Conclusion générale

Les liens entre libéralisation et croissance économique traditionnellement mis en avant se fondent sur des hypothèses qui se révèlent peu pertinentes dans le cas du système financier marocain. En effet, trois types de distorsions caractérisent le comportement des agents sur ce marché. Tout d’abord, un manque de concurrence qui ne permet pas l’amélioration de l’efficience productive des intermédiaires financiers, ensuite, l’intervention de l’Etat contraignant l’efficience allocative des banques, et enfin, l’imperfection de l’information qui conduit à l’exclusion de certaines entreprises du marché du crédit; cette dernière observation démonte l’importance de l’efficience informationnelle dans l’analyse des impacts d’une libéralisation. Ces trois déclinaisons du concept d’efficience fournissent un cadre d’analyse approprié à l’étude de l’évolution des comportements sur un marché des capitaux instable comme l’est celui du Maroc.

L’effet de la libéralisation financière sur le développement économique est traditionnellement appréhendé au travers du lien entre épargne et investissement, décrivant l’allocation des fonds prétables aux agents économiques. Cela suppose, dans le cas du financement des entreprises, une analyse en termes d’efficacité allocative et informationnelle des intermédiaires financiers. Ce que ces approches ne prennent pas en compte et qui a été développé dans cette thèse, concerne l’efficacité des structures qui contribuent à cette intermédiation.

Au Maroc, les banques constituent la source de financement externe privilégiée des entreprises. L’efficacité productive de celles-ci est donc incontournable pour la réussite des libéralisations financières. Pour évaluer dans quelles mesures l’efficacité productive des banques marocaines s’est améliorée à la suite des mesures de libéralisation, deux analyses complémentaires ont été menées. Elles ont été permises par le développement des modèles représentant la banque comme une gérante de portefeuilles et comme une entreprise de services, dans une approche industrielle. L’activité d’intermédiation de la banque a ainsi pu être explicitement prise en compte, ce qui, dans un contexte où les activités sont de plus en plus intermédiées par les organisations, est essentiel.

Cependant, le développement de ces deux modèles a montré la difficulté de l’évaluation de l’impact des réformes lorsque celles-ci interviennent de façon simultanée, appelant le recours à la mise en place de tests et d’analyses statistiques. La méthode d’enveloppement des données est alors apparue appropriée à la mesure de l’évolution de la performance des banques. Cette méthode permet en particulier de distinguer dans l’évolution de leur productivité, la part provenant du progrès technologique et celle résultant de l’amélioration de leur efficacité technique. L’utilisation de cette méthode permet de prendre en compte la spécificité de la production bancaire caractérisée par des inputs et des outputs multiples. La décomposition de la productivité des banques en ses composantes efficacité technique et progrès technologique a été rendue possible par l’utilisation de l’indice de Malmquist. Les résultats obtenus à ce niveaux montrent que l’évolution de la productivité des banques marocaines est en fait expliquée en grande partie par les mouvements de la technologie et de l’environnement macro-économique. Les effets attendus de la libéralisation financière sur la performance des banques n’ont pas eu lieu; la concurrence attendue n’a pu se mettre en place n’encourageant pas les banques à profiter du nouvel environnement de marché pour améliorer leur efficacité technique. En effet, l’évolution de leur productivité est avant tout expliquée par le progrès technologique qu’a connu le secteur bancaire.

Cependant, bien que l’efficacité technique des banques ne se soit pas modifiée, il convenait de s’interroger sur une possible modification du comportement des banques quant à l’allocation du crédit qui était fortement dirigée. En effet, dans les années quatre-vingt, l’intervention des pouvoirs publics dans l’allocation du crédit a entraîné une forte segmentation du système bancaire, en faveur des entreprises exportatrices ou appartenant à des secteurs prioritaires. Les effets négatifs de ce type de mécanismes d’allocation ont motivé la mise en place de mesures de désencadrement du crédit. Elles avaient pour but de rétablir la concurrence entre les banques et de favoriser le financement des entreprises les plus performantes. Cependant la réussite de telles réformes nécessite l’existence d’un marché du crédit parfaitement concurrentiel. A l’aide de la littérature introduisant l’existence d’imperfections d’information entre la banque et son client, nous avons montré que les banques ne financent pas les entreprise qui sont les plus performantes mais plutôt les entreprise de grande taille, ou celles ayant des liens privilégiés avec la banque. Les critères de performances économiques des entreprises, telle que l’efficience technique, ne sont pas retenus par les banques. Dans ce cas, le bien-fondé de l’intervention de l’Etat sur le marché des capitaux peut être soutenu et prend la forme de garanties ou de subventions.

