2.4.1 Période 1987-1990: pré-libéralisation

Cette période correspond à une période où l’Etat intervenait fortement sur le marché des capitaux. Les résultats de l’estimation présentés au tableau 26 illustrent bien cette situation.

La variable efficacité technique est significative. Ce résultat montre que sur la période 1987 à 1990 l’efficacité de l’entreprise est un critère pour l’octroi de prêts par les banques.

L’entreprise a d’autant plus de difficultés à accéder au crédit que son capital est important. Ce résultat diverge de celui obtenu par Jaramillo, Schiantarelli et Weiss (1992) et Borensztein et Lee (1999). Pour les premiers, la variable taille n’est pas significative, pour les seconds, elle a une influence positive sur l’accès au crédit. Notre résultat est à mettre en rapport avec la situation de l’économie marocaine durant cette période. En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre introductif, les grandes entreprises sont celles qui ont connu la plus forte baisse du niveau d’endettement. Peut-être faut-il voir dans ce phénomène l’effet des réformes structurelles mises en place au Maroc. Les types d’entreprises qui se sont développés et les secteurs porteurs ne sont plus les mêmes aujourd’hui. En particulier les grandes entreprises sont contraintes de se restructurer. Les banques se désengagent donc du financement de ces entreprises.

Que l’entreprise soit privée, étrangère ou publique, il ne semble pas y avoir de différence significative quant à l’accès au crédit. Cela va à l’encontre de l’idée avancée d’existence de liens privilégiés entre entreprises publiques et banques publiques ou entre entreprises étrangères et connaissance du marché des capitaux et du système financier formel.

La variable âge n’a pas d’influence significative (ou très faible si l’on utilise l’estimateur d’Hausman et Taylor). Nos résultats ne se démarquent pas à ce niveau de ceux de Jaramillo, Schiantarelli et Weiss (1992) dans le cas de l’Equateur. Cette variable est censée appréhender les effets des asymétries d’information: les banques ne semblent pas être dans la nécessité de se couvrir contre les risques de défaut. C’est une des conséquences de la forte réglementation: la présence de l’Etat et les garanties qu’il peut fournir en cas de défaut n’incite pas les banques à être prudentes. La question des créances douteuses que connaît le secteur bancaire dans cette période est à mettre en parallèle avec ce résultat.

La variable de profitabilité (solde/capital) est significativement différente de zéro. Les banques allouent une moindre quantité de crédit aux entreprises profitables. Borensztein et Lee (1999) obtiennent des résultats allant dans le même sens. Ils concluent que le crédit a été alloué en priorité aux secteurs les moins performants50. De même, Jaramillo, Schiantarelli et Weiss (1992) montrent que la profitabilité a un effet négatif sur le flux de crédit accordé aux entreprises. Leur explication est que les entreprises les plus profitables peuvent plus facilement financer leurs projets d’investissement à partir de leur ressources propres. Cette explication semble la plus pertinente dans le cas du Maroc.

Tableau 26. Equation explicative de l’allocation du crédit. Distinction par période.
Période 1987 à 1990 Période 1992 à 1995
Dffcap2 MCO MCQG MVI
Hausman Taylor
MCO MCQG MVI
Hausman Taylor
Log (capital) t-1 # -0,029 *** -0,063 *** -0,148 *** -0,0069 * -0,0071 * -0,012
0,000 0,000 0,000 0,052 0,051 0,639
(solde/capital)t-1 # -0,028 *** -0,033 *** -0,034 *** -0,0101 *** -0,0105 *** -0,027 ***
0,000 0,000 0,000 0,000 0,000 0,000
Efficacité tech. t-1 # 0,366 *** 0,771 *** 3,64 *** -0,016 -0,015 -1,456
0,001 0,000 0,006 0,747 0,778 0,420
Exportatrice 0,132 *** 0,149 *** 0,043 0,023 0,024 0,049
0,001 0,006 0,524 0,198 0,194 0,136
Casablanca 0,004 -0,035 -0,186 0,0015 0,0015 0,052
0,882 0,506 0,102 0,910 0,912 0,724
Privé 0,048 0,058 0,018 -0,0130 -0,0135 0,063
0,244 0,351 0,834 0,495 0,518 0,221
Age -0,0004 -0,002 -0,007 * -0,0007 -0,0007 -0,003
0,727 0,251 0,061 0,190 0,195 0,614
Secteur AA -0,137 ** -0,173 * -0,374 -0,026 -0,027 0,404
0,015 0,092 0,188 0,332 0,332 0,299
Secteur A -0,123 *** -0,169 ** -0,107 -0,043 ** -0,043 ** -0,034
0,001 0,015 0,442 0,016 0,018 0,847
Secteur E -0,116 ** -0,162 * -0,074 -0,017 -0,0172 0,015
0,016 0,076 0,681 0,458 0,466 0,946
Proba présence # -0,102 -0,081 -2,64 * 0,109 ** 0,1095 ** 2,42
0,391 0,702 0,058 0,038 0,042 0,151
Constante 0,244 *** 0,468 *** 0,388 *** 0,044 0,045 -0,076
0,003 0,001 0,002 0,263 0,262 0,244
Nbre d’obs. 1822 1811
Nbre d’entr. 526 509
R2 ajusté 0,09 0,09 0,08 0,01 0,02 0,01
LM-test (1 ddl) 5,02
0,025
** 7,18
0,007
***
Test d’Hausman modifié (11 ddl) 5,253
0,92
9,57
0,57
[Note: Notes. Variable expliquée: variation des frais financiers sur capital. Les probabilités de rejet sont indiquées en petit caractère. *: significatif au seuil de 10%, **: significatif au seuil de 5%, ***: significatif au seuil de 1%. Le test du multiplicateur de Lagrange (LM-test) ne permet pas de rejeter l’hypothèse d’existence d’effets spécifiques aléatoires; le test d’Hausman modifié, comparant les estimations MCQG et variables instrumentales (Hausman-Taylor), ne permet pas de rejeter l’hypothèse d’exogénéité des effets spécifiques aléatoires. Les variables instrumentées sont indiquées par le signe #. Secteur: AA: fortement protégé, A: protégé, E: peu protégé, la référence étant le secteur non protégé, EE.]

Les entreprises de secteurs moins favorisés que les entreprises de la catégorie AA (fortement favorisées) ont un moindre accès au crédit bancaire. La politique d’allocation du crédit menée par les pouvoirs publics semble avoir eu de l’effet. On constate toutefois que les entreprises ayant moins accès au crédit bancaire, se trouvent plutôt parmi celles qui sont relativement favorisées et non pas parmi celles qui sont le moins favorisées. La mise en place de zones d’investissement ne semble pas avoir eu d’effet. Les entreprises installées dans le Grand Casablanca (variable Casablanca) ou celles installées dans des zones dont le code d’investissement essaie de promouvoir le développement, ont eu accès au crédit d’une manière identique. Les entreprises exportatrices semblent avoir les faveurs des banques marocaines. Ce résultat confirmé par la significativité du coefficient de la variable exportatrice peut être expliqué autant par l’effort des pouvoirs publics pour faciliter le financement de ce secteur que par l’intérêt pour les banques de financer des entreprises exportatrices et recevoir à moyen ou long terme des devises en contrepartie.

Notes
50.

Cet effet négatif est le même pour la variable de productivité du capital qu’ils ont introduit dans leur régression.