Les variables financières permettent d’analyser l’existence et l’amplitude des asymétries d’informations entre la banque et l’entreprise emprunteuse. Or, celles-ci sont supposées frapper davantage les petites entreprises et les entreprises non exportatrices. En effet, les petites entreprises sont supposées devoir payer des primes de financement externe plus importantes pour différentes raisons (Guille, 1996 et Schiantarelli, 1995):
étant souvent plus jeunes elles n’ont pas eu le temps d’accumuler du capital réputation et/ou d’avoir des relations de long terme avec leurs banques,
elles ont des coûts de faillite proportionnellement plus élevés du fait de coûts fixes d’évaluation et de surveillance,
leur richesse nette pouvant servir de garantie est proportionnellement plus faible, en particulier de par l’importance de sa composante en capital humain,
enfin, les petites entreprises sont plus exposées à des chocs de demande et au risque de faillite, notamment du fait d’un manque de diversification.
Nuançons ce propos en indiquant que les petites entreprises peuvent avoir accès plus facilement à des sources financières informelles. Cependant le manque de disponibilité concernant ce type de données ne nous permet pas de traiter ici cette question (voir l’ouvrage de Mourji (1996) pour une analyse du financement - dont informel - des micro-entreprises au Maroc).
Ce critère de taille de l’entreprise est souvent utilisé dans les études appliquées à l’analyse du comportement d’investissement dans un environnement avec contraintes financières. Les résultats suggèrent généralement que les petites entreprises ont en effet plus de difficulté pour accéder à des financement externes (Galeotti, Schiantarelli et Jaramillo, 1994, Harris, Schiantarelli et Siregar, 1994, Johansen, 1994, et Jaramillo, Schiantarelli et Weiss, 1996).
Les entreprises non exportatrices seraient plus touchées par les asymétries d’information. En effet, plusieurs raisons peuvent expliquer les avantages que les entreprises exportatrices peuvent avoir concernant leurs relations avec les banques:
une entreprise qui a su développer des relations avec des clients étrangers démontre sa capacité à diversifier son offre,
les transferts de devises, la possibilité de se couvrir contre le risque et les autres besoins financiers internationaux, mis en oeuvre auprès de la banque, permettent à cette dernière d’avoir de nombreuses informations concernant l’entreprise, et par la suite de construire une relation de confiance entre elles,
la banque ne peut être qu’intéressée par l’apport potentiel en devises que l’entreprise exportatrice peut lui fournir. Ainsi, la banque sera plus attentive à ce type d’entreprise,
enfin, les entreprises exportatrices peuvent avoir recours à des financements provenant d’autres sources, lui permettant de faire jouer la concurrence.
Au vu de cette analyse, il est raisonnable de penser que les problèmes d’accès à des financements externes toucheraient plus les petites entreprises et les entreprises non exportatrices.
Variable expliquée: Δ | 472 entreprises de 1989 à 1996 3096 observations |
|||
Non-exportatrices / exportatrices | Petites/Grandes | |||
Δ | 0,328 | (1,67)* | 0,361 | (1,83)* |
Δ | -0,775 | (3,30)*** | -0,808 | (3,39)*** |
Δ | 0,0002 | (6,72)*** | 0,0002 | (6,58)*** |
Δ | 0,0001 | (0,22) | 0,0002 | (0,33) |
Avant 1993 | ||||
Non expor ou petites | ||||
0,035 | (1,85)* | 0,015 | (0,47) | |
-0,0009 | (1,15) | 0,0004 | (0,31) | |
Expor ou grandes | ||||
0,049 | (2,09)** | 0,031 | (2,00)** | |
-0,0009 | (0,99) | -0,0007 | (1,08) | |
Après 1993 | ||||
Non expor ou petites | ||||
0,006 | (0,14) | -0,043 | (0,93) | |
0,007 | (0,65) | 0,023 | (2,56)*** | |
Expor ou grandes | ||||
-0,054 | (0,97) | 0,040 | (1,16) | |
0,030 | (0,63) | -0,012 | (1,82)* | |
Proba i | -0,061 | (0,77) | -0,045 | (0,66) |
Constante | 0,017 | (0,74) | -0,0045 | (0,66) |
Instruments | t-3, t-4, ... | t-3, t-4, ... | ||
Test de Sargan ; degrés de liberté | 59,06 | ; 34 | 59,16 | ; 34 |
Test de corrélation d’ordre 2 | -4,402 | -4,227 | ||
Test de Wald ; degrés de liberté | 308 | ; 13 | 5535 | ; 13 |
Se reporter aux notes du tableau 28.
