0-1-1-4 La distinction entre sujet, agent et thème

En français, la notion de sujet entraîne couramment des malentendus. Elle est polyvalente dans son usage traditionnel, du fait qu’elle est confondue avec d’autres notions comme l’agent (celui qui fait l’action) ou le thème (ce dont on parle), lesquelles relèvent, en réalité, de niveaux d’organisation différents de l’énoncé. En effet, cette confusion notionnelle tient à la confusion des trois niveaux d’organisation de l’énoncé qu’il est nécessaire de distinguer comme suit :

Ces trois niveaux sont présents chaque fois que l’on parle ou écrit, et ils sont donc indissociables. Cela veut dire qu’ils projettent chacun une lumière différente sur un même fait.

Ainsi un énoncé comme Paul a attrapé le lapin peut s’analyser selon ces trois niveaux différents :

Dans l’énoncé cité ci-dessus, le sujet (Paul) du prédicat coïncide avec ce qui, du point de vue sémantico-référentiel, fonctionne comme agent et avec ce qui, du point de vue énonciatif, est le thème. Il semble donc qu’il existe une correspondance univoque entre sujet, agent et thème : Paul. Mais ce lien n’est pas toujours constant. Au sujet peut correspondre aussi bien un agent comme dans l’énoncé Paul a attrapé le lapin, qu’un patient comme dans Le lapin a été attrapé (par Paul). Quant à l’organisation énonciative de ces deux constructions, dans la première, c’est Paul que l’on a choisi comme thème pour en dire quelque chose, et dans l’autre, c’est le lapin qui est choisi comme thème, alors qu’il joue le rôle de sujet dans l’organisation syntaxique de ces deux constructions.

Il faut souligner que l’organisation de l’énoncé Paul a attrapé le lapin possède une variante qui consiste à disloquer un constituant nominal pris comme thème pour le mettre soit avant, soit après la construction syntaxique.

Paul, il a attrapé le lapin / Il a attrapé le lapin, Paul ;

Le lapin, Paul l’a attrapé / Paul l’a attrapé, le lapin

Le constituant nominal placé en tête ou en fin d’énoncé correspond au thème, et il est repris par un pronom clitique (Il et le) qui sert à indiquer la fonction syntaxique du constituant nominal thématisé.

Du point de vue énonciatif, la structure segmentée Paul, il a attrapé le lapin apparaît comme une structure marquée par rapport à la structure ordinaire non-marquée Paul a attrapé le lapin. La première structure segmentée est dominante en français oral, alors que la seconde est plus ou moins imposée à l’écrit.

Les énoncés coréens se laissent analyser globalement selon les trois plans exposés ci-dessus. Mais l’originalité de cette langue est qu’elle dispose de moyens linguistiques comme la particule topique [nIn] / [In] qui permet à l’énonciateur d’indiquer ce dont il va parler dans le cadre phrastique. Celle-ci, qui fait partie des particules discursives ou contextuelles, s’insère aux dépens des particules casuelles, notamment nominative [ka] / [i], accusative [lIl] / [Il] et génitive [Ii], qui ne servent qu’à indiquer les fonctions syntaxiques des constituants nominaux. Cela signifie que l’organisation énonciative l’emporte sur l’organisation syntaxique.

L’énoncé coréen, équivalent à l’énoncé français Paul a attrapé le lapin s’organise selon le schème syntaxique suivant :

L’énoncé (7b) est organisé de la même façon que l’énoncé (7a), à part la particule topique [nIn] qui a, en quelque sorte, remplacé la particule casuelle [i] du sujet (ppol-i → ppol-I n : Paul-p.nom → Paul-p.top), sélectionné ici comme thème de l’énoncé. L’énoncé (a) diffère de l’énoncé (c) par la position (position médiane → position frontale) et la particule du constituant nominal objet (thokki-lIl : lapin-p.accus → thokki-n I n : lapin-p.top.).

Ce type d’organisation énonciative de la phrase fonctionne aussi bien à l’oral qu’à l’écrit en coréen, avec cette différence toutefois que des éléments suprasegmentaux comme l’accentuation ou la pause intervenant à l’oral aident à repérer plus nettement cette organisation en thème - propos.