0-1-2 Faut-il en coréen reconnaître une troisième fonction nucléaire ?

Il n’est pas possible en coréen de faire une claire distinction entre actant et circonstant — pour reprendre provisoirement les termes de Tesnière — car il n’y a aucune différence, dans cette langue, au plan des signifiants, entre un tiers-actant tesniérien et un circonstant de lieu de type allatif, puisque c’est la même particule casuelle qui va servir pour traduire Je vais chez Marie (circonstant, selon Tesnière) et Je donne un livre à Marie (tiers-actant, selon le même linguiste). Certes le français pronominalise différemment les deux sous-types de compléments par des clitiques distincts : Je vais chez Marie J’ y vais et J’écris à Marie Je lui écris. Mais en coréen, dans les deux cas, on aura mali-eke k I ny O -eke (elle-à)10. Dans les deux cas, ce substitut est suivi de la même particule [eke], qui est de valeur dative ou locative directionnelle. En effet, le coréen ne fait pas de distinction entre le complément circonstanciel de destination (Je vais chez Marie 11) d’une part, et d’autre part les compléments d’objet indirect (J’obéis à Marie) ou d’objet second (J’offre un livre à Marie). Tous ces types de compléments seront affectés de la même particule [eke]. De ce fait, nous dirons que [mali-eke] (Marie-à), qui n’est ni sujet ni objet, est tout simplement « fonction oblique », terme déjà utilisé avec ce sens par de nombreux linguistes, notamment américains. Nous conviendrons d’appeler oblique tout argument autre que le sujet et l’objet (direct). Précisons bien, dès maintenant, qu’un verbe intransitif est a priori compatible avec plusieurs types de fonctions obliques. Comme en coréen il est difficile de distinguer entre datif et locatif, nous ne ferons pas un sort particulier au complément d’objet indirect, ni d’ailleurs au complément d’attribution, appelé aussi complément d’objet second par certains grammairiens français comme Gougenheim. Les compléments qui sont ainsi dénommés en français se trouvent affectés en coréen d’une particule [eke], qui peut servir aussi bien à introduire un complément de lieu qu’un complément ’d’objet indirect’ (ou d’objet second).

Cette particule [eke], rappelant tout à fait la préposition français à dans son fonctionnement, sera traduite désormais directement par celle-ci.

Notes
10.

Ce dernier anaphorique, d’origine nominale, fonctionne aujourd’hui comme une sorte de pronom au sens plein du terme, c’est-à-dire un substitut qui occupe une position nominale.

11.

Ajoutons que l’expression française Je vais chez Marie peut donner lieu à deux traductions coréennes : [na-nIn mali-eke kanta]□(lit) *’Je vais à Marie’ ou encore [na-nIn mali-Ii cip-e kanta]□(lit) ’Je vais à/dans la maison de Marie’. Il s’agit dans le dernier cas d’une traduction littérale qui ne correspond pas à l’usage français. En effet, quand on dit Je vais dans la maison de Marie, cela laisse entendre que Marie n’est pas chez elle. Si elle est à la maison, on dit simplement Je vais chez Marie. Notons que l’expression coréenne construite avec -eke n’implique pas nécessairement qu’on va voir Marie chez elle : on peut la rencontrer au restaurant ou ailleurs. En définitive, la première traduction coréenne correspond assez bien à l’expression française Je vais voir Marie.