L’estimation distinguant les entreprises en fonction du montant des exportations, semble indiquer que le comportement des entreprises exportatrices et non exportatrices n’est pas sensiblement différent. En effet, on retrouve les résultats obtenus dans le tableau 29: le coefficient α3, est significatif sur la période pré-libéralisation pour les deux types d’entreprises (exportatrices et non exportatrices), et ne l’est plus sur la période post-libéralisation ; pour le coefficient α4 il n’est pas significatif sur les deux périodes, quel que soit le type d’entreprise.
A court terme, il est possible que la libéralisation financière ait tendance à entraîner des problèmes d’information plus sévères : les banques font face à de nouvelles entreprises qu’elles n’ont pas eu le temps de connaître. En effet, dans un système de répression financière peu d’entreprises ont accès au crédit bancaire : ce sont surtout les grandes entreprises et les entreprises publiques. Ainsi, au Maroc, 45% des très petites entreprises n’avaient pas accès au crédit en 1990 (voir tableau 31).
D’autre part, le portefeuille des entreprises de la banque ne varie que peu dans le temps. Ce nombre restreint d’entreprises, qui ne connaissent que peu de changements dans le temps, permet aux banques de récolter des informations et de se faire une idée assez précise des entreprises auxquelles elles accordent des crédits. Cependant, parallèlement à la libéralisation financière, l’économie marocaine était en période d’ajustement structurel; les entreprises anciennement en croissance (car protégées) peuvent donc ne plus l’être. Les informations précédemment récoltées par les banques seront rapidement obsolètes et les problèmes d’asymétrie d’informations ne peuvent alors que s’accentuer.
Ce résultat est à rapprocher de ceux obtenus par Hoshi, Kashyap et Scharfstein (1990) dans le cas du Japon. En effet, les déréglementations financières ne sont pas limitées aux pays en développement. Au Japon, de telles réformes ont été mises en place au cours des années 70 et 80. De nombreuses entreprises ont réduit les liens qu’elles avaient avec les banques. Ces auteurs montrent que les entreprises ayant continué à entretenir des liens avec leurs banques sont moins contraintes que les autres entreprises.
Nombre d’entreprises | Nombre d’entreprises non endettées | Entreprises non endettées (%) | Ratio moyen dettes sur capital | |
Très petites (1 à 9 employés) | 167 | 76 | 45,5% | 15,5% |
Petites (10 à 19 employés) | 155 | 32 | 20,6% | 14,1% |
Moyennes (20 à 59 employés) | 141 | 11 | 7,8% | 38,7% |
Grandes (Plus de 60 employés) | 150 | 6 | 4,0% | 40,8% |
Toutes | 613 | 125 | 20,4% | 26,7% |
Ces résultats rappellent l’analyse menée dans le chapitre introductif. En effet, nous avons alors indiqué que la Banque Mondiale (1994) a constaté que la plupart des grandes entreprises bien implantées empruntent trop, par rapport à leurs fonds propres, alors que pour les petites entreprises, en particulier celles nouvellement créées, l’accès au financement bancaire apparaît comme un obstacle majeur. Pour illustrer ce propos, le tableau 31 montre en effet que 45% des très petites entreprises de l’échantillon (1 à 9 employés permanents) n’ont pas accès au crédit, tandis que cette part n’est que de 4% pour les entreprises à plus de 60 employés. On note d’autre part que les entreprises les plus endettées sont celles de grande taille.
Des résultats similaires sont obtenus lorsque l’on distingue les entreprises en fonction de leur statut: privées nationales/publiques/étrangères.