Annexe 5 : Traduction d’extraits du Journal de Ludvig Ravensberg (janvier 1910). Manuscrit et transcription, Oslo, Munch-museet, Département de Documentation.

Le style et la ponctuation de l’auteur sont respectés. Les mots entre crochets sont des retranscriptions sous réserve.

Ludvig Ravensberg est depuis Noël 1909 à Skrubben chez Munch. Il rapporte, souvent au style direct, les propos de l’artiste.

01.01.1910

Ibsen a vu la tragédie qui se déroule dans chaque foyer, ce que les autres ne remarquent pas, il a levé le masque et regardé derrière.

02.01.1910

Il s’est donc remis ces derniers jours aux dessins d’Ibsen. John-Gabriel Borkman fait les cent pas dans sa chambre, corpulent et larg d’épaules. Deux dessins de lui, recroquevillé sur le banc, en particulier un où il donne l’impression de tomber sur le spectateur. Munch n’aime pas beaucoup ces dessins, il a l’impression désagréable que ces dessins ont l’air .. [anglais ??]

04.01.1910

On doit être honnête dans la vie, mais pas envers une femme, car alors on perd la partie. (!)

05.01.1910

Van Gogh fut comme une comète il a brûlé en cinq ans, il est devenu fou d’avoir peint sous le soleil sans chapeau et il a perdu ses cheveux, il s’est nourri de la fièvre que le soleil lui donnait, et de la densité fluide que les couleurs sur la palette prennent au soleil.

(..) A l’occasion de trois magnifiques dessins de Johan-Gabriel Borkman, Munch m’a raconté qu’Ibsen lui avait dit il va sortir encore une fois quelque chose de diabolique de moi, quelque chose pour vous. Et Ibsen s’est senti comme enseveli dans ce pays, c’est lui-même et la Norvège qu’il a en tête.

07.01.1910

J’ai eu trois victoires ces derniers temps, d’abord la Sécession berlinoise, puis Charlottenburg, enfin l’union des artistes graphiques (l’article d’Hannovre du 6/1 10) , et d’autant plus remarquable que c’est Copenhague, ville pleine d’ennui, et pourtant je dois tourner en rond et me sentir comme un Johan-Gabriel Borkman. Je comprends Ibsen, nous avions de la sympathie l’un pour l’autre. Je me souviens, je crois que c’était en 1896 l’étonnement de mes amis quand Ibsen un beau jour de printemps (..) est venu et s’est assis à ma table au Grand. C’était quelque chose d’incroyable. Tu le connaissais avant - Non mais j’avais laissé ma carte chez lui une fois. On a beaucoup parlé ensemble, tout ce qu’il disait était énigmatique. Il a dit : il vous arrivera ce qui m’est arrivé, simplement tenez bon et vous verrez que pour chaque ennemi que vous vous ferez vous aurez des amis.

C’est vrai que j’ai été un peu déçu quand j’ai lu plus tard qu’il avait dit exactement la même chose à John Paulsen. Pourtant, cela ne s’est pas très bien terminé entre nous. Malheureusement, j’étais déjà à cette époque en lutte avec cette fille, j’habitais rue de l’Université (Hauge était parti) dans ma petite chambre, une fois je me suis senti malade soudainement sur Karl Johan , le coeur qui palpite, fiévreux, je suis rentré au Grand Hôtel, j’ai pris une chambre, je ne voulais pas être seul chez moi si j’étais malade. Le soir, je suis descendu dans la salle de lecture, je suis resté avec Pettersen et Vaitz pour discuter de gravures, on a bu quelque chose et on devait partir, quand je vois le serveur debout qui refuse de s’en aller, il veut être payé, je dis que j’ai une chambre ici et je lui demande de mettre ça sur ma note comme on le fait dans tous les hôtels. Le serveur devient grossier. Je vais voir Ibsen pour me plaindre, c’est vrai que j’avais pas mal bu pour calmer ma bronchite.

Vous devriez faire comme moi, je paye toujours, voyez-vous, et il sort de la monnaie. Eh bien, Ibsen, nous ne nous reverrons plus. Et cela s’est réalisé, il est tombé malade, moi aussi, et je ne l’ai plus jamais rencontré. Depuis, je me suis souvent dit que je l’avais peut-être blessé. Il devait se sentir aussi timide et solitaire que moi, et n’avait peut-être pas envie de parler avec un homme ivre, il voulait se débarrasser de moi, mon état était celui de Quand nous nous réveillerons d’entre les morts. Il se sentait seul et abandonné, agressé, oui même ces salauds de Morgenstjerne ont refusé de le recevoir quand il est rentré de l’étranger. Johan Gabriel Borkman, c’est Ibsen, d’abord il a voulu écrire sur quelqu’un de ce genre, ensuite c’est lui qu’il avait en tête. Je me suis permis une fois de remercier Ibsen pour son oeuvre merveilleuse, il n’a pas aimé, vous devez n’être reconnaissant qu’à vous-même, Mr Munch, a-t-il dit.

(..) Ibsen a jeté un énorme pavé dans la mare.

09.01.1910

Il pense qu’Ibsen survivra au temps comme Holberg, mais pas Bjørnson. Il voit en Ibsen un sorcier, et ne croit pas qu’il voulait dans Maison de poupée que les femmes abandonnent leur mari, tout se termine en question, en énigme. Il pense que comme beaucoup de gens nerveux et méditatifs il a pu se dédoubler et s’examiner lui-même.