L’utilisation d’un panel de 613 entreprises marocaines suivies sur la période 1987-1996, constituant une base de données riche, en particulier pour une économie en développement, a permis d’étudier l’évolution de l’efficience de la distribution des crédits en fonction de l’efficacité technique des entreprises. Une frontière de production stochastique a été estimée pour obtenir une mesure de l’efficience des entreprises qui soit variable dans le temps. La distinction de deux sous périodes, la première correspondant à la période pré-libéralisation, la seconde à la période post-libéralisation, montre qu’à la suite du désengagement de l’Etat, l’allocation du crédit ne suit pas encore une logique de marché. En effet, les banques n’utilisent pas encore les critères basés sur les caractéristiques observables des entreprises pour sélectionner leurs clients. Les entreprises efficaces techniquement avaient en fait plus facilement accès aux crédits avant la mise en place des réformes financières. Ce résultat trouve son explication dans le comportement des banques face à un nouvel environnement qui leur assigne les tâches pour lesquelles elles n’ont pas encore développé de compétences. L’expérience du Maroc montre la nécessité d’un apprentissage des banques afin de pouvoir prendre en charge la sélection de leurs clients.

Après avoir étudié le comportement des banques en matière d’allocation du crédit, nous avons pu observer que les entreprises les plus performantes n’ont pas toujours accès au financement. Pour percevoir alors comment les entreprises sont touchées par le rationnement du crédit, il est apparu nécessaire de s’interroger sur leur comportement en ce qui concerne leur demande d’investissement.

Pour cela deux types de contraintes ont été mises en évidence : d’une part, des contraintes exogènes dues aux interventions publiques sur le marché du crédit, et d’autre part, des contraintes endogènes au comportement des banques et dues à l’existence d’asymétries d’information sur ce marché. Ainsi, la présence de problèmes d’information dans une économie en développement ne permet pas systématiquement à une libéralisation financière l’amélioration des conditions d’accès à la finance externe, et cela particulièrement pour les entreprises les plus fragiles. En prenant en compte les contraintes exogènes ou endogènes sur le marché financier, le principe d’indépendance de Modigliani et Miller n’est plus valide. Dans ce cas, les variables financières d’une entreprise déterminent le montant d’investissement réalisable. C’est précisément sur cette relation que repose le modèle proposé permettant de distinguer une situation caractérisée par des contraintes de financement d’une situation sans contrainte. En suivant la démarche adoptée par les travaux récents analysant les effets des changements structurels des marchés financiers sur la contrainte de crédit des entreprises, nous estimons un modèle d’investissement à coûts d’ajustement. Ce modèle est dérivé d’un programme de maximisation de la valeur de l’entreprise. L’originalité de ce développement est la prise en compte de différents types de contraintes auxquelles sont soumises les entreprises. Les deux contraintes introduites correspondent d’une part, à un plafonnement du niveau d’endettement et d’autre part, à la prise en compte d’une prime à la finance externe. Ce modèle aboutit à une équation testable de type ’équation d’Euler’. Là encore, le panel d’entreprises est mis à contribution dans l’analyse. Les résultats montrent l’existence de primes de l’accès à un financement externe qui relève de l’asymétrie d’information dans la relation de crédit. A court terme, ces coûts s’aggravent à la suite de la libéralisation financière, les banques faisant payer plus cher le nouveau risque dont elles ont la charge. Cela démontre bien la nécessité de la mise en place de procédures permettant de mieux connaître les entreprises et d’analyser les projets d’investissement à financer.

Les estimations menées dans les différents chapitres de la thèse, rendues possibles grâce à l’utilisation de données de panel d’entreprises, constituent une avancée dans la compréhension des mécanismes de distribution du crédit dans une économie en développement ayant connu de profondes modifications comme l’illustre le cas du Maroc. Les différents programmes d’ajustement et de stabilisation ont remis en cause les clivages institutionnels traditionnellement observés sur les marchés des capitaux de ces pays. Les politiques stratégiques de distribution du crédit des banques se sont alors substituées aux contraintes imposées par les pouvoirs publics. Les entreprises font ainsi toujours face à de lourdes contraintes de financement que seules des institutions efficaces pourraient résorber. Celles-ci s’emploieraient à faciliter l’accès au crédit à des entreprises fragiles, à favoriser la circulation de l’information entre agents économiques ou encore à améliorer le cadre juridique.