Ces caractéristiques de la création scénographique de l’artiste vont s’affirmant dans la production ultérieure. Pour autant que le nombre réduit d’oeuvres qui subsistent permette d’en juger, elles réapparaissent d’autant plus marquées dans les esquisses d’Hedda Gabler. L’artiste a réitéré sa méthode d’approche utilisée pour Les Revenants : d’une part, plusieurs croquis à fonction purement scénographique – une gouache (fig. 22) et un dessin au crayon, encre et aquarelle (fig.102), propositions précises et naturalistes de décor 422 - d’autre part des esquisses d’ambiance libérées des contraintes scénographiques, à vocation essentiellement sensible.
Les épisodes dramatiques sont toujours moins étudiés, et les trois scènes sont impossibles à situer dans l’action : la vision d’Hedda posant les mains sur les épaules de Théa (fig. 23), restitue la relation et le rapport de forces entre les deux femmes prévalant dans toute la pièce, mais ne définit pas un moment précis du drame, et pourrait correspondre à chacune des deux scènes où les deux femmes sont ensemble, dans l’acte I ou II, d’autant que le cadrage resserré autour d’elles peut laisser échapper d’autres personnages autour. Quant aux deux autres esquisses, elles donnent un portrait d’Hedda seule, interdisant toute identification précise. Tout au plus sait-on par le costume de l’héroïne qu’un dessin (fig. 24) se situe au dernier acte, lorsque la robe de deuil que porte Hedda laisse augurer l’imminence de sa propre fin. Les esquisses ne sont plus des scènes narratives comme pouvaient l’être malgré tout celles des Revenants, mais se lisent comme des portraits successifs et complémentaires, sorte de kaléidoscope restituant les différentes facettes de la psychologie complexe de l’héroïne. Dans un espace cette fois définitivement bi-dimensionnel, le cadrage oublie l’espace scénique pour se resserrer autour du personnage principal, le décor n’étant figuré que lorsqu’il prend une fonction symbolique en interaction avec les protagonistes. En revanche apparaît un élément totalement occulté jusqu’ici : la caractérisation des personnages. Celle-ci repose d’abord sur la symbolique des couleurs et des formes, les figures restant réduites à l’état de silhouettes (fig. 23, fig. 25), puis le portrait d’Hedda au troisième acte (fig. 24) montre pour la première fois une véritable étude de personnage.
La caractérisation physionomique va devenir un élément essentiel des productions ultérieures, et prendre peu à peu le pas sur la vision scénique, accompagnant la transition qu’effectue l’artiste de la scénographie à l’illustration. Les premiers dessins de John-Gabriel Borkman sont exemplaires de ce glissement opéré de la mise en scène vers la mise en fiction. Lorsqu’il aborde le domaine de l’illustration pour la première fois, en 1909, Munch reste encore marqué par l’approche scénographique qu’il avait, bon gré mal gré, subie ; mais la lecture spontanée et intime du texte qu’il peut désormais mener va l’en libérer progressivement.
La mention d’Hermann Bahr - « ci-jointes, vos propositions qui me plaisent le plus » dans sa lettre du 6 décembre (citée in cat. 1976, Zürich, p. 35) laisse supposer que l’artiste a exécuté un certain nombre de croquis différents sur le décor exclusivement.