Chapitre 3 Asymétries d’information et contraintes de financement des entreprises manufacturières

Introduction

Un des objectifs principaux de la déréglementation bancaire est l’amélioration du financement des entreprises. Le chapitre précédent analyse l’impact de ces réformes sur l’allocation du crédit. La question posée était de savoir si les banques financent aujourd’hui les entreprises les plus efficaces. L’intérêt se porte dans ce chapitre sur les conditions d’accès au crédit. Selon McKinnon (1973) et Shaw (1973), la libéralisation financière permet de réduire les contraintes de financement. Toutefois, leur analyse suppose que le marché des capitaux est en concurrence pure et parfaite et qu’en particulier l’information sur les projets d’investissement à financer est partagée par les banquiers et les entrepreneurs. Stiglitz et Weiss (1981), remettant quant à eux cette hypothèse en cause, montrent qu’un marché concurrentiel peut être caractérisé par l’existence de contraintes de financement. Ainsi, comme le note Arndt (1982), deux types de contraintes pouvant entraîner un rationnement financier doivent êtres distingués: d’une part, des contraintes exogènes dues aux interventions publiques sur le marché du crédit, et d’autre part, des contraintes endogènes provenant de la présence d’asymétrie d’information sur ce marché. Les problèmes d’information sont courants dans les pays en développement, aussi, une libéralisation financière, bien qu’éliminant les contraintes exogènes, ne permet-elle pas systématiquement l’amélioration attendue des conditions d’accès à la finance externe, en particulier pour les entreprises les plus fragiles (de faible taille, jeunes, etc.). Comme l’indique Stiglitz (1989) ’on doit reconnaître les limites et les avantages du marché, ainsi que les avantages et les limites des interventions publiques permettant de corriger les imperfections du marché’ (page 202).

Les études empiriques devraient permettre d’estimer l’ampleur des contraintes financières. Cependant, leur mesure reste difficile. Parallèlement aux analyses directes basées sur des techniques d’enquête, les recherches visant à quantifier l’effet des imperfections de marché sur les contraintes financières des entreprises utilisent généralement des méthodes indirectes. En effet, ces études sont basées sur le comportement d’investissement des entreprises et reposent sur la non validité du principe d’indépendance de Modigliani et Miller (1958) en présence d’imperfections de marché51.

Modigliani et Miller (1958) montrent que sous certaines hypothèses, dont l’absence d’imperfections de marché, les décisions d’investissement sont indépendantes de la structure financière de l’entreprise. Ce principe d’indépendance n’est plus valable si l’on prend en compte la présence de contraintes endogènes ou exogènes sur le marché financier (Meyer et Kuh en 1957, cités par Jaffee et Stiglitz, 1990). Dans cette situation, des variables financières de l’entreprise détermineront le montant de l’investissement réalisable. Cette relation entre variables financières et investissement va permettre de déterminer si les entreprises sont ou ne sont pas contraintes. L’article abondamment cité de Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) est à l’origine de toute une série d’études microéconométriques testant l’influence des contraintes d’accès au marché du crédit sur l’investissement. Parmi les études les plus récentes sur les pays européens, citons Crépon et Rosenwald (2000) pour la France, Guariglia (1999) pour la Grande Bretagne, Azofra Palenzuela et Lopez Iturriaga (1998) pour l’Espagne et enfin Funke, Mauer, Siddiqui et Strutz (1998) pour l’Allemagne52. Ces études se basent sur l’estimation de modèles d’investissement à coûts d’ajustement, formulés à partir du Q de Tobin, du principe d’accélérateur, ou encore à partir de l’équation d’Euler. L’originalité de ces modèles consiste en la prise en compte de variables financières dans la décision d’investissement.

Les études analysant les effets des changements structurels des marchés financiers sur la contrainte de crédit des entreprises connaissent un intérêt récent et croissant. Citons les études de Gelos et Werner (1999) pour le Mexique, Günçavdi, Bleaney and McKay (1998) pour la Turquie, Jaramillo, Schiantarelli et Weiss (1996) pour l’Equateur, Harris, Schiantarelli et Siregar (1994) pour l’Indonésie, et enfin Atiyas (1992) pour la Corée du Sud53.

La première section de ce chapitre présente l’analyse de McKinnon et Shaw ainsi que sa critique. Un modèle d’optimisation de la valeur de l’entreprise avec prise en compte de contraintes financières est développé dans la deuxième section. Ce modèle permet de dériver une équation testable. Les méthodes économétriques utilisées pour tester ce modèle sont présentées. Enfin, dans la troisième section, l’évolution des contraintes de financement sur la période récente de libéralisation financière est évaluée sur un panel d’entreprises manufacturières marocaines.

Notes
51.

D’autres méthodes indirectes utilisent la notion de croissance potentielle (Demirgüç-Kunt et Maksimovic, 1998) ou le modèle de déséquilibre (Cieply et Paranque, 1997).

52.

Voir Hubbard (1998) pour une revue de la littérature.

53.

Les pays développés ont aussi eu leurs ’libéralisations financières’. Ainsi, Hansen et Lindberg (1997) analysent le cas de la Suède et Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1990) le cas du Japon.