élasticité du capital est inférieure à celle du travail. Ce résultat est convergent avec celui obtenu par Belghazi (1997) qui trouve, en estimant une fonction de production de type Cobb-Douglas, une élasticité de 0,28 pour le capital et de 0,82 pour le travail sur l’ensemble des industries (à partir de la population mère de l’enquête du Ministère du Commerce et de l’industrie en 1991).
583 entreprises sur la période 1986 à 1996 (5013 observations) | |||||||
Modèle 1 | Modèle 2 | Modèle 3 | Modèle 4 | Modèle 5 | |||
Constante | 4,96 | 4,21 | 4,63 | 4,05 | 2,11 | ||
46,0 | 39,0 | 44,0 | 40,5 | 50,3 | |||
Log capital | 0,27 | 0,30 | 0,30 | 0,31 | 0,30 | ||
26,6 | 27,3 | 29,4 | 29,0 | 36,5 | |||
Log travail | 0,62 | 0,63 | 0,64 | 0,64 | 0,84 | ||
35,7 | 34,4 | 36,4 | 34,1 | 64,1 | |||
1,09 | 2,67 | 1,12 | 2,97 | 0,82 | |||
29,1 | 13,5 | 14,6 | 14,4 | ||||
0,70 | 0,87 | 0,71 | 0,88 | ||||
84,9 | 84,7 | 67,2 | 99,5 | ||||
1,76 | 1,78 | ||||||
20,7 | 22,8 | ||||||
0,01 | 0,02 | ||||||
7,9 | 8,1 | ||||||
R2 ajusté | 0,79 | ||||||
Log-vraisemblance | -5158 | -5277 | -5199 | -5309 | -6613 | ||
Moyenne | Ecart-type | Minimum | Maximum | ||||
Efficience technique | 0,257 | 0,20 | 0,016 | 0,938 |
Modèle 1 | Modèle 2 | Modèle 3 | Modèle 4 | |
Contre le modèle 5 Erreur à composante unique |
2910 (3) | 2672 (2) | 2828 (2) | 2608 (1) |
Contre le modèle 4 Loi semi-normale et efficacité constante dans le temps |
302 (2) | 64 (1) | 220 (1) | |
Contre le modèle 3 Efficacité constante dans le temps |
82 (1) | - - - | ||
Contre le modèle 2 Loi semi-normale |
238 (1) | |||
L’erreur comporte un terme d’efficience, variable dans le temps et suivant une loi normale tronquée. L’efficience moyenne est de 25 %. Elle est croissante dans le temps (η>0). Toutefois, la figure 21 montre que cette croissance est plus marquée après 1991. Cette date correspond au début du processus de libéralisation financière.
Notons la dispersion des degrés d’efficience selon le type d’entreprises (voir Annexe 7). En particulier les entreprises exportatrices, publiques ou étrangères localisées à Casablanca et de grande taille ont une efficience moyenne plus élevée.
Pour tenir compte de l’hétérogénéité des technologies de production, l’estimation de la fonction de production est menée sur quatre secteurs manufacturiers: agro-alimentaire, textile et cuir, chimie et parachimie et enfin mécanique, métallurgie, électricité et électronique49. Le test de Chow indique que le comportement des entreprises est significativement différent selon leur secteur d’activité. En particulier, les résultats présentés dans le tableau 23 indiquent que les entreprises de l’agro-alimentaire, du textile et du cuir ont une utilisation du travail plus intensive.
Comme dans le cas de l’estimation sur l’ensemble de l’échantillon, l’efficience technique est croissante dans le temps, excepté dans le secteur mécanique, métallurgique, électrique et électronique.
Toutes | Agro-alimentaire | Textile et cuir | Chimie et parachimie | Mécanique, métallurgie, électrique et électronique | |
Log capital | 0,27 | 0,26 | 0,31 | 0,23 | 0,26 |
26,6 | 15,7 | 17,2 | 11,2 | 8,9 | |
Log travail | 0,62 | 0,72 | 0,65 | 0,54 | 0,51 |
35,7 | 21,1 | 23,0 | 17,0 | 11,2 | |
Constante | 4,96 | 4,59 | 3,42 | 5,85 | 5,87 |
46,0 | 22,1 | 22,5 | 18,6 | 18,0 | |
1,09 | 1,04 | 0,57 | 1,26 | 1,07 | |
29,1 | 10,8 | 8,7 | 11,8 | 9,6 | |
0,70 | 0,68 | 0,38 | 0,76 | 0,72 | |
84,9 | 31,0 | 8,2 | 44,7 | 31,7 | |
1,76 | 1,68 | 0,94 | 1,95 | 1,76 | |
20,7 | 9,4 | 8,5 | 8,6 | 9,1 | |
0,01 | 0,01 | 0,03 | 0,02 | 0,01 | |
7,9 | 2,3 | 3,7 | 4,6 | 1,4 | |
Log-vraisemblance | -5158 | -1642 | -1322 | -1420 | -720 |
Test de Chow (6;5001) | 128 | ||||
Nombre d’entreprises | 583 | 170 | 169 | 163 | 81 |
Nombre de périodes | 11 | 11 | 11 | 11 | 11 |
Nombre d’observations | 5013 | 1590 | 1287 | 1392 | 744 |
Maintenant que toutes les variables déterminant l’évolution de l’allocation du crédit ont été définies, nous nous consacrons à son estimation.
La fonction de vraisemblance de ce modèle est présentée dans Battese et Coelli (1992).
Se référer au chapitre précèdent pour la définition et la construction des variables à partir des données de l’enquête annuelle sur les industries de transformation du Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat du Royaume du Maroc.
Les résultats détaillés des estimations et des tests de spécification sont donnés en annexe 6.