Introduction

Nous proposons une analyse contrastive syntaxique et sémantique des relatives et des complétives du nom en français et en coréen.

Pourquoi étudier ces deux types de propositions déterminatives, c’est-à-dire des propositions enchâssées dans un constituant nominal qu’elles viennent déterminer, alors qu’elles sont déjà abondamment traitées par des linguistes de chaque langue ? Certes, nombreuses sont les études menées sur l’une ou l’autre dans le système de chaque langue. Mais, à notre connaissance, il y a très peu d’études syntaxiques et sémantiques effectuées sur ces deux types de propositions déterminatives en même temps dans une perspective contrastive, alors que leur confrontation offre, sous un autre angle, un éclairage intéressant sur certains problèmes que pose leur description dans les deux langues.

Précisons que, de ces deux types, les relatives sont les propositions déterminatives les plus étudiées par les linguistes tant en linguistique particulière qu’en linguistique générale. Ainsi on constate qu’il existe un nombre important d’études effectuées sur les relatives du français mais aussi d’autres langues surtout indo-européennes. En coréen, les relatives équivalentes appelées « kwankye kwanhyNcOl » (cf. « proposition déterminative relative »), ont fait l’objet également de quelques études écrites en français qui ont été présentées dans des revues françaises spécialisées en linguistique ou dans des grammaires du coréen écrites en français, ou encore des thèses où celles-ci n’étaient pas l’objet d’étude principal, mais ont été toutefois partiellement étudiées. Mais la plupart de ces analyses ne donnent qu’un aperçu sur les subordonnées en question, sans aller jusqu’à aborder les problèmes que soulève leur description, alors que, comme nous allons le voir, celle-ci est souvent semée d’embûches. C’est pourquoi nous avons estimé qu’il était nécessaire d’en faire une analyse plus approfondie, tout en traitant les difficultés d’analyse qu’elles suscitent. Surtout on se convaincra qu’on ne peut parler de relatives en coréen sans observer l’autre type de propositions déterminatives, à savoir « toNkyOk kwanhyNcOl » (cf. « propositions déterminatives appositives », fonctionnellement comparables aux complétives du nom en français, car ces dernières manifestent à bien des égards des caractéristiques semblables aux premières, à tel point que la question de leur identification mérite d’être posée. D’où la nécessité d’étudier les relatives dans leur rapport avec ces propositions déterminatives non-relatives que l’on va étiqueter par le même terme français de « complétives du nom ».

Bien entendu, l’intérêt de ce travail ne réside pas simplement dans la présentation d’une analyse sémantico-syntaxique des relatives du coréen et de leurs structures voisines qui viserait à combler certaines lacunes observées dans ce domaine de recherche. Notre intérêt se porte avant tout sur une approche contrastive des propositions déterminatives en français et en coréen, afin d’en tirer des constatations et des réflexions théoriques et pratiques qui, nous l’espérons, contribueront à une description plus claire et en même temps plus nuancée des propositions déterminatives des deux langues.

Cette approche contrastive, telle que nous l’entendons dans ce travail, est très bien décrite et justifiée par H. Adamczewski (1990, 7) dont nous citons les paroles :

‘« On sait aujourd’hui qu’il est impossible de comprendre la grammaire d’une langue si l’on ne l’analyse pas dans la perspective du fonctionnement du langage, c’est-à-dire si l’on fait abstraction des autres langues. Or les langues s’entre-éclairent les unes les autres et ce pour une raison aussi simple que fondamentale : c’est que les opérations profondes (les mécanismes abstraits) sont grosso modo les mêmes. Ce qui change, ce sont les traces en surface de ces opérations. Ce sont elles qui sont particulières à telles ou telle langue et c’est ce fait qui est à l’origine de la diversité apparente des langues.» (1990, 7).’

On peut en dire autant en ce qui concerne les propositions déterminatives en français et en coréen qui se distinguent en relatives et complétives du nom, lesquelles résultent des mêmes opérations, à savoir la relativisation et la complémentation. Ce qui change, ce sont les traces en surface de ces deux opérations qui se réalisent différemment d’une langue à l’autre, avec des contraintes, imposées par leur système respectif, différentes. C’est ce que nous allons observer dans ce qui suit.

Pour observer ces réalisations en surface et ces contraintes, nous reprendrons globalement l’idée de distinguer les propositions déterminatives en deux sous-ensembles, relatives et complétives du nom, idée qui est largement répandue dans la description grammaticale des deux langues et aussi en linguistique générale. Néanmoins, on ne manquera pas d’aborder le problème de leurs critères de reconnaissance respectifs, car on rencontre, un peu plus fréquemment en coréen qu’en français, des cas problématiques où cette distinction est ambiguë.

