3.3 Estimation en distinguant par catégories d’entreprises : taille et exportations

Les variables financières permettent d’analyser l’existence et l’amplitude des asymétries d’informations entre la banque et l’entreprise emprunteuse. Or, celles-ci sont supposées frapper davantage les petites entreprises et les entreprises non exportatrices. En effet, les petites entreprises sont supposées devoir payer des primes de financement externe plus importantes pour différentes raisons (Guille, 1996 et Schiantarelli, 1995):

Nuançons ce propos en indiquant que les petites entreprises peuvent avoir accès plus facilement à des sources financières informelles. Cependant le manque de disponibilité concernant ce type de données ne nous permet pas de traiter ici cette question (voir l’ouvrage de Mourji (1996) pour une analyse du financement - dont informel - des micro-entreprises au Maroc).

Ce critère de taille de l’entreprise est souvent utilisé dans les études appliquées à l’analyse du comportement d’investissement dans un environnement avec contraintes financières. Les résultats suggèrent généralement que les petites entreprises ont en effet plus de difficulté pour accéder à des financement externes (Galeotti, Schiantarelli et Jaramillo, 1994, Harris, Schiantarelli et Siregar, 1994, Johansen, 1994, et Jaramillo, Schiantarelli et Weiss, 1996).

Les entreprises non exportatrices seraient plus touchées par les asymétries d’information. En effet, plusieurs raisons peuvent expliquer les avantages que les entreprises exportatrices peuvent avoir concernant leurs relations avec les banques:

Au vu de cette analyse, il est raisonnable de penser que les problèmes d’accès à des financements externes toucheraient plus les petites entreprises et les entreprises non exportatrices.

Afin d’évaluer cela, nous utilisons, comme précédemment, des variables muettes pour permettre aux coefficients des variables d’endettement message URL FORM243.gif de différer, mais cette fois non seulement en fonction de la période mais également en fonction de la taille de l’entreprise et du montant des exportations. Ces deux variables muettes sont égales à un lorsque l’entreprise est de petite taille et non exportatrice. On définit une petite entreprise comme une entreprise ayant un effectif de moins de vingt employés, et les entreprises non exportatrices sont celles ayant un chiffre d’affaires exporté nul. Ainsi par exemple, pour estimer le coefficient de la variable financière message URL FORM244.gif pour les entreprises de grande taille, après la libéralisation financière, on estime le coefficient de la variable message URL FORM245.gif (voir en annexe 9 la distribution des observations par catégories de taille et de destination des ventes). Les résultats de l’estimation prenant en compte les différentes catégories d’entreprises et la libéralisation financière sont présentés dans le tableau 30. Les coefficients estimés des variables message URL FORM246.gif et message URL FORM247.gif sont de même ordre de grandeur que les estimations ne prenant pas en compte la libéralisation financière (tableai 28) et que les estimations sur les deux sous-échantillons 1989-92, 1993-96 (tableau 29).
Tableau 30 Estimation de l’équation(53) par la méthode d’Arellano et Bond en tenant compte de deux sous-périodes et de différentes catégories d’entreprises
Variable expliquée: Δ 472 entreprises de 1989 à 1996
3096 observations
Non-exportatrices / exportatrices Petites/Grandes
Δ 0,328 (1,67)* 0,361 (1,83)*
Δ -0,775 (3,30)*** -0,808 (3,39)***
Δ 0,0002 (6,72)*** 0,0002 (6,58)***
Δ 0,0001 (0,22) 0,0002 (0,33)
Avant 1993
Non expor ou petites
0,035 (1,85)* 0,015 (0,47)
-0,0009 (1,15) 0,0004 (0,31)
Expor ou grandes
0,049 (2,09)** 0,031 (2,00)**
-0,0009 (0,99) -0,0007 (1,08)
Après 1993
Non expor ou petites
0,006 (0,14) -0,043 (0,93)
0,007 (0,65) 0,023 (2,56)***
Expor ou grandes
-0,054 (0,97) 0,040 (1,16)
0,030 (0,63) -0,012 (1,82)*
Proba i -0,061 (0,77) -0,045 (0,66)
Constante 0,017 (0,74) -0,0045 (0,66)
Instruments t-3, t-4, ... t-3, t-4, ...
Test de Sargan ; degrés de liberté 59,06 ; 34 59,16 ; 34
Test de corrélation d’ordre 2 -4,402 -4,227
Test de Wald ; degrés de liberté 308 ; 13 5535 ; 13

Se reporter aux notes du tableau 28.

L’estimation distinguant les entreprises en fonction du montant des exportations, semble indiquer que le comportement des entreprises exportatrices et non exportatrices n’est pas sensiblement différent. En effet, on retrouve les résultats obtenus dans le tableau 29: le coefficient α3, est significatif sur la période pré-libéralisation pour les deux types d’entreprises (exportatrices et non exportatrices), et ne l’est plus sur la période post-libéralisation ; pour le coefficient α4 il n’est pas significatif sur les deux périodes, quel que soit le type d’entreprise.

Les résultats de l’estimation distinguant les entreprises par taille mettent en évidence l’importance des coûts d’agence à la suite de la libéralisation financière73, pour les grandes comme pour les petites entreprises : les coefficients estimés de la variable message URL FORM261.gif pour les deux types d’entreprises deviennent significatifs sur la période 1993-96 alors qu’ils ne l’étaient pas sur la période pré-libéralisation. Ce résultat permet de s’interroger sur l’effet de la libéralisation sur les contraintes endogènes au marché des capitaux.

