L’analyse de Stiglitz et Weiss (1981)

Stiglitz et Weiss (1981) montrent que ‘’le marché du crédit peut-être caractérisé à l’équilibre par un rationnement du crédit’’ (page 393). Des effets de sélection adverse et d’incitation peuvent amener la banque à préférer un rationnement quantitatif du crédit à un ajustement entre offre et demande à partir des taux d’intérêts. Dans ce modèle, la banque joue le rôle de l’acheteur non informé d’Akerlof (1970) et l’emprunteur est le vendeur ayant toute l’information sur le bien qu’il compte vendre. Comme l’indique Guille (1994), en se référant à la littérature sur la contrainte de crédit, ’‘ces modèles supposent généralement que les banques élaborent, sous la forme d’un contrat de prêt, un schéma d’incitation semblable à celui utilisé par la plupart des organisations insérées dans des environnements informationnels comparables. Il consiste à établir un rapport hiérarchique en sens inverse de l’asymétrie d’information: l’agent imparfaitement informé construit les règles du jeu de façon à maximiser son profit anticipé étant donné sa connaissance du comportement optimal de l’autre agent’’ (page 70).

Stiglitz et Weiss utilisent le terme de rationnement du crédit pour caractériser deux situations: ’(‘a) lorsque entre des demandeurs de crédits qui semblent identiques, certains reçoivent des crédits et d’autres non, et que les demandeurs rejetés ne reçoivent pas de crédits même s’ils offrent de payer un taux d’intérêt plus élevé; ou (b) lorsqu’il existe des groupes identifiables qui, avec une offre de crédit donnée, sont incapables d’obtenir un crédit quelque soit le taux d’intérêt, même si avec une offre de crédit plus importante, ils en obtiendraient un’’ (page 394-95).

Le taux d’intérêt affecte le risque moyen du portefeuille de prêts de la banque d’une part en éliminant certains emprunteurs potentiels (l’effet de sélection adverse), et d’autre part, en affectant le comportement des emprunteurs (l’effet d’incitation ou d’aléa moral). Ces deux effets résultent de l’imperfection d’information de la banque par rapport aux emprunteurs potentiels. Par conséquent, si le prix (taux d’intérêt) affecte la nature des transactions, il ne peut pas simultanément équilibrer le marché.

L’existence de la sélection contraire affecte la rentabilité de la banque. En effet, le rendement de la banque dépend de la probabilité de remboursement des prêts, elle a donc intérêt à identifier les clients qui sont les plus enclins à rembourser. Toutefois, il est difficile d’identifier les ’bons’ des ’mauvais’ emprunteurs. La banque a alors recours à des mécanismes de révélation de l’information (screening devices). Le taux d’intérêt qu’une entreprise est prête à payer est utilisé à cette fin. Les entreprises qui sont prêtes à payer de forts taux d’intérêts sont supposées être en moyenne plus risquées; elles sont prêtes à emprunter à de forts taux d’intérêts car leur probabilité de remboursement est faible. Plus le taux d’intérêt augmente, plus le risque moyen des emprunteurs augmente, les profits de la banque pouvant alors décroître.

Une fois le crédit accordé, un effet d’aléa moral peut amener la banque a être réticente à prêter à des taux élevés. En effet, lorsque le taux d’intérêt varie, cela a une influence sur le comportement des emprunteurs, car une augmentation du taux d’intérêt entraîne une baisse du rendement du projet de l’entreprise. Par conséquent les entreprises augmentent le risque du projet afin de maintenir la rentabilité.

La banque n’étant pas capable de contrôler les actions des emprunteurs, elle met en place un contrat de prêt incitatif conduisant les emprunteurs à mener les projets dans son intérêt.

En raisons de ces deux effets, le rendement anticipé de la banque est décroissant à partir d’un certain taux d’intérêt r *, optimal pour la banque, comme indiqué sur la figure 23.

La demande et l’offre de crédit sont fonction du taux d’intérêt. L’offre est déterminée par le taux optimal de la banque r *. Il est concevable qu’à ce taux, la demande de fonds excède l’offre. L’analyse traditionnelle suppose que dans cette situation, les demandeurs offrent un taux d’intérêt supérieur. Toutefois, cela est impossible ici, car le taux r* est un taux d’équilibre: la banque ne fournira pas de prêts à des entreprises à un taux supérieur à r *. Un tel prêt est trop risqué et le rendement attendu de ce prêt est inférieur au rendement d’un prêt au taux r *. Les taux d’intérêt n’équilibrent pas l’offre et la demande: le crédit est rationné.

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Figure 23 Taux d’intérêt et rendement de la banque

Dans une économie caractérisée par un rationnement du crédit, les entreprises sont amenées à utiliser d’une manière plus importante leurs ressources internes pour financer leurs investissements.

Stiglitz et Weiss montrent enfin que dans certaines conditions, la banque n’a pas intérêt a demander des garanties trop importantes car cela peut réduire son rendement. Cet effet provient de la baisse de l’aversion pour le risque des emprunteurs à richesse élevée, ce qui les incite à mettre en place des projets plus risqués.

Dans ce modèle, les contrats de prêts sont modélisés comme de simples contrats de dettes exogènes. Williamson (1986) développe un modèle où les résultats des emprunteurs potentiels ne sont pas directement observables. Il montre que la réduction des coûts d’agence, dus à la surveillance coûteuse des emprunteurs, est permise par l’existence d’intermédiaires financiers. Toutefois, ces coûts ne sont pas complètement éliminés. Ceci justifie l’apparition d’un rationnement potentiel de la demande de crédit.

D’autres améliorations et amendements ont été développés dans cette littérature sur la contrainte de crédit d’équilibre. L’objectif de cette section n’est pas d’en offrir une revue exhaustive, mais de montrer les limites des analyses ne prenant pas en compte les imperfections du marché du crédit, même en situation concurrentielle (comme celles de McKinnon, 1973, et Shaw, 1973).