Notre ambition ici n’est pas de proposer un modèle de description quelconque, mais seulement de contribuer, à partir de l’examen de propositions déterminatives réellement attestées dans les deux langues, à mieux formuler un certain nombre de problèmes que pose la description de telles constructions des deux langues. Ceci étant dit, nous n’allons pas comparer systématiquement et de façon linéaire les relatives et les complétives du nom des deux langues, comme on le ferait dans une grammaire méthodique.

Lié à ce fait, il convient de préciser que nous n’adopterons pas ici une démarche méthodologique qui consisterait à partir d’un modèle théorique particulier dans le but de le développer ou d’en tester les limites. Tout en reconnaissant l’utilité de ce type d’approche, nous préférons aborder la description de ces subordonnées déterminatives, en intégrant, de façon aussi cohérente que possible, des idées qui peuvent être d’inspiration très diverse mais qui paraissent aussi dignes d’intérêt par les réponses qu’elles fournissent à certaines questions revenant régulièrement.

Pour expliquer le plan de notre travail, il ne semble pas inutile d’évoquer ce qui l’a motivé. L’idée d’étudier les subordonnées déterminatives en français et en coréen nous est venue après avoir constaté, en confrontant un texte français avec sa traduction coréenne, un contraste très net entre les formes linguistiques utilisées comme modificateurs d’un nom : qu’elle soit seule ou accompagnée de constituants nominaux qu’elle organise en tant que noyau prédicatif, une forme linguistique, à savoir celle marquée par un suffixe déterminatif ([nIn / In / Il]), figurait abondamment comme modificateur d’un nom dans le texte coréen, là où le français utilisait des formes linguistiques de classes et de constructions très diverses tels que les adjectifs, les syntagmes nominaux prépositionnels, les constructions infinitives et participiales, les subordonnées relatives et les complétives du nom. C’est ce contraste qui, nous l’avouons, nous a permis de nous rendre compte de l’occurrence extrêmement fréquente de cette forme verbale dite « forme déterminative » spécifique des deux types de propositions déterminatives en coréen, et nous a donc incitée à nous y intéresser davantage de même qu’aux constructions propositionnelles incluant celle-ci comme noyau prédicatif régissant des constituants nominaux, et aux formes linguistiques du français qui leur correspondent. Etant donné que nous avions au départ des connaissances linguistiques très vagues sur ces formes linguistiques dans les deux langues, nous nous sommes posée préalablement un certain nombre de questions : comment expliquer l’utilisation si fréquente des formes linguistiques marquées par un des suffixes déterminatifs ([nIn / In / Il]) en coréen ? Quelle est leur nature ? quels rôles les constructions propositionnelles dans lesquelles ces formes déterminatives apparaissent assument-elles ? Comment qualifier leur nature ? Quelles sont les formes linguistiques du français qui leur correspondent ? Comment peut-on parler de propositions relatives dans une langue comme le coréen qui ne possède pas de pronoms relatifs dans son système ? Qu’est-ce qui est commun aux relatives du français et à leurs équivalentes du coréen ? En quoi sont-elles différentes les unes des autres ? etc. Parmi tant de questions, beaucoup nous serviront de fil conducteur dans le choix des objets d’analyse qui vont être développés dans ce qui suit.

Ces objets d’ analyse se répartissent dans 9 chapitres.

Le chapitre 0 s’efforce de justifier notre emploi des termes fondamentaux comme le sujet, l’objet, les particules nominative, accusative, topique, que nous utiliserons pour décrire les éléments constitutifs de la phrase en coréen. L’utilisation de tels termes, aussi fondamentaux qu’ils soient, dans la description du coréen n’est pas unanimément admise par les linguistes. Les questions abordées dans ce chapitre ne concernent pas toutefois directement l’objet principal de notre étude (d’où sa numérotation).

Le chapitre 1 sera essentiellement consacré aux notions de « proposition » et de « déterminant nominal » sous-jacentes à l’emploi du terme de « propositions déterminatives », dont la conception varie d’un linguiste à l’autre. Il est proposé de prendre avec son sens le plus large le terme de proposition déterminative pour désigner de manière générale les constituants phrastiques s’adjoignant à un substantif pour en préciser le signifié, les constituants phrastiques pouvant être composés tantôt d’un seul noyau prédicatif verbal, tantôt de la combinaison d’un noyau prédicatif verbal avec des constituants nominaux qui en constituent les arguments. Ceci nous amènera à considérer comme des propositions déterminatives non seulement les constructions à verbe fini, généralement introduites par une conjonction ou un pronom relatif, mais aussi les constructions à verbe non-fini comme les constructions infinitives et participiales en français. En coréen, les formes verbales déterminatives seront envisagées comme des propositions déterminatives, qu’elles soient seules ou combinées avec des arguments nominaux.

