2.2.4 Efficacité technique

A côté d’une vision de court terme prise en compte par la variable profitabilité, une allocation du crédit efficiente devrait être caractérisée par l’octroi de fonds prétables aux entreprises les plus efficaces.

Pour mesurer cette performance, nous avons opté pour l’efficacité technique individuelle (EFI), car une entreprise ayant une forte efficacité technique sera probablement plus apte à faire face à des chocs de court terme. En effet, si l’on reprend la définition proposée par Lesueur et Plane (1995, p. 75), «on dit d’une entreprise qu’elle est techniquement efficace lorsqu’elle se situe sur la frontière des possibilités de production; c’est à dire qu’avec une quantité déterminée de facteurs, elle obtient le plus haut niveau d’output réalisable », ce qui est un gage d’une gestion efficace de l’entreprise.

La mesure des EFI est basée sur l’estimation d’une frontière de production. On suppose que l’entreprise la plus efficace techniquement se situe sur la frontière. Pour les autres entreprises, la différence entre l’observation et la frontière de production correspond à son inefficacité technique. Nous utilisons une fonction de production de type Cobb-Douglas. Tybout (1992) indique en effet que l’utilisation de cette forme fonctionnelle pour la fonction de production est la plus adaptée en présence d’imperfections dans les données, ce qui est souvent le cas lorsque l’on utilise des données d’enquêtes provenant de pays en développement.

La fonction de production stochastique s’écrit:

message URL FORM62.gif
où l’indice i correspond à l’entreprise et t à la période, Yit la production, Kit le facteur travail, Lit le facteur travail et εit un terme d’erreur stochastique composé de deux types d’erreurs: νi des variables aléatoires supposées identiquement et indépendamment distribuées, suivant une loi normale message URL FORM63.gif, et ui des variables aléatoires non négatives représentant l’inefficience technique et supposées identiquement et indépendamment distribuées.

Nous utilisons le modèle proposé par Battese et Coelli (1992) (Cf. encadré sur l’estimation de frontières de production stochastiques et d’efficiences variables dans le temps): l’effet spécifique à l’entreprise - l’efficience - varie de façon exponentielle avec le temps. On suppose que:

message URL FORM64.gif
avec η un paramètre inconnu, et uit des variables aléatoires supposées identiquement et indépendamment distribuées et suivant une loi normale message URL FORM65.gif tronquée.
La frontière de production stochastique définie par l’équation (14) contient les trois paramètres message URL FORM66.gif et quatre autres paramètres associés aux hypothèses sur νit et uit: σν l’écart type de la loi normale des message URL FORM67.gif la moyenne et l’écart type des uit et enfin η, le ’trend’ de l’efficacité technique dans le temps. Ces paramètres sont estimés par la méthode du maximum de vraisemblance, à partir du logiciel Frontier (Coelli, 1996).

Encadré 3. Frontières de production et efficiences variables dans le temps

Nous avons estimé cinq modèles différents pour pouvoir tester diverses hypothèses:

L’estimation de ces cinq modèles nous permet de tester ces modèles deux à deux.

La fonction de production estime la valeur ajoutée comme fonction des facteurs travail et capital48. Les valeurs monétaires (valeur ajoutée et capital) ont été déflatées par l’indice des prix industriels, donné par les Statistiques Financières Internationales du Fonds Monétaire International (ligne 66ey).

Le tableau 21 présente les résultats de l’estimation de la fonction de production sur l’échantillon total en spécifiant les cinq modèles définis plus haut. Les tests du ratio de vraisemblance présentés dans le tableau 22 indiquent que le premier modèle est préféré. Les estimations de ce modèle montrent que l’élasticité du capital est inférieure à celle du travail. Ce résultat est convergent avec celui obtenu par Belghazi (1997) qui trouve, en estimant une fonction de production de type Cobb-Douglas, une élasticité de 0,28 pour le capital et de 0,82 pour le travail sur l’ensemble des industries (à partir de la population mère de l’enquête du Ministère du Commerce et de l’industrie en 1991).

