0-3 Problèmes d’étiquetage des segments morphématiques.

0-3-1 Faut-il utiliser les termes particule de sujet et particule d’objet, ou faut-il recourir à des étiquettes casuelles telles que nominatif, accusatif, etc.?

Nous avons décidé, par commodité, de parler de sujet et d’objet dans la description du coréen, bien que la notion de sujet syntaxique soit problématique dans cette langue, faute d’accord et de marqueur spécifique. La notion d’objet présente moins de difficultés, mais pose quand même quelques problèmes, du fait que le marqueur [lIl] / [Il] peut aussi bien désigner un « oblique » (complément de destination avec un verbe de mouvement) que désigner un objet. Il n’y donc pas de marqueur univoque de l’objet. Cela dit, cette difficulté n’est pas propre au coréen. On la retrouve dans les langues flexionnelles où le cas accusatif peut marquer un complément de lieu, et plus exactement de destination (lat. Eo Romam : Je vais à Rome) ou un complément de temps marquant une durée (lat. Tres anos regnavit : Il a régné trois ans.). En arabe, également, l’accusatif peut marquer autre chose que l’objet, en particulier l’attribut d’une phrase à l’accompli, un complément d’état, ou encore un complément de temps, pour indiquer un moment de la journée tel que le matin ou le soir. De même, en coréen, le cas accusatif accompagne le lieu de destination :

  • (Ex15)

  • ppol-i / ppali-l I l / ka-n-ta
    Paul-nom / Paris-p.accus / aller-inacc-STdécl /
    *Paul va Paris → Paul va à Paris.

Le même marqueur l I l/I l peut s’associer à un complément temporel de durée.

  • (Ex16)

  • nE-ka / kIlInobul-esO / kunyOn-I l / sal-ass-ta /
    moi-p.nom / Grenoble-à / neuf ans-p.accus. / habiter-acc-STdécl./
    J’ai habité neuf ans à Grenoble.

Qu’il s’agisse du temps ou de l’espace, il y a dans les deux cas l’idée d’un parcours suivi jusqu’à un certain point, au-delà duquel le processus s’arrête. En termes de théorie localiste, on sent bien l’origine allative de l’accusatif. D’un point de vue cognitif, il n’y a pas de grande différence entre le lieu vers lequel on se dirige et l’objet que l’on vise. Il y a dans les deux cas l’idée d’une cible ou d’un objectif à atteindre. Tout ceci fait qu’il paraît assez légitime d’étiqueter le segment [lIl]/ [Il] comme un marqueur d’accusatif, alors qu’il serait abusif de le présenter comme une particule d’objet, ce qu’il n’est pas toujours. Le cas est une chose et la fonction en est une autre. Le marqueur [lIl]/ [Il] est un relateur casuel et non un marqueur fonctionnel à proprement parler.

Ce qui est vrai de [lIl]/ [Il] est encore plus vrai pour [ka]/[i]. Il serait abusif de présenter cette particule comme une particule de sujet puisque, nous l’avons vu, elle s’applique aussi bien à l’attribut qu’au sujet. Il paraît plus raisonnable de l’identifier comme une particule nominative. Mais il convient de préciser que cette dénomination casuelle n’est pas elle-même exempte de tout problème. Le problème est que le « nominatif » est fondamentalement la forme pure de désignation dans des langues comme le latin, ce qui n’est pas le cas pour [ka]/[i]. En effet, il y a une grande différence entre le marqueur [ka] du coréen et le cas nominatif du latin. Ce dernier sert non seulement à signaler le sujet et l’attribut — ce qui est aussi valable pour [ka] — mais sert aussi à nommer un référent en dehors de tout contexte grammatical, notamment dans le dictionnaire, ou encore quand le mot sert d’étiquette sur une porte ou un objet quelconque. Dans ce rôle simplement dénominatif ou désignatif, le marqueur [ka] n’est jamais utilisé. Dans une langue flexionnelle comme le latin, le nom n’est vraiment reconnaissable que s’il est muni de sa flexion ; celle-ci lui colle à la peau, en quelque sorte. Si le nom apparaît comme nominatif dans le dictionnaire, c’est que l’on considère, à tort ou à raison, que c’est le cas moins marqué de la flexion et donc celui qui altère le moins le radical. En revanche, dans une langue agglutinante comme le coréen, le nom est reconnaissable tel quel, sans la particule, laquelle apparaît seulement dans certaines constructions énonciatives, mais n’intervient ni dans le lexique, ni sur les étiquettes. C’est cette différence fondamentale entre les langues flexionnelles et les langues agglutinantes qui fait que le marqueur nominatif ne fonctionne pas de la même façon dans les deux types de langues. Mais on se contentera, faute de mieux, du mot nominatif — abréviation nom. — pour identifier la particule [ka].