‘« Si j’avais perdu la vue, je serais devenu philosophe. Au lieu de cela, je peins. Cela me convient mieux de peindre que d’écrire ou parler’ » commentait Edvard Munch à la fin de sa vie.1
De la part de l’un de nos plus grands peintres modernes, de ceux qui ont contribué à affranchir la peinture des exigences discursives et rationalistes du XIXe siècle pour l’engager sur le chemin de l’absolu sensitif, une telle formule mérite considération. L’artiste semble en effet accorder à la picturalité une valeur en définitive très relative. Ainsi l’acte de peindre ne constituerait pas une entité autonome dictée par sa propre nécessité, mais ne serait qu’un outil au service du discours, un langage parmi d’autres – qu’ils soient verbaux ou artistiques - devenant dès lors remplaçable ou traduisible. Mais cette conception porte en elle son propre paradoxe. Si Munch se reconnaît une plus grande accessibilité à la peinture, n’est-ce pas l’aveu qu’il n’aurait pu énoncer ce qu’il a peint ? De même que la linguistique reconnaît les limites du concept de traduction des langues, peut-on parler d’équivalence ou d’interchangeabilité des arts ? Un artiste s’exprime-t-il véritablement de la même façon quel que soit son domaine ? Cette question est de celles qui ont tourmenté penseurs et artistes depuis la naissance de l’Art.
« Det er bedre for meg ... » (litt. « c’est mieux pour moi de peindre que d’écrire ou parler »).
R. Stenersen, Nærbilde av et geni, Oslo, 1945, p.132. Les pages indiquées tout au long de notre étude sont celles de la version originale ; une édition anglaise (Close-up of a genius) existe cependant.