A court terme, il est possible que la libéralisation financière ait tendance à entraîner des problèmes d’information plus sévères : les banques font face à de nouvelles entreprises qu’elles n’ont pas eu le temps de connaître. En effet, dans un système de répression financière peu d’entreprises ont accès au crédit bancaire : ce sont surtout les grandes entreprises et les entreprises publiques. Ainsi, au Maroc, 45% des très petites entreprises n’avaient pas accès au crédit en 1990 (voir tableau 31).

D’autre part, le portefeuille des entreprises de la banque ne varie que peu dans le temps. Ce nombre restreint d’entreprises, qui ne connaissent que peu de changements dans le temps, permet aux banques de récolter des informations et de se faire une idée assez précise des entreprises auxquelles elles accordent des crédits. Cependant, parallèlement à la libéralisation financière, l’économie marocaine était en période d’ajustement structurel; les entreprises anciennement en croissance (car protégées) peuvent donc ne plus l’être. Les informations précédemment récoltées par les banques seront rapidement obsolètes et les problèmes d’asymétrie d’informations ne peuvent alors que s’accentuer.

Ce résultat est à rapprocher de ceux obtenus par Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1990) dans le cas du Japon. En effet, les déréglementations financières ne sont pas limitées aux pays en développement. Au Japon, de telles réformes ont été mises en place au cours des années 70 et 80. De nombreuses entreprises ont réduit les liens qu’elles avaient avec les banques. Ces auteurs montrent que les entreprises ayant continué à entretenir des liens avec leurs banques sont moins contraintes que les autres entreprises.

Tableau 31. Accès au crédit et taille des entreprises
Nombre d’entreprises Nombre d’entreprises non endettées Entreprises non endettées (%) Ratio moyen dettes sur capital
Très petites (1 à 9 employés) 167 76 45,5% 15,5%
Petites (10 à 19 employés) 155 32 20,6% 14,1%
Moyennes (20 à 59 employés) 141 11 7,8% 38,7%
Grandes (Plus de 60 employés) 150 6 4,0% 40,8%
Toutes 613 125 20,4% 26,7%
[Note: Source: échantillon de 613 entreprises tirées de l’enquête annuelle du MCIA. les données correspondent à l’année 1990. La variable frais financiers sert de proxy au niveau d’endettement.]
Dans le cas du Maroc, un second résultat intéressant lorsque l’on distingue les entreprises par taille est de constater que la variable message URL FORM272.gif n’est significative (avec un coefficient positif) que pour les grandes entreprises sur la période pré-libéralisation. Comme nous l’avons indiqué précédemment, ce résultat est le même que celui obtenu par Harris, Schiantarelli et Siregar (1994): les banques octroient du crédit aux grandes entreprises auxquelles elles ont déjà prêté.

Ces résultats rappellent l’analyse menée dans le chapitre introductif. En effet, nous avons alors indiqué que la Banque Mondiale (1994) a constaté que la plupart des grandes entreprises bien implantées empruntent trop, par rapport à leurs fonds propres, alors que pour les petites entreprises, en particulier celles nouvellement créées, l’accès au financement bancaire apparaît comme un obstacle majeur. Pour illustrer ce propos, le tableau 31 montre en effet que 45% des très petites entreprises de l’échantillon (1 à 9 employés permanents) n’ont pas accès au crédit, tandis que cette part n’est que de 4% pour les entreprises à plus de 60 employés. On note d’autre part que les entreprises les plus endettées sont celles de grande taille.

La variable message URL FORM262.gif n’est plus significative sur la période post-libéralisation. Il semble donc que le comportement de surendettement des entreprises, favorisé par les banques n’a plus cours. Les banques, contraintes par des mesures prudentielles et par la volonté d’une gestion saine de leur activité ne semblent plus financer les entreprises lorsqu’elles sont déjà trop endettées. La figure 24 montre en effet la forte baisse du taux d’endettement des grandes entreprises. Celles-ci restent tout de même les plus endettées mais à des niveaux moindres. Il semble que l’on soit passé d’un système dual où seul un certain type d’entreprises a accès au crédit (les grandes, les publiques, etc.) à un système hétérogène où ce sont les termes de l’accès au crédit qui sont différenciés en fonction de caractéristiques d’entreprises.
message URL FIG24.gif
Figure 24. Evolution du taux d’endettement et taille des entreprises
[Note: Source: échantillon de 613 entreprises tirées de l’enquête annuelle du MCIA.]
Dans aucune des estimations de cette section, la présence d’un plafonnement du niveau d’endettement (cas où le coefficient estimé de la variable message URL FORM263.gif est négatif) n’est apparue significative. Pourtant, nous avons vu qu’en présence d’un marché financier fortement réglementé, comme c’était le cas au Maroc jusqu’au milieu des années 90, les entreprises devraient être contraintes dans le montant de crédit disponible (Fry, 1995). D’autre part, après la libéralisation financière, le comportement de la banque, visant à se couvrir contre les effets des asymétries d’information devrait entraîner les petites entreprises à être confrontées à des difficultés d’accès à des financements externes. Ce résultat pourra peut-être être obtenu sur des données plus récentes, dans le sens où les banques sont de plus en plus amenées à se couvrir contre les problèmes d’asymétrie d’information. Le niveau des dettes peut alors être utilisé par la banque afin de distinguer les entreprises.
Notes
73.

Des résultats similaires sont obtenus lorsque l’on distingue les entreprises en fonction de leur statut: privées nationales/publiques/étrangères.