Un corpus exceptionnellement hétéroclite

L’impression première qui domine l’étude de ce corpus est celle d’une incroyable hétérogénéité, qui se manifeste dans les domaines tant techniques que stylistiques ou thématiques.

Hétérogénéité des techniques, dans le choix du support comme du medium : peinture (huile, gouache ou détrempe sur toile ou panneau), aquarelle, estampe (lithographie ou xylographie), dessin au crayon, crayon gras, fusain, encre, pinceau, plume, pastel sont autant de possibilités exploitées par l’artiste. Les papiers sont d’épaisseur et de qualité variable, dans des tons allant du blanc au brun, soit feuilles autonomes soit carnets à dessin ; les formats s’échelonnent du 90 x 150 mm au 502 x 650 mm pour la production graphique, entre 47.7 x 67.7 cm et 73 x 102 cm pour les peintures, les dimensions étant d’autant plus variables que l’artiste n’hésitait pas à arracher ou découper les feuilles.

Hétérogénéité des styles également, car Munch a non seulement adapté sa facture à chaque technique différente, mais en outre a multiplié les propositions stylistiques à l’intérieur d’une même option ; cette diversité formelle s’impose à la lecture des propositions sur une même scène, comme en témoignent les séries graphiques sur Peer Gynt ou John-Gabriel Borkman.

Hétérogénéité des thèmes, encore, puisque tant les pièces que les morceaux choisis à l’intérieur de celles-ci sont abordés de façon aléatoire, certains faisant l’objet d’un seul dessin, d’autres de plus d’une dizaine de propositions, telle la dernière scène de JohnGabriel Borkman qui, à elle seule, totalise dix-sept variantes.

Hétérogénéité enfin dans la qualité de ces ouvrages, pour la grande majorité archives privées qui, comme telles, ne prétendent pas à une constance artistique au plus haut niveau. Au besoin d’exercice graphique de Munch s’ajoute son attitude particulièrement fétichiste envers toute production, qui le pousse à conserver même les jets dont il n’est pas satisfait. Ce choix, appliqué nous l’avons vu dans le domaine littéraire, mais également dans le domaine pictural - l’artiste préférant arrêter un tableau à un stade précis de sa conception et le reprendre sur une autre toile plutôt que de procéder à des corrections dont il n’est pas absolument certain - n’est pas pour faciliter le tri entre ce qui était et n’était pas considéré par l’artiste lui-même comme digne d’intérêt. Si dans les cas des travaux scénographiques et d’illustration, l’indication du statut final que constitue l’existence de peintures et gravures permet une analyse du processus de conception, pour la majorité de la production cette référence n’existe pas et les dessins se succèdent sans autre indication. Tout un corpus dans lequel ébauches, croquis et expérimentations n’ayant pas de valeur autre que celle de l’exercice voisinent avec quelques oeuvres remarquables, existe ainsi sans que l’on sache à quelles propositions l’artiste a pu accorder le statut de résultat final.

Force est cependant de trouver certains critères nous aidant à définir une logique de création. C’est ainsi que, sans consituer une règle absolue, certaines dominantes techniques émergent en relation avec le choix des pièces : la totalité des peintures portent sur Les Revenants et Hedda Gabler, tandis que seule la pièce Les Prétendants à la couronne a fait l’objet d’une suite continue de gravures. Dans les trois autres pièces, en revanche, le dessin domine dans la grande majorité. C’est en effet dans l’origine et la destination des oeuvres que réside l’explication d’un tel polymorphisme, et il convient dès lors de retracer la genèse de ce corpus dans une chronologie de l’artiste et de son oeuvre. En effet, les différentes circonstances dans lesquelles les ouvrages ont vu le jour permettent de comprendre la nature de la relation qu’entretient Munch avec l’oeuvre d’Ibsen, et en particulier son caractère évolutif, car le programme de John-Gabriel Borkman réalisé en 1897 pour le Théâtre de l’OEuvre et la série de variations que l’artiste exécute inlassablement à la fin de sa vie sur la dernière scène de la même pièce ont bien peu en commun.