Le chapitre 2 examine la modification des formes verbales du coréen dans le cadre de la subordination d’une phrase dans une autre. La forme verbale de la proposition subordonnée est en effet différente de celle de la proposition principale (ou d’une phrase indépendante). Les lecteurs seront ainsi à même de mieux cerner les caractéristiques des séquences verbales des propositions déterminatives de cette langue. A la suite d’une brève présentation des formes verbales de la proposition principale et de la proposition subordonnée, nous examinerons de façon relativement détaillée les formes verbales des propositions déterminatives marquées respectivement par les suffixes déterminatifs [nIn], [In], [Il] et [tOn] qui indiquent non seulement la subordination de celles-ci à un substantif, mais aussi d’autres valeurs généralement associées au verbe. A la différence de l’analyse traditionnelle qui considère ces suffixes comme des marqueurs des valeurs temporelles « passé », « présent » et « futur », nous proposons de saisir leurs valeurs sémantiques intrinsèques sur la base des catégories aspecto-modales.

Le chapitre 3 traite des modificateurs du nom dans les syntagmes de types adjectivaux et nominaux souvent prépositionnels (y compris des syntagmes génitivaux introduits par de) du français et de leurs équivalents du coréen. Nous verrons notamment dans quelle mesure le coréen, n’ayant pas de classe d’adjectifs qualificatifs contrairement au français, recourt au mécanisme de la relativisation pour créer leur équivalent. Nous proposerons d’analyser les formes déterminatives de verbes qualificatifs, souvent traitées à l’égal des adjectifs qualificatifs du français, comme résultant de la relativisation et non de la dérivation lexicale contrairement à ce que le laisse croire l’analyse couramment proposée. Quant aux syntagmes nominaux en fonction de déterminant nominal, nous verrons que si les deux langues connaissent des constructions directe (N1 N2) et indirecte (N1-relateur-N2), leurs emplois sont assez différents d’une langue à l’autre. On constatera surtout que le coréen, ne connaissant pas de constructions équivalentes aux syntagmes nominaux introduits par des prépositions autres que de en français, met en jeu là aussi le mécanisme de la relativisation afin de récupérer des équivalents sémantiques.

Le chapitre 4 aura pour fonction de présenter la manière usuelle dont les grammaires des deux langues décrivent les relatives. Sera présenté ensuite l’état des lieux des études sur les relatives du coréen (souvent inconnues ou mal connues par les linguistes occidentaux), afin de montrer les principales préoccupations des linguistes de cette langue.

Dans le chapitre 5 seront examinées les caractéristiques morphosyntaxiques que présentent les relatives, y compris les relatives dites non-standard, en français et en coréen. Pour que l’approche contrastive des relatives de ces deux langues si différentes soit possible, sans nous heurter à des définitions restrictives, souvent établies sur la base de telle ou telle caractéristique morphologique particulière d’une langue, notre étude sera basée sur les travaux typologiques de linguistes qui ont déjà travaillé sur les relatives de langues très diverses. Autrement dit, les résultats de ces travaux nous offrent un cadre d’analyse qui nous permettra de mesurer les variations et d’entrevoir les invariants dans les relatives des deux langues, et inversement, les résultats de l’analyse contrastive de celles-ci apporteront des informations intéressantes dans l’optique de la linguistique typologique.

Dans le chapitre 6, l’analyse des fonctions relativisables des deux langues sera envisagée de façon détaillée à la fois du point de vue de l’encodage et du point de vue du décodage. Nous verrons en effet que les problèmes se posent différemment selon que l’on adopte l’un ou l’autre point de vue et sont également différents d’une langue à l’autre. Du point de vue de l’encodage, l’analyse des fonctions relativisables consistera à montrer quelles sont les fonctions syntaxiques accessibles à la relativisation dans les deux langues. Corrélativement, le point de vue du décodage permettra de traiter le problème de leur reconnaissance, c’est-à-dire le problème de l’identification de la fonction du terme nominal relativisé. A partir de ces deux points de vue sera analysé, en particulier le cas de la relativisation des circonstants, qui pose généralement davantage de difficultés en coréen qu’en français. Nous verrons en outre le cas de la relativisation des termes nominaux constitutifs d’un type particulier de structures phrastiques en coréen, traditionnellement appelé « phrase à double sujet », mais que nous proposons de désigner ici par « structure ou phrase tandem ».