Tableau 21. Estimation de la fonction de production sur l’échantillon total
583 entreprises sur la période 1986 à 1996 (5013 observations)
Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4 Modèle 5
Constante 4,96 4,21 4,63 4,05 2,11
46,0 39,0 44,0 40,5 50,3
Log capital 0,27 0,30 0,30 0,31 0,30
26,6 27,3 29,4 29,0 36,5
Log travail 0,62 0,63 0,64 0,64 0,84
35,7 34,4 36,4 34,1 64,1
1,09 2,67 1,12 2,97 0,82
29,1 13,5 14,6 14,4
0,70 0,87 0,71 0,88
84,9 84,7 67,2 99,5
1,76 1,78
20,7 22,8
0,01 0,02
7,9 8,1
R2 ajusté 0,79
Log-vraisemblance -5158 -5277 -5199 -5309 -6613
Moyenne Ecart-type Minimum Maximum
Efficience technique 0,257 0,20 0,016 0,938
[Note: Valeur absolue des t de Student sous la valeur estimée des coefficients. Tous les coefficients estimés sont significativement différents de zéro au seuil de 1%. ]
Tableau 22. Valeurs de la statistique des tests du ratio de vraisemblance (et nombre de degrés de liberté)
Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4
Contre le modèle 5
Erreur à composante unique
2910 (3) 2672 (2) 2828 (2) 2608 (1)
Contre le modèle 4
Loi semi-normale et efficacité constante dans le temps
302 (2) 64 (1) 220 (1)
Contre le modèle 3
Efficacité constante dans le temps
82 (1) - - -
Contre le modèle 2
Loi semi-normale
238 (1)
[Note: La procédure de test est basée sur le test du ratio de vraisemblance. On cherche à tester l’hypothèse qu’un ou plusieurs des paramètres θ sont nuls ( message URL FORM80.gif). Le test est basé sur la différence entre le logarithme de la vraisemblance avec contrainte, ln Lc, et le logarithme de la vraisemblance sans contrainte, ln L (Greene, 1997, page 160). La distribution de la statistique du test est: message URL FORM81.gif, avec le nombre de degré de liberté correspondant au nombre de restrictions. Dans tous les cas le test rejette l’hypothèse nulle au seuil de 1%.]

L’erreur comporte un terme d’efficience, variable dans le temps et suivant une loi normale tronquée. L’efficience moyenne est de 25 %. Elle est croissante dans le temps (η>0). Toutefois, la figure 21 montre que cette croissance est plus marquée après 1991. Cette date correspond au début du processus de libéralisation financière.

message URL FIG21.gif
Figure 21. Evolution de l’efficience technique moyenne (1986 - 1996)

Notons la dispersion des degrés d’efficience selon le type d’entreprises (voir Annexe 7). En particulier les entreprises exportatrices, publiques ou étrangères localisées à Casablanca et de grande taille ont une efficience moyenne plus élevée.

Pour tenir compte de l’hétérogénéité des technologies de production, l’estimation de la fonction de production est menée sur quatre secteurs manufacturiers: agro-alimentaire, textile et cuir, chimie et parachimie et enfin mécanique, métallurgie, électricité et électronique49. Le test de Chow indique que le comportement des entreprises est significativement différent selon leur secteur d’activité. En particulier, les résultats présentés dans le tableau 23 indiquent que les entreprises de l’agro-alimentaire, du textile et du cuir ont une utilisation du travail plus intensive.

Comme dans le cas de l’estimation sur l’ensemble de l’échantillon, l’efficience technique est croissante dans le temps, excepté dans le secteur mécanique, métallurgique, électrique et électronique.

Tableau 23. Résultat des estimations des fonctions de production par industries
Toutes Agro-alimentaire Textile et cuir Chimie et parachimie Mécanique, métallurgie, électrique et électronique
Log capital 0,27 0,26 0,31 0,23 0,26
26,6 15,7 17,2 11,2 8,9
Log travail 0,62 0,72 0,65 0,54 0,51
35,7 21,1 23,0 17,0 11,2
Constante 4,96 4,59 3,42 5,85 5,87
46,0 22,1 22,5 18,6 18,0
1,09 1,04 0,57 1,26 1,07
29,1 10,8 8,7 11,8 9,6
0,70 0,68 0,38 0,76 0,72
84,9 31,0 8,2 44,7 31,7
1,76 1,68 0,94 1,95 1,76
20,7 9,4 8,5 8,6 9,1
0,01 0,01 0,03 0,02 0,01
7,9 2,3 3,7 4,6 1,4
Log-vraisemblance -5158 -1642 -1322 -1420 -720
Test de Chow (6;5001) 128
Nombre d’entreprises 583 170 169 163 81
Nombre de périodes 11 11 11 11 11
Nombre d’observations 5013 1590 1287 1392 744
[Note: Se référer aux notes des tableaux précédents.]

Maintenant que toutes les variables déterminant l’évolution de l’allocation du crédit ont été définies, nous nous consacrons à son estimation.

Notes
46.

La fonction de vraisemblance de ce modèle est présentée dans Battese et Coelli (1992).

47.
Six paramètres et non sept car Coelli (1996) utilise une paramétrisation en posant message URL FORM273.gif.
48.

Se référer au chapitre précèdent pour la définition et la construction des variables à partir des données de l’enquête annuelle sur les industries de transformation du Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat du Royaume du Maroc.

49.

Les résultats détaillés des estimations et des tests de spécification sont donnés en annexe 6.