1.3 Les asymétries d’informations dans les pays en développement

Nous avons distingué les contraintes endogènes (provenant du comportement des banques) des contraintes exogènes (imposées par les pouvoirs publics) existant sur le marché des crédits. La question de l’impact de la libéralisation financière doit donc aussi s’intéresser à l’importance des contraintes endogènes sur les marchés financiers des pays en développement.

En effet, les libéralisations financières comportent deux volets principaux: (1) un ajustement des mécanismes de formation des prix dans le but d’accorder une plus grande place au marché et (2) une refonte ou au moins une adaptation du cadre institutionnel et réglementaire des intervenants sur le marché financier.

Le premier volet devrait conduire principalement à réduire les imperfections de marché dues aux interventions publiques, tandis que le second permettrait de réduire les problèmes d’asymétrie d’information (Levine, 1996). Bien évidemment ces deux composantes sont liées: une plus grande place donnée aux mécanismes du marché peut entraîner un développement du marché financier qui à son tour, pourra permettre une réduction des problèmes d’asymétrie d’information63 par la mise en place de structures institutionnelles appropriées.

Dans les pays en développement, tout au moins avant que les mouvements de libéralisation financière aient eu lieu, on peut penser que les imperfections de marché dues aux interventions des pouvoirs publics furent plus importantes que celles provenant de l’asymétrie d’information (Jaramillo, Schiantarelli et Weiss, 1996). D’autres auteurs centrent en revanche l’éclairage sur les problèmes d’asymétrie d’information sur le marché des capitaux rencontrés dans les pays en développement, sans tout autant affirmer qu’il faille ignorer les problèmes relevant des interventions publiques (Stiglitz, 1989).

Pour Stiglitz (1989), la différence dans les performances économiques entre pays en développement et pays développés provient de ces imperfections de marché. Il pense que les PED ont un double désavantage: ’‘not only are there informational imperfections, leading to credit and equity rationing; not only are these informational imperfections likely to be more important within LDCs, because the process of change itself leads to greater informational problems; but more importantly, the institutional framework for dealing with these capital market imperfections are probably less effective, because of the small scale of firm within LDCs and because the institutions for collecting, evaluating, and disseminating information are likely to be less well developed’’ (page 200-1).

Le processus de changement mis en avant par Stiglitz (1989), ainsi que le rôle des institutions sont en effet importants. A court terme, la libéralisation financière peut avoir tendance à entraîner des problèmes d’information plus sévères : les banques font face à de nouvelles entreprises qu’elles n’ont pas eu le temps de connaître. En effet, dans un système de répression financière peu d’entreprises ont accès au crédit bancaire, ce sont surtout les grandes entreprises et les entreprises publiques. De plus, le portefeuille des entreprises de la banque ne varie que peu dans le temps. Ce nombre restreint d’entreprises, sans grande modification dans le temps permet aux banques de récolter des informations et de se faire une idée assez précise des entreprises auxquelles elles accordent des crédits. D’autre part, en parallèle à la libéralisation financière, l’économie est en période d’ajustement structurel, les entreprises anciennement en croissance (car protégées) peuvent ne plus l’être, les banques verront donc le rendement de leur portefeuille se modifier même si les entreprises qui en font partie sont les mêmes.

A plus long terme, les banques ont tout intérêt à développer des mécanismes permettant de surmonter les asymétries d’information. Des relations de long terme entre la banque et ses clients vont lui permettre de récolter des informations sur le comportement et en particulier le risque de ses clients. La banque va mettre en place et apprendre à utiliser des outils d’analyse de projets d’investissement. L’utilisation de garanties dans les contrats de prêts permet aussi de faire face aux asymétries d’information, toutefois, l’intervention de l’Etat est ici nécessaire: cela suppose la préexistence d’un système légal efficace permettant de pénaliser les contractants en cas de renoncement à leurs obligations. Comme le note Levine (1996), le rôle de l’Etat pose question: ’‘are the problems sufficiently large to justify government involvement and will government intervention itself negatively affect economic performance?’ ’(page 172).

Le rôle des pouvoirs publics est important: ils doivent mettre en place une infrastructure légale permettant aux parties contractantes de faire face en cas de non respect du contrat par l’une des deux parties, et ils doivent favoriser la diffusion et la standardisation de la publication de l’information. D’autre part, l’Etat doit avoir une action plus directe en suppléant aux défaillances de marché et en encourageant le développement de structures qui stimuleraient l’efficience des marchés. Ainsi, dans les pays en développement, l’Etat doit jouer un rôle dans le financement des petites structures de production, soit directement par la mise en place de banques de développement, soit indirectement en favorisant des structures de micro-crédit. Les banques cherchent à faire du profit, les marchés boursiers à profiter d’arbitrages spéculatifs; l’Etat a son rôle à jouer pour permettre aux populations fragiles de s’intégrer à l’économie.

Cette section a montré que la libéralisation financière ne permet pas d’éliminer automatiquement les contraintes de crédit, l’existence d’imperfections de marché est en effet à considérer. Finalement, comme le notent Schiantarelli, Atiyas, Caprio, Harris et Weiss (1996) la question de savoir si les contraintes financières ont décliné à la suite de la libéralisation financière ne peut-être résolue que d’une façon empirique : comparer le système financier avant et après libéralisation financière revient en effet à comparer deux marchés imparfaits. La section suivante présente un cadre théorique permettant d’analyser l’évolution des contraintes financières des entreprises. La dernière section analyse l’expérience marocaine.

Notes
63.

Raisonnement établi par les travaux prenant en compte la sphère financière dans les modèles de croissance endogène, en particulier Greenwood et Jovanovic (1990).