Dans le chapitre 7 seront étudiées les propositions subordonnées dites « complétives du nom » en français et en coréen qui ressemblent aux relatives à bien des égards. Les critères utilisés pour identifier ces deux types de propositions déterminatives feront donc l’objet d’une attention particulière. Cet examen débouchera notamment sur des remarques critiques à propos de ces critères que les grammaires des deux langues établissent souvent sans prendre en compte les variations de chacune de ces propositions déterminatives qui sont pourtant attestées dans une langue comme dans l’autre.

Le dernier chapitre sera consacré à une analyse des propositions déterminatives du coréen entrant dans un processus de « dégrammaticalisation » en comparaison avec leurs équivalents français.

Enfin, notre propos étant d’étudier les deux types de propositions déterminatives dans une perspective différentielle, il nous semblait intéressant de travailler à partir d’un texte français et de sa traduction en coréen et inversement d’un texte coréen et de sa traduction française. Ce corpus permettra avant tout de déceler des phénomènes récurrents à travers les transferts effectivement réalisés par des traducteurs dans le passage des subordonnées déterminatives d’une langue à l’autre, de les situer dans un contexte élargi et d’en appréhender les variations. Ce choix est justifié par le souci de considérer les structures linguistiques en question dans leurs emplois réels et dans leur inter-relation entre les deux langues, ce que permet le travail sur des textes traduits. Il faut préciser tout de suite que les exemples tirés du corpus ont une fonction illustrative et non indicative de recettes ou de règles de traduction, car les problèmes de la traduction ne sont pas notre préoccupation principale. D’ailleurs, est-il nécessaire de préciser que la traduction de textes entre le français et le coréen oblige souvent le traducteur à reformuler les formes linguistiques de la langue de départ dans la langue d’arrivée, et ceci pour des raisons à la fois linguistiques et extralinguistiques1. ? Nous sommes donc contrainte de sélectionner des exemples dans le corpus qui apparaissent à nos yeux représentatifs pour illustrer les questions abordées, en essayant d’éviter les constructions déterminatives qui sont reformulées par le traducteur pour des raisons plutôt extralinguistiques. Mais nous reconnaissons tout à fait qu’un tel critère de choix des exemples implique une part d’arbitraire.

Nous avons donc choisi et dépouillé, comme corpus de base, principalement deux romans traduits, l’un du français au coréen, l’autre du coréen au français.2. Voici leur référence :

Pour compléter ces deux textes littéraires, nous avons ajouté un troisième corpus tiré d’un ouvrage linguistique qui relève du type de texte scientifique4.

Chaque exemple puisé dans ces textes recevra l’indication de son origine de la façon suivante :

Nous serons parfois amenée à recourir à d’autres sources pour compléter notre corpus. Pour les exemples pris et cités en dehors de ces trois textes, nous préciserons leur provenance.

Notes
1.

Parmi les nombreux facteurs qui peuvent influencer la modification des formes linguistiques dans le passage d’une langue à l’autre, notamment dans le sens du coréen vers le français, on peut évoquer la tendance forte en coréen qui consiste à employer des phrases complexes, dans lesquelles plusieurs propositions sont souvent imbriquées les unes dans les autres. On constate que le traducteur évite souvent de rendre ces phrases complexes par des phrases complexes structurellement équivalentes en français, qui seraient très longues et souvent difficilement acceptables voire inacceptables. Ceci s’explique par des raisons à la fois stylistiques et linguistiques. Sans nous étendre ici sur la tendance stylistique de ces deux langues qui est bien différente et même opposée à l’égard de l’utilisation des phrases complexes, il nous semble toutefois important de dire que, linguistiquement parlant, une phrase complexe composée de plusieurs propositions imbriquées en coréen n’a pas souvent la même longueur que son équivalente française ; la première est généralement plus courte que la seconde. Car à la différence du français, la saturation de la valence verbale par ses arguments nominaux n’étant pas obligatoire en coréen, une phrase peut être constituée d’un seul prédicat dont les arguments nominaux sont souvent absents dans leur position structurelle du fait du contexte textuel ou situationnel, ce qui allège la longueur de la phrase et en même temps facilite, nous semble-t-il, leur utilisation.

2.

Le choix a été déterminé par la possibilité d’obtenir la traduction publiée du texte.

3.

Il faut préciser que ce roman est un roman écrit à l’origine en tchèque qui a été traduit ensuite en français par Eva Bloch puis en coréen à partir de la traduction du français.

4.

Un seul texte scientifique a été choisi, car il nous a été difficile de nous procurer le même type de texte traduit du coréen en français.